27/10/2025

Balade Pyros #1 – de la Montée Pichou aux Abandonnés 

Le lundi 27 octobre 2027, nous réalisons notre première balade entre habitant·es dans le cadre de l’École du feu. Nous vous proposons de partager ici quelques notes prises en chemin, des paroles échangées, des notions que nous rencontrons pour la première fois, et les nouvelles questions qui émergent. Il y en a beaucoup…

Nous sommes 37 participant·es au départ de cette balade, devant le SPAR du chemin de la Nerthe et nous avons invité :

– Jordan Szcrupak : Paysagiste-concepteur DPLG, enseignant ENSA Marseille, administrateur de l’association Forêt Méditerranéenne et de l’association RAW – Risk & Architecture Workshop
– Patrick Jeannot : Fondateur et directeur technique de PyroVigil, ancien cadre technique et coordonnateur DFCI à l’ONF, responsable des APFM pour le Var
– Sophie Bertran de Balanda : Urbaniste, et sinistrée de Martigues du feu de 2020
– Basile Viguérie : Technicien de la Ville de Marseille en charge des OLD, service Protection des populations et prévention des risques.

Dessin de Mathilde H

Maisons incendiées, maisons épargnées : une malheureuse loterie ?

Traverse Chauffert. Devant une première maison brûlée, on s’interroge : pourquoi certaines maisons ont-elles brûlé au milieu d’autres restées intactes ? Quelle loi arbitraire (ou “châtiment divin”) décide de qui va brûler au sein d’un quartier ?

Patrick Jeannot. Ce phénomène est lié à l’effet convectif du feu : la chaleur intense fait monter dans le ciel une colonne d’air brûlant qui emporte avec elle des particules enflammées – les brandons, ou bélugues (qui vient du provençal beluga étincelle). Les brandons vont ensuite s’abattre en pluie, parfois à distance du foyer de l’incendie, et mettre le feu aux maisons qui ont une vulnérabilité bâtimentaire, c’est à dire l’ensemble des lignes, plis/joints et trous de la construction susceptibles de devenir des réceptacles à brandons. Par exemple, dans une gouttière ou un Velux, les brandons s’accumulent avec une température de surface entre 800°C et 1000°C. Le rayonnement thermique amorce un feu couvant dans l’isolant sous la charpente, fait éclater le vitrage du Velux, ou brûle la gouttière en PVC, qui le propage aux chevrons en bois en débord de toiture.
[…]

3 règles de 3 pour comprendre la propagation du feu

I. Le feu a besoin de 3 éléments : 
1/ un combustible (la “matière” qui prend feu comme le bois, le plastique, l’essence…).
2/ un comburant : substance oxydante qui permet la combustion. Dans le cas des feux de forêt, c’est l’oxygène de l’air (dans des situations industrielles, ça peut être un autre gaz ou composant chimique).  3/ la source d’ignition : l’étincelle, la chaleur, la braise du mégot, etc. 

II. Le feu se propage de 3 manières : 
1/ la conduction : c’est le transfert de chaleur à travers les matériaux solides, de proche en proche, sans déplacement de matière. Le feu se propage par le contact des matières enflammées. 
2/ la radiation (ou le rayonnement) : c’est le transfert d’énergie sous forme de rayonnement infrarouge émis par les flammes et les braises sans contact direct. La chaleur d’un feu de forêt peut dépasser les 1000°C. Chaque combustible a une température au-delà de laquelle il s’enflamme spontanément. La radiation est très dangereuse pour le corps humain, dès qu’on la sent, même modérément, il faut fuir.
3/ la projection (plus précisément convection + projection) : c’est l’envol et la dispersion de brandons enflammés, sur des centaines de mètres, voire des kilomètres.

III. La règle des 3×30. Le feu a plus de chance de se déclarer quand : 
1/ on est au dessus de 30°c
2/ on a plus de 30km de vent
3/ on a moins de 30% d’hygrométrie de l’air
(auxquels on peut rajouter une pente de plus de 30%, et l’exposition au sud d’un versant). 

