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En descendant la Canebière

De novembre 2017 au 26 février 2018

Il existe un patrimoine méconnu et pourtant familier qui sommeille dans des albums de famille. Portraits mouvants, émouvants de passants saisis par l’objectif des photographes de rue, ce sont parents, amis, oubliés et inconnus qui montent ou descendent la Canebière comme nous le faisons aujourd’hui, à quelques détails près. À travers ces modestes et précieux clichés, une autre histoire de cette artère mythique se révèle. Jean-Pierre Moulères propose de ranimer ce fonds éparpillé par le temps et invite les marseillais à aller fouiller dans leurs images personnelles et dans leurs souvenirs afin de contribuer à une collecte et à l’exposition qui en résultera.

En descendant la Canebière est un projet photographique sous le commissariat de Jean-Pierre Moulères, produit par ZINC Centre Arts et Cultures Numériques, financé par le Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône. La Vitrine du sentier est soutenue par le Département des Bouches du Rhône dans le cadre de la redynamisation du centre-ville de Marseille.

 

 

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Nicolas Memain

Peux-tu qualifier en quelques mots ton rapport à la ville ?

C’est une ancienne devise : « il n’y a pas de différence entre l’intérieur et l’extérieur d’une boîte crânienne ». La forme urbaine, la forme construite, comme elle est l’expression des désirs, des besoins, des savoirs de l’humanité, elle est l’expression de la conscience, de l’âme, de ce qu’on a à l’intérieur. En travaillant sur l’extérieur, on travaille sur l’intérieur et vice-versa. La ville est une espèce de grande aventure à la fois individuelle et collective. La seule qu’on puisse avoir entre la naissance et la mort. C’est une expérience ontologique. Pourquoi sommes-nous là, pourquoi y a-t-il quelque chose, deux points, « la ville ». C’est pas une réponse, c’est une formulation calme du mystère.

Comment prépares-tu tes balades ?

J’aime bien avoir une commande. Parce que c’est pas moi qui décide, parce que ce qui est intéressant c’est ce que l’autre veut. Que moi j’aime passionnément, j’en suis conscient, que c’est irrationnel, que c’est excessif, mais qu’il n’y a rien d’autre que la culture, la passion, dans la vie, je le sais. Et rencontrer la passion de l’autre, la passion dans le sens « projet irrationnel », rencontrer le projet irrationnel d’un autre qui a envie d’une promenade, ça me nourrit. Et j’aime beaucoup explorer la demande de l’autre.

J’ai fait beaucoup de boulettes dans le temps, en me tirant des balles dans le pied, en écoutant pas exactement ce que les gens voulaient, en les froissant. Faut surtout pas froisser le client. C’est aussi une économie de service, je le vois comme ça. C’est à la fois de l’art, de la culture, mais c’est aussi une économie, et mon but les années qui viennent, c’est vraiment de le faire rentrer dans le domaine de l’économie privée. Je rêve de ça, je rêve qu’avec le Bureau des Guides on bosse pour Airbus hélicoptère, CMA-CGM, qu’on soit une espèce de prestataire, qu’on organise des réunions promenées, déconfinées. Tu vois, on est cette espèce de monde d’après. La hiérarchie elle est pas la même, le rapport au monde n’est pas le même. Je pense qu’on est hyper gagnant dans le monde d’après.

Et puis après sur les promenades, il y a des trucs très très simples. Je sais quelle est ma singularité, qui est un rapport à la ville qu’on ne regarde pas. Tu vois, j’ai une grande culture architecture urbanisme 20e et jusqu’à aujourd’hui. Le grand public, spécialement français, dit : « du gris béton monotone partout » et moi je dis « oh non regardez, c’est du Bach ». Comme disait Marc Quer, « je fais passer les barreaux de prison pour du Malevitch, pour des œuvres d’art abstraites ». (rires)

