MÉTROPOLE COMMUNE – Étape 4

 | Lucie Geffroy

Balade de Martigues à Port-de-Bouc, en surplomb du chenal de Caronte, dans une zone aux paysages marqués par les vestiges de la pétrochimie.

Mardi 2 juin 2015 – LE CHENAL DE CARONTE : De Martigues à Port-de-Bouc

De la noble Martigues à Port-de-bouc la populaire, le long du chenal de Caronte, un espace urbain et industriel aménagé depuis l’époque romaine – un territoire stratégique entre Marseille et le Rhône.

Le soleil tombe à la verticale sur nos crânes. Vus du ciel, nous sommes une trentaine de bipèdes immobiles, tous tournés dans la même direction. Après avoir gravi la draille qui serpente dans la pinède, nous voici, randonneurs de la mission interministérielle pour le projet métropolitain Aix-Marseille-Provence, arrivés au point culminant de notre marche, sur les hauteurs de la ville de Martigues. Dans notre dos se dresse la chapelle Notre-Dame-des-Marins, qu’une main semble avoir posée au sommet de la colline. Mais ce n’est pas elle qui nous intéresse.

Nos yeux glissent vers un spectacle plus grandiose. Depuis les rives de l’étang de Berre, d’où nous sommes partis ce matin, Martigues s’étale le long d’un canal qui court sous de vastes zones industrielles pour se jeter dans la Méditerranée. «Vous voyez, là-bas, à droite, Stalingrad sur la mer ? C’est Port-de-Bouc !» lâche Nicolas Mémain, artiste marcheur, l’un des guides de notre exploration.

Pour le moment, comme en lévitation au-dessus de l’immense mer intérieure que forme l’étang de Berre, se dessine à l’horizon le fantôme de la Sainte-Victoire. A droite de la montagne, le regard est saisi par le contraste que provoque, dans ce panorama, la forêt de cheminées et de torchères des usines pétrochimiques. Certaines, à larges bandes rouges et blanches «ressemblent à la fusée de Tintin sur la Lune», remarque encore Nicolas Mémain qui, avec son bout de tissu blanc sur la tête, a des airs de capitaine Haddock au Pays de l’or noir. Sur le dessin de la table d’orientation, aucune mention des usines de Croix-Sainte et des raffineries de Lavéra qui se dressent pourtant devant nous. Un mirage ? Non, c’est bien un paysage façonné par l’industrie qui se déploie sous nos yeux – une industrie en plein déclin.

Utopies métropolitaines

Chapeau mou vissé sur la tête, David Mangin a rangé son carnet de croquis dans son sac et fait comme le reste de la troupe : il se laisse absorber par la vue. Associé de l’agence Seura, il pilote l’une des trois équipes d’urbanistes sélectionnées pour la consultation urbaine Aix-Marseille-Provence. Bien qu’avouant détester la randonnée, il n’est pas mécontent de cette réunion champêtre itinérante qu’il juge «plus stimulante que les restitutions académiques en Power Point du Grand Paris».

Nous sommes ici au cœur du «Far West» de Marseille. A une quarantaine de kilomètres, au nord-ouest de la ville, l’étang de Berre et ses environs furent convoités dès le début du XXe siècle. A l’époque, les élites marseillaises étaient persuadées que la «conquête de l’Ouest»serait le ticket gagnant pour connecter Marseille à la France et à l’Europe. On rêvait alors d’une ouverture vers le Rhône, et du Rhône vers le Rhin. «C’est avec cette idée d’un « Grand Marseille » ouvert sur l’étang de Berre qu’est née au début du siècle dernier la première utopie métropolitaine», explique René Borruey, historien et architecte.

Mais si l’idée d’un développement vers l’Ouest est venue de Marseille, sa réalisation s’est faite sans elle. A la fin des années 60, une seconde utopie métropolitaine a vu le jour, fondée sur une autre illusion : celle d’une expansion de la ville mère sur «sa» région. Un échec, là encore. «Marseille est la seule grande ville de France à ne pas être reconnue comme un centre par sa périphérie», résume René Borruey. Si on fait le compte, avec la métropole, Marseille en est donc à sa troisième utopie métropolitaine… qui peine toujours à se réaliser. Et dans l’opposition historique des communes au projet métropolitain, les deux villes communistes que sont Martigues et Port-de-Bouc figurent en bonne place. Deux villes rouges, mais que tout oppose.

D’un côté Martigues, ancienne cité gallo-romaine, riche et orgueilleuse, surnommée la «Venise provençale». De l’autre, Port-de-Bouc, construite au XIXe siècle, industrielle et dont les chantiers navals ont attiré des ouvriers de toute la Méditerranée. Les joignant comme un trait d’union : le chenal de Caronte, passage naturel entre la mer de Berre et la Méditerranée, a été creusé davantage dans l’entre-deux-guerres pour laisser passer les pétroliers. Depuis 2011, les deux villes cohabitent dans une communauté d’agglomérations de façade. Assises au bord d’un même canal, elles se regardent en fait en chiens de faïence.

Balcon sur la chimie

L’assemblée se disperse, chacun reprend sa marche. Après plusieurs lotissements, nos pieds passent en quelques mètres du bitume à une terre rocailleuse. Nous arrivons au plateau du Campeou, sorte de colline recouverte de garrigue et de buissons de genêts, traversée par une étroite voie de chemin de fer. C’est là, à quelques enjambées de la petite gare abandonnée de Croix-Sainte, en surplomb du chenal de Caronte, que nous nous installons pour le pique-nique.

