Le Bureau des guides, amené par l’artiste-randonneur Hendrik Sturm, a imaginé une randonnée sauvage sur le plateau de l’Arbois, où le conseil départemental a inauguré début avril un parc de 800 hectares. Le lieu a notamment accueilli après la guerre un gigantesque camp militaire américain, fil rouge d’une balade plus imaginaire que patrimoniale.
« Trouver les choses qui ne sont pas sur la carte, ou que l’on n’arrive pas à lire et qui ne se découvrent qu’une fois sur place ». À l’occasion de l’inauguration du parc départemental de l’Arbois début avril, l’artiste randonneur Hendrik Sturm a créé une balade restituant une enquête qu’il a menée sur les histoires de ce lieu aux airs de no man’s land. Souvenez-vous, Marsactu avait déjà suivi ses pas en 2013 lors d’une balade dans les quartiers Nord. Le voilà de nouveau avec le bureau des guides pour un itinéraire sur un lieu comme ils les aiment : à la fois très sauvage, laissé à la garrigue, avec une vue tant sur la Sainte-Victoire que sur la chaîne de l’Étoile, et marqué par les différents usages passés et actuels. Entre une zone d’activités et une gare TGV, ce n’est vraiment pas le genre d’endroits où l’on imagine passer son samedi.
Une douzaine de marcheurs ont répondu à l’invitation du bureau des guides. Le chapeau s’avère de circonstance au vu de la hauteur du couvert végétal. La plupart sont des habitués des balades autour du GR2013, ce chemin de randonnée de 365 kilomètres qui parcourt les Bouches-du-Rhône sous forme de 8, depuis la capitale européenne de la culture. La balade se mérite : le parc n’est accessible qu’en voiture le week-end et pour le trouver, il vaut mieux connaître ou faire preuve de patience. Après avoir contourné la gare TGV et ses nombreux parkings, il faut passer le barrage du Réaltor, le parking, les nouveaux aménagements départementaux se trouvent juste après le siège de la garde à cheval.
En ce samedi matin, les équipements tout neufs (dont des toilettes sèches) contrastent avec le peu d’humains, à l’exception du petit groupe qui s’est donné rendez-vous. Après de brèves présentations, Hendrik Sturm dessine d’un coup de laser l’itinéraire de 12 kilomètres prévu initialement en six heures. Le camp américain, annoncé en tête de programme, fait office de point d’arrivée. L’artiste-promeneurs distribue aussi des gants et des sécateurs, premiers indices de la nature de la randonnée qui attend les motivés. Aux pistes trop aseptisées, exposées à un soleil de plomb, il préfère les chemins de traverse riches en détails.
D’un tunnel à un autre
Les marcheurs quittent l’ombre d’un abri en bois flambant neuf pour le lit à sec du ruisseau le Mérindol qui a donné son nom à un petit hameau voisin. Là commence la « randonnée sauvage », telle que s’en amuse Renée, 76 ans, bâtons de marche aux poignets. Au gré des pas, les ronces se font plus menaçantes. Premières griffures de la journée. Après avoir remonté le Mérindol, il faut passer le premier obstacle de ce parc : la ligne TGV, construite au début des années 2000. Là encore, pas question de prendre un des ponts qui la surplombent. Suivant l’artiste marcheur, les randonneurs passent en dessous. Une petite échelle puis une autre, ils quittent les murs aux graffitis psychédéliques pour l’obscurité d’un tunnel en béton, qui doit permettre l’écoulement des eaux.
Après le TGV et son large ballastage, arrive un tunnel d’une toute autre époque, sous le canal de Marseille qui amène l’eau de la Durance aux Marseillais. À la fraîcheur des pierres taillées « à la marseillaise », laissées quasi brutes sur leurs faces apparentes, Hendrik Sturm demande à un des participants de lire à voix haute un extrait de Promenade sur les bords du canal de Marseille, d’E. de Saint-Ferréol (à lire en intégralité sur Gallica, sur ce lien). Dans ce texte de 1854, l’ingénieur y décrit les ouvrages réalisés le long de son tracé. Ce document retrouvé est le fruit du travail de documentation que mènent le bureau des guides et leurs invités sur chaque lieu exploré. Chaque petite trace d’activité humaine donne lieu à des recherches, des interprétations sur l’usage et l’histoire.
