Le triangle métropolitain : D’Aix-TGV à Pas-des-Lanciers
Lundi 20 avril 2015 – LE TRIANGLE MÉTROPOLITAIN : D’Aix-TGV à Pas-des-Lanciers
De la frontière communale Aix/Vitrolles à la frontière communale Marignane/Saint-Victoret, du plateau de l’Arbois vers la cuesta des Pennes, au fil de la rivière de la Cadière, sous les autoroutes et à travers les zones d’activité, en balcon sur la mer de Berre et son aéroport.
Départ gare Saint-Charles, 9 h 14, TGV 9860. Rendez-vous au wagon-restaurant, où se pressent une trentaine de personnes en grappes. Quartiers Nord de Marseille, marché d’intérêt national. Long tunnel pour quitter Marseille, presque partout coupé de ses voisines par des montagnes que trouent routes et rails.
Arrivée onze minutes plus tard gare TGV d’Aix, cernée de parkings débordant dans son paysage de collines. Au loin, vers l’est, la Sainte Victoire, grise ce matin-là, nous contemple, comme la cheminée de la centrale de Gardanne, balise des promeneurs.
Quelques gouttes tombent quand nous nous regroupons sur le côté ouest de la gare. Présentations expéditives dans le bruit des autos qui passent sur la RD9, grand ruban d’asphalte en tranchée reliant Aix à Marignane, une gare à un aéroport. Nous partons à la découverte de cette métropole qui existe sous les roues des scooters, des automobiles, des trains, des autocars et sous les pieds de tous ceux qui en usent ; dont les 1,8 million d’habitants qui travaillent, vivent et aiment dans ces 93 communes et ces 3173 km2. Une métropole qui prendra corps le 1er janvier 2016.
Millions de voyageurs
Les marcheurs s’engagent sur la petite route de goudron craquelé qui surplombe la RD9 et longe une garrigue et des pins. Cette gare au milieu de nulle part fut dans les années 90 l’objet d’une féroce bataille entre Air France et la SNCF. L’un voulant centraliser les transports à venir, l’autre imaginant une ligne TGV Paris – Lyon – Sud-Est à son échelle. La disponibilité des terrains, dont beaucoup appartenaient au conseil général, et la volonté du maire d’Aix, Jean-François Picheral, que cette gare soit proche du pôle d’activités en création, ont finalement convaincu le préfet qui décida de cet emplacement surprenant. Si cette gare voit 2,5 millions de voyageurs par an, ce sont quand même les autocars qui sont les grands transporteurs de passagers au quotidien : 10 millions de voyageurs chaque année grâce à un budget départemental des transports de 100 millions d’euros.
Le goudron écaillé qui montait légèrement devient plat : apparaît alors un paysage qui montre l’immensité du territoire. Le grand ouest de la métropole, en quelque sorte. Elle englobera cet étrange plateau de l’Arbois, maquis de creux et de vallons, qui contient quelques arpents cultivés, un vaste bassin de rétention d’eau douce et plusieurs curiosités dont le centre national d’entraînement des pompiers, qui comporte un faux morceau d’autoroute et des faux immeubles. Mais la métropole englobera aussi l’étang de Berre, vaste lac marin qui accueille quelques-uns des imposants établissements de la région, même si certains d’entre eux, les raffineries par exemple, sont en difficulté.
René Borruey, architecte et historien (1), dos tourné au paysage panoramique, entreprend de résumer l’histoire séculaire «d’une aire urbaine à ce point disloquée par les reliefs et dominée par les espaces naturels». Et de son unification toujours retardée. Il souligne l’éternelle prééminence voulue par Marseille, incapable, même en plein déclin, de se concevoir comme faisant partie d’un ensemble sans en être leader ; et l’hostilité des autres communes à accepter cette prééminence, alors qu’elles en dépendent.
«Métropolitains par nature»
On double quelques branches coupées mal entassées puis le sentier ouvre sur le haut d’une immense décharge de boues rouges, ces envahissants déchets de bauxite qui défigurent le département – Marseille en tête – et marquent d’une immense hémorragie la falaise de Vitrolles. Philippe Mioche, historien des industries, raconte l’étonnant parcours de ces restes de la fabrication d’aluminium, apportés par des camions rougis jusqu’en 1968. Au loin, au pied de la coulée rouge, le Stadium, immense cube gris-noir érigé par l’architecte Rudy Ricciotti, étonnant édifice sportif et musical abandonné, qui aura coûté cher, tant financièrement que politiquement, à la municipalité socialiste chassée en 1997 par le Front national.
La rencontre avec le jeune maire PS de Vitrolles, Loïc Gachon, a lieu devant la source de la Cadière. Dans cette ville saturée de routes et de grandes surfaces, envahie de voitures et de camions, le cours d’eau jaillit d’une grotte de pierre rose où s’est niché un figuier. Sous cet ombrage, Gachon raconte sa cité : ville nouvelle pensée au début des années 70, Vitrolles devait accueillir 200 000 habitants. Aujourd’hui, elle en compte 46 000 et n’est pas, contrairement à une idée reçue, «une ville-dortoir : c’est un pôle d’activité aux polarités atomisées», avec ses deux zones industrielles, les Estroublans et l’Anjoly. Pour le maire, «les Vitrollais sont métropolitains par nature» : car si les grandes communes envoient tous les jours des salariés à Vitrolles, sa ville en envoie travailler dans les mêmes proportions dans les autres cités de la métropole… «C’est pratique et ça fonctionne, poursuit-il, la femme travaille à Aix, le mari à Marseille, et ils habitent ici.»
