MÉTROPOLE COMMUNE – Étape 3

 | Myriam Guillaume

Balade le long de l’ancienne voie ferrée de Valdonne (La Bouilladisse-Roquevaire-Aubagne).

Lundi 1er juin 2015 – LA VOIE DE VALDONNE : De la Bouilladisse à Aubagne

De la Bouilladisse à Aubagne, en piémont du massif de l’Etoile, au fil de la vallée de l’Huveaune, le long de la voie ferrée abandonnée de Valdonne – grand vestige industriel bientôt support d’un nouvel équipement de transport métropolitain.

Nous allons marcher à travers les herbes et les ronces, sur les 14 kilomètres des traverses patinées de l’ancienne voie ferrée de Valdonne, qui relie le village de La Bouilladisse à Aubagne. Les architectes, experts et membres de la mission interministérielle pour le projet métropolitain d’Aix-Marseille-Provence, qui explorent le territoire pour leur troisième randonnée, foulent aujourd’hui le béton craquelé de la gare de La Bouilladisse.

Il leur faut imaginer qu’à partir d’ici, en 2020, devrait circuler un tramway. Il desservira la dizaine de localités jalonnant ses rails en moins de trente minutes, pour soulager les 60 000 riverains et décourager une partie des 110 000 automobilistes coincés quotidiennement dans les bouchons entre Aubagne et Marseille. Né de la volonté des communes, porté par le Pays d’Aubagne et de l’Etoile, le projet prend encore plus de sens dans le contexte de la métropole. Avec 18 millions d’euros d’investissement de l’Etat, le «Valtram» devrait recoudre un territoire morcelé, traversé de montagnes, qui s’étend de l’Est marseillais aux terres argileuses d’Aubagne. Et peut-être, qui sait, raccrocher les wagons entre l’intercommunalité d’Aubagne, opposée de longue date à l’idée d’une métropole, et Marseille, farouchement pour.

On n’en est pas là. Aujourd’hui, pour rallier depuis Marseille le village de La Bouilladisse, il faut d’abord prendre le train jusqu’à Aubagne, puis monter dans un bus jusqu’à l’ancienne gare de La Bouilladisse. A mesure que le TER s’éloigne de Marseille, traverse le bassin industriel de la haute vallée de l’Huveaune, coupée de montagnes lacérées de routes et percées de tunnels pour s’avancer vers les terres plus agricoles, on mesure le problème. Autour des villages, des zones pavillonnaires se sont étalées vers les massifs. Les axes routiers pour gagner Aix ou Marseille déversent un trafic incessant. Dans les véhicules, de nouveaux habitants pourtant venus là pour fuir le vacarme marseillais.

Entre Aubagne et Marseille, plus de 34 000 déplacements s’effectuent chaque jour en voiture. Les bus de l’agglomération sont gratuits depuis 2009 et desservent treize communes jusque dans le Var. Mais ils n’échappent pas aux bouchons. De toute façon, il n’y a actuellement pas assez de voies ferrées pour créer un maillage efficace, c’est-à-dire relié avec les autres transports collectifs.

Un siècle de service

La réhabilitation de la voie ferrée de Valdonne, en site propre, doit permettre à ce territoire d’être connu autrement que comme un dortoir ou un échangeur autoroutier. Réutiliser la vieille ligne, «c’est prolonger, et prolonger, c’est rentabiliser», résume le préfet Laurent Théry. Il va falloir enlever beaucoup de rouille sur ces rails posés en 1868 entre Aubagne et La Barque par la Compagnie de chemins de fer Paris-Lyon-Méditerranée. «Installée pour acheminer le charbon des mines de Fuveau, Peypin ou Auriol et pour alimenter les usines de savon, de soude, les cimenteries et plâtreries de tout le bassin marseillais par la suite, la ligne a rapidement été utilisée par les ouvriers et les habitants», rappelle Claude Iérace, fils et petit-fils de mineur. La fin des mines a entraîné l’arrêt de la ligne après presque un siècle de service.

Bras de fer

A cette évolution de l’économie locale, fatale au rail, se sont ajoutés les affrontements politiques. L’évocation de la métropole réveille la défiance séculaire des communes de la périphérie à l’égard de Marseille. Maire de la cité phocéenne pendant plus de trente ans, Gaston Defferre était engagé dans un bras de fer permanent avec les tenants des bastions communistes qui entouraient sa ville.

Il en reste des traces. En 2010, un référendum sur le Pays d’Aubagne rejetait l’idée d’un Grand Marseille à 93 %. «La métropole risque de revenir sur nos choix de transports alternatifs», justifiait alors le maire communiste d’Aubagne, Daniel Fontaine. Pourtant, le projet du Valtram avait été acté par son prédécesseur. Une élection municipale plus tard, tout était balayé : le projet semblait soudain trop coûteux et la présidente de l’intercommunalité menaçait même de se «coucher sur les rails du tram». Le matériel et les rames avaient été commandés et payés. Ils se sont retrouvés au garage. Devant le quai de la vieille gare de La Bouilladisse, des terrains de tennis ont remplacé les hangars du fret. Le maire, André Jullien, présente ses futurs aménagements – «lycée pour 1 000 élèves, 350 logements dont 30 % sociaux avec un label écoquartier, parking en liaison avec un tram en site propre qui ira un jour jusqu’à Marseille». Mais il avertit d’emblée qu’il arrêtera la marche de l’engin aux limites de sa commune. La présidente de l’agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Etoile, Sylvia Barthélémy (UDI), était comme lui sur la même ligne anti-tram. Voilà qu’elle a changé d’avis et nous assure maintenant : «Ce grand projet d’aménagement est attendu depuis longtemps. 60 % de la population habite hors Aubagne et le développement se fait surtout sur le nord.»