Quelques pistes pour améliorer la résistance d’une maison face au feu

En privilégiant les murs maçonnés, les petites ouvertures et les toits dotés de génoises, les maisons traditionnelles provençales résistaient mieux au feu. Aujourd’hui, au-delà du débroussaillement et de l’éloignement des sources potentielles de combustible (vide-sanitaire, façades, toitures), on peut améliorer sa protection en remplaçant les volets en PVC ou en aluminium — qui fondent ou transmettent fortement la chaleur — par des volets en bois plein, beaucoup plus résistants.

Il existe aussi des solutions complémentaires, comme l’application de peintures intumescentes sur les volets en bois : elles gonflent sous l’effet de la chaleur et créent une barrière isolante qui retarde la montée en température du support.
Guide : “Construire durable en zone à risque d’incendie de forêt” – Enviroboite. 


Le croisement de la Traverse Chauffert et de la Traverse Puget Mitre : un cas d’école de zone « non défendable » ?

Patrick Jeannot. Ce croisement entre deux ruelles perpendiculaires de moins de 4 mètres de largeur est un cas d’école : aucun camion de pompier ne pourrait s’y engager. Un camion de pompier a besoin de 21m de périmètre de braquage.

La défendabilité se définit par l’accès, les coupures de feu (débroussaillement, urbanisme, matériaux…) et les hydrants (accès à l’eau). Dans l’idée que les pompiers doivent assurer leur propre protection, si une maison n’est pas « défendable », cela suppose qu’ils n’ont pas à intervenir dessus. Quand une habitation n’est pas défendable, elle passe en zone rouge du PPRIF (Plan de prévention des risques incendies de forêt), ce qui peut avoir un impact sur sa valeur sur le marché immobilier, voire la rendre invendable. 

Dans le cas particulier de l’Estaque, ce principe soulève des interrogations : quels sont les critères exacts de l’évaluation de la défendabilité et des classements en zone rouge ? Quels sont les outils dont disposent les pompiers pour prendre leurs décisions ?

Tout le quartier de l’Estaque a été urbanisé avant tout zonage d’un PPRIF, ce qui explique sans doute sa méconnaissance par de nombreux·ses habitant·es.

Que peut-on faire pour améliorer collectivement la défendabilité ? Quid des citernes collectives ? Le CIQ des Hauts de l’Estaque a beaucoup travaillé les sujets de l’accès et des hydrants avec les pompiers après l’incendie de 2001. Il faudrait réactiver la mémoire de ces actions concertées.

Le PPRIF a donc un lien avec les règles d’urbanisme. Le PPRIF est un document réglementaire à valeur juridique opposable. En tant que servitude d’utilité publique, le PPRIF est annexé au PLU et son règlement s’impose à celui du PLU. Aujourd’hui, les autorisations de nouvelle construction dans les zones rouges sont extrêmement restrictives.


Le Vallon Pichou : un paysage de lisière chargé d’histoires, entre restanques, pins pyrophytes et maisons (vue depuis du haut de la montée Puget-Basile)

Jordan Szcrupak. Le vallon que nous voyons est un bon exemple de paysage de lisière de ville. Les restanques rappellent que ces coteaux ont été cultivés, et l’accumulation de sédiments a permis une agriculture sèche : oliviers, pois chiches, fruitiers… Après-guerre, la déprise agricole va laisser ces parcelles s’enfricher, d’abord de garrigues, puis de pins d’Alep.
Parallèlement, ce paysage de pentes aménagées est devenu attractif pour la construction, avec une orientation sud sud-ouest, une vue sur mer. Nous voyons aujourd’hui des maisons intercalées de pins et de cyprès. Au lieu d’un front net avec le milieu naturel, ce tissu mixte crée des circonvolutions entre les habitations et la végétation et accroît de manière exponentielle le linéaire d’interface habitat-forêt. C’est une configuration critique pour la défendabilité du secteur par l’absence de rupture de combustible, contribuant à réduire l’intensité d’un feu.