Et puis c’est beaucoup le théâtre et les comédiens qui m’ont appris à améliorer ce travail de préparation-là. Il y a à travailler contre le trac. Je vis ça comme c’est de la sculpture, c’est de la peinture, c’est de la musique.
Et je suis sculpteur, compositeur… Et qu’est-ce qui se passe dans l’art ? C’est l’attitude de l’auteur. Donc, il faut absolument avoir une attitude positive, comme un cadeau au groupe. On montre qu’on est content et heureux d’être plein de tendresse et de gentillesse pour les gens qui sont là, pour les choses qui sont autour de nous. Et donc il faut se préparer à ça. Alors, en général, moi je fais des repérages auparavant. Pour rigoler, je disais que j’allais et que j’explorais toutes les impasses. Et c’est un peu vrai.

Je vis ça vraiment comme de la composition. Il y a un début, il y a une fin, et donc il va y avoir un milieu. Et je sais comment le composer pour que ce soit un bon moment passé ensemble. C’est partitionné. Il peut y avoir une montée dramatique, une descente, il peut y avoir une plage d’ennui puis une belle surprise. J’ai des manières de composer ou d’écrire que je connais. A Martigues, vendredi dernier, il y a un moment où on passait par un trou dans un grillage et donc il y a toute une manière de l’amener, pour qu’il soit un peu surprenant. Parce que j’ai envie qu’il soit surprenant, parce que je trouve que c’est pas rien de passer par un trou dans le grillage, parce que je m’engage dans ma responsabilité, dans ma connaissance des textes de loi. Il y a une nana qui s’est pris une écharde dans le doigt au moment du trou dans le grillage. Je sais peser est-ce qu’il y a du risque. Est-ce qu’il y a un risque minimum, pas trop. Donc il faut composer ça comme de la musique. Et c’est très simple, moi je suis un classique. Je suis sur des partitions classiques en trois, en quatre, comme un repas. Entrée, plat, dessert. Mais c’est tout simple. C’est : on naît, on vit, on meurt. C’est toujours la même histoire : majuscule-phrase-point. Ces sont des formes éternelles.

Je pense vraiment que la promenade est une espèce des Beaux-arts. Sauf que c’est une activité artistique qui n’est pas passée à travers l’histoire, parce qu’elle a pas été écrite en tant que telle, parce qu’elle fait appel à l’infra-verbal, elle fait appel à des choses sans mots, elle fait appel à la proprioception, au sens de l’équilibre, au sens de l’espace. Elle fait rapport au corps dans l’espace. C’est un travail sur l’inconscient collectif : comment est-ce qu’on a des mots, qui sont pas des mots, qu’on a ensemble et qu’on peut ne pas dire – puisqu’il y a pas de mots – ensemble. C’est Magritte qui m’a donné ça, moi. Il t’attrape le cerveau parce qu’il sait que sans que tu le saches tu sais que. Et lui il sait que tu sais pas que tu sais. Il a beaucoup de tendresse pour toi, pour arriver à te manipuler, à te montrer que tu savais pas que tu savais que… un tissus écossais, qu’est-ce qu’un nuage, qu’est-ce qu’un ciel, comment tu reconnais un ciel, comment tu reconnais la silhouette humaine, les valeurs de luminosité, qu’est-ce qu’un paysage, la micro-gestuelle du visage. Tu sais tout ça. Tu sais des choses Et c’est une aventure.

Donc j’essaie de composer. Mais comme il y a toujours une part d’impro – parce que c’est pas possible de vraiment tout caler dans une promenade, sinon c’est vraiment pas intéressant – d’abord il faut que tu sois très très ouvert à l’événement, il faut que tu sois très très ouvert à ce qu’il va se passer, il faut que tu sois prêt à l’accueillir.