Dans le cas présent, ce sont deux vallons aménagés en bassins d’épuration au XIXe siècle, afin de débarrasser l’eau de la Durance de ses limons. Sans les explications du guide, le promeneur n’aurait probablement jamais atterri dans ce vallon, ni remarqué les bas murs en pierre qui le bordent. Autre petite surprise soufflée par l’ouvrage, en se positionnant à un endroit bien précis, les curieux peuvent découvrir une succession de trois tunnels creusés dans la roche. Pour apercevoir la lumière qui pointe à l’autre extrémité, il faut suivre les indications laissées par l’ingénieur en 1854. Un peu plus loin, seuls les plus courageux s’aventureront dans un tunnel creusé entre les deux vallons. Il est à sec mais dans l’obscurité totale. Les sangliers l’apprécient pour sa fraîcheur et les boues qui y sont restées. Dominique, la soixantaine bien passée, s’extasie d’une telle découverte à deux pas de chez lui. « Où habitez-vous? » lui demande Loïc Magnant du Bureau des Guides. « Calas, au lotissement du Lac Bleu, vous connaissez ? » -« Oui, on a demandé à pouvoir y faire passer le GR2013, on n’a jamais réussi.. » -« Ah bah oui quand même, on a dit non pour que les gens traversent. »
Calas staging area
Encore quelques pas et au bout du vallon apparaît une ruine, annoncée en début de visite. La ligne à haute tension est encore là, comme partout semble-t-il sur le plateau de l’Arbois. La ferme de la Vautubière, entourée de champs que l’on devine aujourd’hui entretenus par les chasseurs pour nourrir le gibier. « On appelle cela des manges », complète le photographe Geoffroy Mathieu, habitué des balades autour du GR2013. Des abreuvoirs ont aussi été installés pour le gibier. Longtemps terrain de jeu des chasseurs, ce plateau est aujourd’hui partagé entre trois sociétés. L’activité de chasse y est encore intense, en témoignent les nombreuses cartouches abandonnées dans tous les vallons. Sous le chêne vert, devant la ruine, pas trop près non plus des tuiles menaçantes, le pique-nique est enfin tiré du sac. Le camp américain revient dans les conversations et intrigue les marcheurs. « Le camp, connu sous le nom de Calas staging area, faisait 8,5 kilomètres sur deux, explique Hendrik Sturm. On estime qu’il a accueilli jusqu’à 100 000 hommes simultanément, de septembre 1944 à janvier 1946. » Un camp de transit avait été aménagé sur ce plateau, pour une partie des soldats ayant participé à la Libération avant qu’ils ne partent vers l’Asie. De cet épisode historique, il ne reste plus grand chose, à part quelques photos mises en ligne par des passionnés d’histoire militaire ou des proches de soldats.
L’artiste sort de son sac à dos un petit livre, L’Amérique en Provence, le camp de Calas 1944-1945*, écrit par deux habitants et deux historiens. L’ouvrage décrit notamment les infrastructures mises en place à l’époque : les tentes avec l’électricité, les cinq théâtres dont trois ouverts, le camp de détention aussi, l’approvisionnement en eau depuis Roquefavour… De tout cela, il ne reste pas grand chose, prévient Hendrik Sturm, du fait de la revente de matériaux et du matériel militaire américain après la guerre, ici comme ailleurs. Comme pour prévenir les marcheurs d’une déception. Chacun consulte l’ouvrage, parcourt les photos. La pause est aussi l’occasion d’échanger sur la pratique de la marche. Renée explique par exemple qu’elle ne peut plus suivre les clubs classiques, trop rapides désormais pour elle. « Nous on marche à 2 kilomètres par heure là où un club marche à 4 », confirme Loïc Magnant, qui revient pour certains sur l’histoire du GR2013 et sur les animations menées par le bureau des guides pour que le sentier de grande randonnée ne tombe pas dans l’oubli et les broussailles. Café et chocolat à peine servis, il est l’heure de reprendre la marche, en direction d’une autre ruine, à quelques kilomètres. Sur l’histoire de ces vestiges, l’artiste évoque une mission confiée par le conseil départemental à un architecte, spécialiste des ruines, Xavier Boutin. À la demande des marcheurs, désireux d’en savoir plus sur leur histoire, il décide de lui passer un petit coup de téléphone pour savoir où il en est de ses recherches. Surprise : l’intéressé propose spontanément de rejoindre le groupe à la ferme Mion.