Le Pin d’Alep, un pyrophyte actif

Les pyrophytes sont des plantes qui tirent profit du feu soit en étant favorisées par les incendies, soit en ayant besoin du feu pour compléter leur cycle de vie. Chez le Pin d’Alep, le feu fait fondre la résine des pommes de pin et libère ses graines légères et ailées, qui vont ensuite profiter du sol incendié riche en potasse pour germer. Mais le Pin d’Alep est aussi un pyrophyte actif : il favorise la propagation du feu !
Le port du pin d’Alep mâture montre 3 étages de branches : des branches basses qui tombent vers le sol, des branches intermédiaires horizontales et des branches élevées dressées. Cela permet la propagation du feu depuis la garrigue basse vers le haut de l’arbre : c’est l’échelle du feu. Une fois l’arbre embrasé, il dégage des terpènes un gaz hydrocarbure qui apparaît avec l’évaporation de la résine, hautement inflammable et poussé par le vent et les effets venturi dans un vallon. On comprend alors l’importance dans le défrichement de couper les branches basses du pin d’Alep jusqu’à une bonne hauteur (environ 3m). 
[…]

Le cyprès, l’arbre chic qui fait boum

Il est historiquement planté par l’homme pour son symbolisme (accueil, vie éternelle) mais aussi comme investissement pour les enfants (futures poutres). Il a ensuite fait partie de plantations ornementales prisées dans le développement pavillonnaire, pour faire des haies brises-vues notamment. Le cyprès a une caractéristique d’allélopathie : il empêche les autres espèces de pousser sont son port, et crée ainsi une épaisse litière sèche. 
Il est particulièrement dangereux en cas d’incendie, car il va dégazer d’un coup des composés combustibles volatiles, qui avec l’oxygène de l’air, à une température suffisante vont faire : BOUM ! 

La présentation de ces deux espèces comme des bidons d’essence, voire des bombes en puissance, nous amène à nous demander : que faire de nos pins et de nos cyprès ? 

Katia. Dois-je me réjouir ou me désoler que mes pins n’aient pas été touchés par l’incendie ?

Patrick Jeannot. La lisière est cet espace de contact entre l’arbre de la forêt et l’arbre de jardin. Si l’arbre est un “bidon d’essence”, le bon sens dicte non pas de l’éradiquer mais d’au moins en réduire le nombre. 
La prévention va consister à : 
– éviter les espèces les plus inflammables (pins et cyprès) à moins de 50m des maisons (et en aucun cas de houppier qui surplombe le toit de la maison)
– privilégier d’autres essences feuillues près des habitations (platane par exemple)
– couper l’échelle du feu verticale en coupant la végétation basse sous l’arbre et en taillant les branches basses du pin (jusqu’à 3m)
– réduite le contact horizontal : au sol par défrichement de la végétation basse, et en hauteur en évitant le contact entre les houppiers des arbres. 
On n’est donc pas obligé de faire un désert, et on peut aussi apprendre à profiter d’un paysage plus ouvert.

Maintenir le sol après le feu : la fabrication des fascines dans le fond du vallon Pichou

Basile Viguérie. Sur cette parcelle de la Ville de Marseille, la ville a fait intervenir une entreprise privée en marché public pour faire de la RTI (Restauration de terrains incendiés) en fabriquant des fascines. 

Les fascines

Les fascines sont des dispositifs permettant de retenir les eaux et le sol lors des pluies qui suivent un incendie, quand le terrain a été mis à nu. On abat les arbres brûlés et on utilise les troncs et les branches en barrages perpendiculaires à la pente. En cas de pluie, l’eau et les couches de sol superficiels qu’elle emporte sont retenues par les branchages, et l’eau peut pénétrer le sol. Cela permet d’une part de prévenir des coulées potentiellement destructrices en aval, et d’autre part, en limitant l’érosion du sol, de faciliter la reprise d’une végétation sur les terrains en pente. 

La fabrication de fascines sur la parcelle de la ville dans le vallon Pichou a nécessité 3 jours de travail pour 6 bûcherons professionnels. Cette action a demandé à ces deux services distincts de travailler ensemble, ce qui est nouveau et prometteur : 
– le service Protection et réduction des risques
– et le service Espaces naturels et biodiversité. 