«Pendant la Première Guerre mondiale, les usines chimiques ont poussé comme des champignons ici», raconte Philippe Mioche, historien de l’industrie, pendant que circulent poulpes, pois chiches, poutargues. Parallèlement, le chenal est devenu un port pétrolier autour duquel s’installeront plusieurs raffineries. Encore visibles aujourd’hui, elles ne seront bientôt que des vestiges. Entamée dans les années 70, la désindustrialisation s’est accentuée ces dernières années au gré des fermetures de raffineries et des plans sociaux. Entre-temps, le territoire aura bien trinqué. «Nous nous trouvons ici dans un des lieux les plus pollués d’Europe du Sud», assure Philippe Mioche. En haut du podium : Azur Chimie, à l’entrée de Port-de-Bouc, une de nos prochaines étapes.

Industrie du cinéma

Le vacarme d’un train de marchandises à wagons-citernes nous tire de notre torpeur digestive. Nous nous remettons en marche. La vue qui s’offre à nous désormais est une superposition de rectangles monochromes, à la Nicolas de Staël : l’azur du ciel, le vert de la végétation, le brun des entrepôts, la ligne grise d’un pipeline et l’émeraude du chenal.

L’aménagement des berges est un dossier épineux pour la ville de Martigues : le site de Lavéra, côté sud, compte à lui seul onze usines classées Seveso. Côté nord, où nous nous trouvons, une grande friche de 22 hectares est en cours de réhabilitation. «Martigues accompagne un ambitieux projet autour de l’industrie du cinéma», explique Sophie Bertran de Balanda, architecte de la ville. «Des studios de cinéma sont en construction dans les anciennes usines Eternit qui longent le canal […]. Nous recevons beaucoup de propositions d’investisseurs privés… Un cinéma d’art et essai pourrait aussi s’implanter ici», poursuit-elle, provoquant chez David Mangin quelques murmures glissés à l’oreille de son voisin.

«Cette longue bande au bord de l’eau est assez convoitée par des promoteurs immobiliers qui rêveraient d’en faire une marina, explique-t-il. L’aménagement des rives de ce canal est un cas typique d’enjeu métropolitain car c’est le port autonome de Marseille qui est propriétaire du foncier. Si une offre culturelle se développe, il faudra songer au transport. Pourquoi pas une vedette sur le canal, de Marignane à Port-de-Bouc ? Ce qui est certain, c’est que Martigues ne pourra pas faire son projet toute seule dans son coin, elle aura forcément besoin de la métropole.»

Périple postapocalypse

Un avion déchire le ciel. Bientôt le Campeou va disparaître derrière nous. Une route, un palmier, nous voici à l’entrée du chantier de démolition du site d’Azur Chimie, ancienne usine spécialisée dans le traitement du brome. Ses portes ont fermé en 2010. Séverine Mignot, architecte de la ville de Port-de-Bouc, nous ouvre l’accès à cet immense no man’s land. Bitume balafré, mélanges informes de terre et de cailloux, deux gros talus de pierre grise, des bouts de ferrailles dans des bouquets d’herbes sauvages et un pan de mur recouvert de graffitis qui manque de s’écrouler : un périple post-apocalypse. Avant d’être démoli, le site a été entièrement dépollué – pour 2,5 millions d’euros. La ville de Port-de-Bouc envisage d’y installer des entreprises, probablement dans le secteur de la réparation de bateaux. «Peu importe, du moment que ça apporte du travail et que ça ne pollue pas», affirme Séverine Mignot.

En tout, ce sont neuf kilomètres de littoral que la ville de Port-de-Bouc souhaite aménager et développer. Dans les négociations, que ce soit pour l’achat des terrains ou pour leur aménagement, la municipalité doit faire avec l’établissement public du port de Marseille, le GPMM (Grand Port maritime de Marseille) qui, comme à Martigues, occupe une partie du littoral.

Nous continuons à longer le canal. Des rouleaux de filets de pêche traînent entre deux conteneurs. De grandes cuves à pétrole occupent tout l’espace de la rive opposée. Objet métropolitain par excellence, grand comme Paris intra-muros, le port de Marseille représente 43 000 emplois indirects. Et le foncier constitue un enjeu de plus en plus important pour le premier port de France. Encore faut-il savoir qu’en faire. Et qui s’en occupera.

Un récit de Lucie Geffroy pour Le Bureau des guides du GR 2013 publié dans Libération

Partagez cette balade en écoutant comme si vous y étiez quelques-uns de ces échanges, sur les chemins…

Point 1 – Plage de Martigues

Point 2 – Maritima Avaricorum

Point 3 – Tunnel du Rove

Point 4 – Notre-Dame des marins

Point 5 – Martigues – Port-de-bouc

Point 6 – Campeo

Point 7 – Lavera

Point 8 – Azur Chimie – Port-de-bouc

Co-production Euphonia / Bureau des guides du GR2013. Productrice : Julie de Muer – Réalisation : Jean Baptiste Imbert

More Informations

En 2015, à l’orée de la consultation urbaine et territoriale organisée par la Mission interministérielle pour le projet métropolitain, le Bureau des guides du GR2013 a proposé aux équipes d’architectes et d’urbanistes en charge du projet de Métropole Aix-Marseille-Provence de partir à l’exploration du territoire pendant quatre jours, au long du sentier métropolitain : des journées de marches ponctuées de discussions et d’échanges, de repas face aux paysages partagés avec les membres des équipes mais également avec la mission interministérielle, les élus, les participants aux chantiers, les habitants. Présentation du projet ici.