Des pylônes électriques et de rares fondations en béton
L’itinéraire emprunté à partir de là est plus conventionnel, balisé récemment par le conseil départemental sous le nom de chemin du Badaïre. « Cela vient du provençal bader, se promener », indique un des marcheurs. Le plateau domine le pays d’Aix et il est tentant d’imaginer la vue de l’autre côté, sur l’étang de Berre. Après avoir traversé un vallon plus vert, planté de chênes blancs, se dresse l’imposant hameau Mion, encerclé de grillages, lui aussi surplombé par une ligne électrique. Le groupe y attend longuement le spécialiste des ruines qui doit venir parler de ses recherches sur cette ancienne bergerie. Finalement, il ne pourra pas venir. La déception est vite chassée par la perspective de voir enfin ce fameux camp américain fantasmé depuis le début de la balade.
Encore un peu de patience et voici les premières traces du camp militaire, les premières et les dernières. Deux grands poteaux électriques, bien différents des récents qui parcourent le lieu, trônent, hors du temps. Des câbles y sont encore suspendus. « J’ai trouvé ici des isolateurs avec la mention « made in usa », raconte Hendrik Sturm. Le camp était entièrement alimenté en électricité. Il faut imaginer qu’ils avaient mis la terre à nu. Les documents font état de tempête de sable terrible, si bien qu’ils avaient fini par arroser avec de l’essence ». À ses pieds, se trouvent des morceaux de béton issus des pylônes. De l’autre côté de la piste, caché par des chênes kermès, se trouvent des fondations en béton sur lesquelles étaient arrimées des tentes ou des constructions en bois. L’artiste marcheur raconte les concerts organisés sur le camp, notamment un de Marlène Dietrich, dont il a trouvé trace dans le journal du camp, conservé dans des archives nationales. Un peu plus loin, se trouve le début de ce qui était surnommée à l’époque la Tokyo Road, une longue avenue autour de laquelle était articulé le camp. Aujourd’hui, elle sert de terrain de jeu aux motos cross. L’arrivée de marcheurs n’inquiète guère deux d’entre elles en pleine séance de dérapage. Du camp, à cet endroit là, il ne reste rien, à part deux grandes pistes parallèles autour desquelles étaient installées les tentes. Le reste est laissé à l’imagination des marcheurs, qui quittent la Tokyo Road assez rapidement, pour rejoindre le lieu de départ. On traverse à nouveau la ligne TGV et le guide du jour livre une de ses dernières anecdotes. La SNCF a dû inventer un dispositif pour les sangliers. Ces derniers réussissaient à entrer sur les voies en détériorant le grillage. En revanche, les bêtes avaient plus de mal à sortir des voies et se faisaient régulièrement percuter par des TGV. « Des trappes de sortie ont été installées tout au long de la ligne. Elles permettent aux sangliers de sortir mais pas d’entrer », détaille Sturm. Bien évidemment, pas question d’essayer de les imiter. Pour les amateurs de photo souvenir, le TGV passe sous le nez des randonneurs. Au moment du déjeuner, un couple d’aigles de Bonelli était également venu se prêter au jeu. Un dernier chemin sauvage à travers la ferme des gardes à cheval et voilà le petit groupe revenu au parking. Avec deux heures de retard. Marcher en parlant ralentit le pas.
* L’Amérique en Provence, le camp de Calas, Daniel Falgoux, Isabelle Marnette, Josette et André Brusson, Editions Persée, 2015.
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Le Bureau des guides du GR2013 propose une chronique au sein du média Marsactu qui met en lumière un aspect du territoire de la métropole. Quelque part entre l’enquête et la promenade, la poésie et le diagnostic urbain, les créateurs du sentier vous invitent dans les coulisses du GR2013. Mises bout à bout, toutes ces histoires forment la trame d’une culture métropolitaine partagée…