Cet aménagement a été réalisé aussi pour servir de démonstration à destination des habitants et de la collectivité. La présence d’un technicien de la ville suscite à la fois salut (“merci d’être venu, c’est courageux”), des interrogations et des réclamations : les habitants ont besoin d’être mieux informés, qu’on revienne vers eux plus souvent, avec plus d’explications. 

On se demande également  pourquoi la ville ne peut pas elle-même intervenir sur des parcelles privées quand il y a un danger potentiel de feu (OLD non – ou pas assez – réalisées) ou de glissement de terrain (quand l’habitant ne peut à lui seul effectuer ce type de travaux). A priori, la Ville n’a pas le droit d’intervenir sans l’invitation d’un particulier. Dans ce dernier cas, elle peut venir le conseiller. Mais elle n’a pas vocation à prendre à sa charge les travaux, qui incombent tant pour les OLD que pour la restauration des sols au propriétaire. Mais est-ce aussi inéluctable ? Et s’il y avait un arrêté préfectoral ?  Et ailleurs en France, c’est toujours le cas ? 

 » L’obligation légale de débroussaillement (OLD) incombe au propriétaire privé (Code forestier, art. L131-10 à L131-16).
La commune ou l’État ne peuvent pas intervenir directement sur une parcelle privée sans autorisation du propriétaire, car cela constitue une atteinte au droit de propriété (article 544 du Code civil).
Seule la mise en demeure du propriétaire est possible, via :
– un avis ou courrier officiel de l’autorité compétente (maire ou DDT(M)) ;
– éventuellement, procédure d’astreinte si l’obligation n’est pas respectée.
Les autorités peuvent ensuite prendre en charge les travaux (par adjudication ou marché public) mais uniquement aux frais du propriétaire, selon art. L131-14 du Code forestier. C’est le mécanisme dit de « travaux d’office » : la ville ou le préfet fait réaliser le débroussaillement non exécuté, et facture ensuite le propriétaire. (Rarement mis en oeuvre en raison de l’insolvabilité de certains propriétaires = trop risqué pour la collectivité d’avancer les frais sans garantie de récupération des frais). »

Jordan Szcrupak : Il serait important de trouver des manières plus collaboratives et diverses de gérer les OLD ou d’intervenir auprès des propriétaires. Mais les collectivités ne peuvent pas répondre de manière personnalisée à toutes les demandes individuelles. Elles ont besoin d’habitants qui s’organisent pour converser avec eux. Par exemple, des habitants de l’amont et de l’aval d’un même vallon peuvent être solidaires pour œuvrer ensemble dans un esprit de bien commun (débroussailler ensemble, faire des restanques, jardiner pour retenir l’eau à partir de ce qui est là …).

Patrick Jeannot. Beaucoup d’actions simples et peu couteuses peuvent être faites : des fascines, mais aussi des recépages d’amandiers, ou des plantations de thym, qui est une plante très efficace pour retenir les sols. 

Jordan Szcrupak. Il existe des solutions juridiques pour agir ensemble. On peut partir d’une association loi 1901 rassemblant des riverains, puis évoluer vers une Association syndicale libre, qui est une personne morale qui rassemble des propriétaires qui veulent agir en commun. Cette ASL peut même devenir une Association syndicale autorisée (sur décision du préfet), qui donne des moyens d’agir plus étendus pour agir sur des fonciers privés et publics. 

Baptiste Viguérie. Il y a des pistes à creuser dans cet état d’esprit coopératif pour encourager l’application des OLD. Cette idée d’un troupeau qui interviendrait auprès de groupement d’habitants est l’une d’entre elles.

Est-ce que ce vallon Pichou ne représente pas une opportunité pour imaginer une restauration pensée collectivement entre habitants et collectivité, pour que cet espace devienne un commun pour les riverains et que les techniciens puissent aussi y expérimenter leurs idées ? 
Pourrait nous inspirer : les chantiers participatifs entre habitants menés par l’association ULPI depuis 1983 à Langlade dans le Gard.

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