Art, science et participation : qui, que, quoi, dont, où ?

Article extrait du Fanzine Paysage Pas sage #2

(septembre-décembre 2024)
Écrit par Noémie Behr

Présence des micro-plastiques dans l’étang de Berre, état biologique du ruisseau Caravelle-Aygalades, qualité de l’air et présence de lichens… Les scientifiques nourrissent continuellement nos expériences. Dans quelles conditions pouvons- nous faire de leurs recherches un savoir commun ? Quel rôle peuvent jouer les artistes dans la production et le partage de connaissances ?

Cela fait 10 ans à présent que nous explorons et documentons avec les habitants, les artistes, mais aussi les chercheurs, ce que c’est que d’habiter ce territoire, dans toutes ses dimensions : écologiques, sociologiques, géologiques, historiques… Cela prend la forme de grandes enquêtes, d’expérimentations artistiques, de publications. Avec la prise de conscience de la crise écologique, et de la nécessité de nourrir une recherche partagée sur le vivant et les communs, l’idée de voir nos pratiques comme une vaste recherche-action s’est progressivement imposée. Utiliser ce terme, alors que nous ne sommes pas nous-mêmes scientifiques, est pour nous une manière de revendiquer que nous sommes aussi producteurs de savoirs, des savoirs qui seraient des communs, issus de l’interaction entre différentes catégories d’acteurs et de catégories de connaissances.

La dimension de l’imaginaire et du sensible, et donc le rôle des artistes, est centrale dans cette démarche. Il ne s’agit pas seulement d’une couche d’émotion et de subjectivité qui viendrait enchanter ou illustrer notre rapport au réel, ni d’en faire des agents d’animation de la participation citoyenne, brandie comme échelle de valeur ou comme argument marketing de l’action territoriale.

Nous croyons, comme Jean Cristofol1, que les artistes mettent en œuvre au-delà de leur subjectivité, des démarches actives et critiques d’investigation d’une relation au monde. Ils ont une part cruciale dans la production de savoirs collectifs, qui mêlent savoir et sensible.


Le collectif des Gammares qui s’est constitué pour prendre soin du ruisseau Caravelle-Aygalades, est un exemple de processus dans lequel l’appropriation citoyenne d’un enjeu écologique a intégré dès l’origine le rôle des artistes.

Le Laboratoire Plastique de Pamparigouste en est un, qui propose pendant 3 ans de mener de front une recherche physico- chimique, une recherche sociologique et une recherche artistique, avec comme sujet central la présence des micro- plastiques dans l’étang de Berre. Nous proposons aussi cet automne Airwalk : un programme de balades conçues avec les artistes du collectif SAFI pour mieux comprendre les questions de qualité de l’air au travers de l’observation des lichens.

Ces deux dispositifs ont été imaginés en connivence avec l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions (IECP) de Fos-sur-mer. Ce laboratoire de recherche original, qui cultive son indépendance et sa gouvernance partagée avec les habitants concernés par les pollutions, a mis la participation citoyenne au cœur de sa raison d’être. Avec le dispositif VOCE2, ils proposent aux citoyens de récolter de la donnée environnementale selon des protocoles scientifiques robustes, permettant de nourrir le travail des chercheurs.

Nous avons invité les artistes à venir s’enrichir du travail de l’IECP (mais aussi des laboratoires CHROME de l’Université de Nîmes, de l’UMR G-eau de l’INRA) et de partager avec les scientifiques leurs propres démarches de recherche artistique. Cela pose la question de la pratique qui est parfois intitulée art-science. Comprise de manière simpliste, elle serait le fruit de la rencontre de deux domaines distincts, celui des sciences d’un côté, et celui de l’art de l’autre, dont le croisement créerait une sous catégorie de productions issues des collaborations des uns et des autres.

Jean Cristofol propose plutôt de voir ces rencontres comme des moments de trouble, de déstabilisation, de perturbation qui valent justement par cela. La relation art-science est ainsi une façon pour les artistes comme pour les scientifiques de mettre en jeu leurs propres activités, leurs propres pratiques, et leur propre relation au réel et à la société civile. C’est ainsi le jeu de ces multiples interactions, croisements et parfois rapports de force entre sciences et techniques, récits et images, enjeux écologiques et sociaux qui est passionnant et qui continue de nourrir notre désir d’expérimenter. C’est aussi pour nous la condition non seulement pour produire mais surtout pour “pratiquer” un savoir partagé comme le dit Vincent Puig1 c’est-à-dire de le rendre mobilisable, à même de donner aux citoyens que nous sommes un moyen d’agir dans notre champ social et sur notre environnement.

1 Cet article s’inspire des contributions de Julie de Muer, Vincent Puig et Jean Cristofol dans le n°1 des cahiers Mésozoaires “Synergies. La recherche artistique participative”, édité par l’École Supérieure d’Art d’Aix en Provence et les presses du Réel.
2 Pour en savoir plus sur les Volontaires pour l’observation citoyenne de l’environnement (VOCE), rendez-vous sur le site www.institut- ecocitoyen.fr

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