Favorable au projet métropolitain, Loïc Gachon craint que la nouvelle institution ne passe «dix ans à s’occuper des cuisines, des questions de pouvoir, et pas des questions majeures». L’élu se souvient avec amertume – et ironie – de la genèse du projet : «Même au sein du groupe socialiste du conseil général, majoritaire et dont j’étais membre, raconte Gachon, il y avait toujours deux réunions : celle des Marseillais et celle des ruraux !» Terme vaguement méprisant qu’avait popularisé l’ancien maire de Marseille Gaston Defferre pour exprimer son refus d’une quelconque métropole. Defferre avait peur des mairies communistes qui cernaient sa ville – et les élus rouges lui rendaient la pareille, qui ne voulaient surtout pas passer sous la coupe de Marseille.
Pieds nus sous l’A7
Les promeneurs abordent le quartier des Pinchinades. Les aménageurs urbains, influencés par le paysagiste Georges Demouchy, ont su faire profiter le lotissement d’un canal issu de la Cadière – et un robuste chêne rappelle le socle où s’est bâtie la ville. La descente sous les grands platanes emmène au domaine de Fontblanche où le cinéaste René Allio inventa en 1979 le Centre méditerranéen de création cinématographique – et où se tient depuis 2003 le Charlie Jazz Festival.
Au bord du plan d’eau de la Tuilière, le pique-nique est servi par le chef Pierre Giannetti : «Confiture d’ail, radis blancs, terrine de joue de porc-piquillos-citron, rôti de porc, courgettes, sauce de fanes aux agrumes et gingembre, salade de fenouil, salade de chou rouge, sauce grenade et cebettes, fromages de chèvre et confiture de tomates, petites pommes, pain de campagne ». Face au tunnel aménagé sous l’autoroute pour permettre le passage de la Cadière, les marcheurs se déchaussent, remontent leur pantalon et avancent prudemment sur le fond caillouteux et parfois glissant de la petite rivière, sous l’autoroute A7.
Des berges en friche, un pont aux rambardes déglinguées, une route, et l’on s’élève vers un hameau entouré d’exploitations maraîchères. Jean-Marc Bertrand, de la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, montre les serres angulaires en verre, «étanches, chauffées et capables de faire pousser du hors-sol», qui coûtent «un million d’euros par hectare». Il explique surtout que le département produit «de quoi alimenter quatre métropoles et que 95 % de sa production quitte la région».
«Une photo avec mon ennemi»
Une ligne de crête offre une vue nouvelle. A l’ouest, se devinent Martigues et ses cheminées plus ou moins pétrochimiques. Plein nord, se déploie une grande vue transversale de l’étang de Berre dont on aperçoit les raffineries ; sur sa rive sud, plus près de nous, sont installés deux établissements majeurs de la région : l’aéroport, que l’on continue d’appeler «Marignane»; et Airbus Helicopters, que l’on nomme encore «Eurocopter». Philippe Mioche raconte l’histoire de ces deux entreprises mitoyennes, héritage lointain et incontestable de l’inventivité du Marseillais Henri Fabre qui fit voler en 1910 le premier hydravion du monde sur ce plan d’eau.
Le périple s’achève à la gare de Pas-des-Lanciers, où nous attend le maire de Saint-Victoret. Claude Piccirillo, 70 ans, élu et réélu depuis 1995, chaleureux retraité, aime parler, agir, et par-dessus tout sa ville et ses 7 000 habitants. Il les raconte avec enthousiasme et les défend contre tout. Et donc contre la métropole en gestation dont il est, «comme tous les citoyens de la ville», un adversaire déterminé. «Le maire est le pilier de la démocratie». Pour lui, avec la métropole, tout partira à vau-l’eau, sous la direction des hauts fonctionnaires. La démocratie sera donc bafouée car le maire «représente le peuple», et fait trois choses majeures : «Il aménage le territoire ; il est le ciment entre les citoyens ; il représente l’esprit de clocher.» La sentence est radicale : «Avec la métropole, le maire n’est plus rien.»
Le préfet Laurent Théry, en charge de cette métropole en gestation et qui marche depuis le matin avec l’équipe, lui répond dans un sourire que «le maire sera toujours le maire». Piccirillo ne s’arrête que pour la photo «avec mon ennemi», le préfet Théry, aux côtés duquel il s’installe en souriant.
Le train du retour s’arrête à Pas-des-Lanciers à 17 h 18 et arrive à 17 h 33 à la gare Saint-Charles, en haut des magnifiques escaliers inaugurés en 1927, au cœur de Marseille Métropole.
Un récit de Michel SAMSON pour Le Bureau des guides du GR 2013 publié dans Libération
Partagez cette balade en écoutant comme si vous y étiez quelques-uns de ces échanges, sur les chemins…
Point 4 – Le Stadium de Riciotti
Co-production Euphonia / Bureau des guides du GR2013. Productrice : Julie de Muer – Réalisation : Jean Baptiste Imbert
© Philippe Conti
© Philippe Conti
More Informations
En 2015, à l’orée de la consultation urbaine et territoriale organisée par la Mission interministérielle pour le projet métropolitain, le Bureau des guides du GR2013 a proposé aux équipes d’architectes et d’urbanistes en charge du projet de Métropole Aix-Marseille-Provence de partir à l’exploration du territoire pendant quatre jours, au long du sentier métropolitain : des journées de marches ponctuées de discussions et d’échanges, de repas face aux paysages partagés avec les membres des équipes mais également avec la mission interministérielle, les élus, les participants aux chantiers, les habitants. Présentation du projet ici.