Le fil vert des boues rouges

Au bord de la voie ferrée, un gros tuyau vert en métal nous accompagne. Destiné l’évacuation des boues rouges de l’usine d’alumine de Gardanne (Alteo), le serpent topaze colle aux rails, et ne nous quittera plus, fil vert de la marche quand disparaîtront rails et traverses. Alteo emploie 500 salariés, et c’est de là que proviennent les composants d’un téléphone portable sur deux dans le monde. Depuis plus d’une décennie, ses boues rouges sont déversées dans une fosse marine au large de Cassis. «On a un milieu naturel remarquable et de belles pépites industrielles. D’ici peu, suite aux décrets pris en préfecture, l’usine ne rejettera plus que des eaux résiduelles dans le parc naturel des Calanques», veut rassurer le député Vert François-Michel Lambert, qui voit dans la métropole «un formidable outil au service des communes». Evoquant les possibilités d’une écologie industrielle, il souligne que «la poussière de l’un doit devenir le ciment de l’autre».

De l’eau à nos moulins

A la lisière de La Destrousse, le rail est interrompu par la RD 45. Un pont-rail, ou l’abaissement de la chaussée, devrait surmonter l’écueil. «Nous mêlons les contraintes autoroutières à celles du charme champêtre», ironise l’urbaniste Christian Devillers en enjambant un ancien aiguillage. Puis, un bruit d’eau vive, une cascade, de la fraîcheur. «Voilà l’Huveaune !»Le groupe dégringole vers les berges pour un providentiel pique-nique. Un béal (petit canal d’irrigation) rappelle la présence d’un des nombreux moulins qui ont jalonné les rives de l’Huveaune. «Il y en a eu jusqu’à 65, rappelleClaude Carbonnel, du collectif Associations Huveaune.Mais la rivière a perdu de son importance en 1848, car l’eau de la Durance est arrivée à Marseille. La vapeur et l’électricité en ont fini avec ces moulins qui tenaient depuis le Moyen Age et ont alimenté les sociétés Rivoire et Carret ou Atochem».

Depuis quelques années, associations et élus se mobilisent pour le fleuve. Un système intercommunal a été mis en place pour gérer les inondations et l’entretien des berges. A Roquevaire, on boit l’eau de l’Huveaune en régie municipale, «autonomie qu’on ne veut pas dissoudre dans la métropole», insiste le maire, «car on pompe à un tarif très avantageux».

A l’ombre des platanes, les urbanistes se prennent à rêver les aménagements autour du futur tram. Faire de la ville autour des stations, avec des aménagements piétons, cyclables ou léger intégrés au cœur des villages.

Après Roquevaire, la voie ferrée descend vers la plaine agricole d’Aubagne. La haute façade de l’exploitation de Jérôme Laplane borde la route. Installé en 1991 sur une partie des terres familiales, l’agriculteur bio vend au détail sur place et approvisionne les marchés marseillais. «J’ai un petit chiffre d’affaire, je fonctionne avec 120 familles clientes»,explique le maraîcher, qui s’étend, en Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), sur cinq hectares. «Il existe une demande sur ce bassin où vivent un million de personnes», mais une partie du zonage agricole «n’est pas remise à disposition car les propriétaires qui n’exploitent plus ne veulent ni vendre ni louer»,déplore-t-il. Laplane lui-même cultive trois hectares avec un bail précaire. «Un quart des terres fertiles a été urbanisé et on se retrouve avec le foncier maraîcher le plus cher du département…»

Le groupe se remet en route vers Aubagne. Dernier stop à l’ancienne gare de Pont-de-l’Etoile. Entre élus et membres du conseil de développement, on fait le point sur l’avenir possible de la voie de Valdonne. Le débat porte sur une question technique : les voyageurs accepteront-ils d’aller en tramway de Marseille à Aubagne pour changer et prendre ensuite un train ? Une étude a montré qu’une correspondance est toujours dissuasive. Pour relier l’Huveaune à Marseille, seul un tram-train ferait l’affaire. Arriver à marier les techniques ferroviaires et les convictions politiques dans un même projet : la naissance de la métropole passera aussi par là.

Un récit de Myriam Guillaume pour Le Bureau des guides du GR 2013 publié dans Libération

Partagez cette balade en écoutant comme si vous y étiez quelques-uns de ces échanges, sur les chemins…

Point 1 – Terminus tram

Point 2 – Ancienne gare

Point 3 – Tuyau boues rouges

Point 4 – Tunnel

Point 5 – Huveaune

Point 6 – Roquevaire

Point 7 – Ferme

Point 8 – Gare de Pont de l’étoile

Co-production Euphonia / Bureau des guides du GR2013. Productrice : Julie de Muer – Réalisation : Jean Baptiste Imbert

More Informations

En 2015, à l’orée de la consultation urbaine et territoriale organisée par la Mission interministérielle pour le projet métropolitain, le Bureau des guides du GR2013 a proposé aux équipes d’architectes et d’urbanistes en charge du projet de Métropole Aix-Marseille-Provence de partir à l’exploration du territoire pendant quatre jours, au long du sentier métropolitain : des journées de marches ponctuées de discussions et d’échanges, de repas face aux paysages partagés avec les membres des équipes mais également avec la mission interministérielle, les élus, les participants aux chantiers, les habitants. Présentation du projet ici.