Et dans l’événement à accueillir, il y a le groupe… On est une espèce de gros cerveau collectif. Je témoigne de ma singularité mais dans le groupe il y a d’autres singularités. Il y a des savoirs, il y a des manières de voir. Et faut pas choquer. Il faut pas dire « les choses elles sont comme ça et pas autrement ». Il faut parler au conditionnel, il faut être doucement ironique, au second degré. Tu ne sais pas si c’est vrai, tu ne sais pas si c’est une fiction, tu ne sais pas si c’est drôle, ou si c’est triste. Tu es dans un domaine de production de verbe où tout est ambigu. L’auditeur, le spectateur, le participant, dans l’ambiguïté, il va attraper des trucs dont il a besoin, lui. Et dans cette ambiguïté, il faut toujours laisser des portes ouvertes pour que le public participe. Donc faut l’écouter, le public. Il faut faire traîner l’oreille en même temps. J’ai des techniques de chauffes, faire démarrer la chose. Et quand ça démarre, il faut vraiment être très très sensible aux personnes qui vont avoir envie de te répondre. Et une fois que ça tourne, il y a des moments très magiques où il y a presque plus rien à dire. On est une espèce de grand corps ensemble et chaque partie du corps va donner sa note de musique. Et ensemble on va faire la mélodie.

Et j’ai une autre règle, qui est plus pragmatique qui est, il faut que t’aies des toilettes. S’il y a un besoin corporel qui demande de l’intimité et de l’hygiène, il faut que tu puisses donner à la personne du groupe qui en a besoin de l’intimité et de l’hygiène.

Quelle idée tu te fais d’un bon trajet ?

Je suis hyper emmerdé par le bruit, les voitures et la chaleur. Il y a une histoire de confort. Je sais comment je me sens confortable. Et je vois dans les réactions des autres que, eux, ils sont différents. Tu vois par exemple, le rapport à Paul-Hervé m’a beaucoup amené. Il te faisait marcher sur des routes à bagnoles, il en avait rien à foutre. De mon côté, j’étais la : « waa, c’est chiant. » Mais en faisant ça, il m’a montré que ça faisait des années que j’étais coincé sur un truc, tu vois que je luttais trop fort. Que je me faisais mal à pas vouloir avoir de voiture. Et que, à un moment, il faut être un peu plus souple. Il m’a donné ça comme un cadeau.

Il y a une histoire de contraste entre les situations. Pour que ce soit bon, tu dois avoir un truc pas bon. Comme ça, ce qui est bon est encore meilleur par contraste. En peinture, ça s’appelle la patouille. Tu fais un très joli détail, très fin, dans lequel tu vas pouvoir plonger, et pour bien plonger dedans, tu fais un truc moche, très grossier à côté. Et c’est Paul-Hervé qui m’a beaucoup donné ça. Et j’ai compris que je lui ai donné l’inverse, le « fonctionnement en coulisse ». C’est-à-dire, un parcours parallèle à la route à bagnole. Où il y a moins de bagnoles. Qui ne sera pas sur cent pour cent du parcours, peut-être que sur un tiers, la moitié, deux tiers, on ne sait pas. Mais que le fait de passer en coulisse à un moment, ça permettra d’avoir une respiration ou quelque chose de différent. Et c’est plus agréable. Donc en fait la question c’est pas « qu’est-ce qu’un bon trajet ? » C’est : « le trajet il y a du bon et il y a du moins bon, et c’est en orchestrant le bon et le moins bon, le confortable, moins confortable, jouissif, frustrant que c’est bon. »

Qu’est-ce que ça apporte de marcher en groupe ? La différence pour toi de marcher tout seul et en groupe ?

C’est un peu comme la littérature, moi j’ai du mal à écrire, parce que j’ai l’impression que je suis très plein, et que écrire c’est un tout petit tuyau et que j’arrive pas à mettre le très plein dans le tout petit tuyau… Quand je suis tout seul, tout ce qui se passe, je sais qu’il va falloir que j’en restitue une partie quand il y aura du public. Quand je suis tout seul dans l’intimité, il se passe énormément de choses, et je sais que cet océan de choses qui me remplit, je vais pas pouvoir tout donner. Il faut que je choisisse et que je sois stratège dans ce que je donne.

Je vois que comment je suis compris, je le maîtrise pas très bien. Chacun comprend différemment. Il faut préparer trois quatre trucs, et après in situ, c’est tout un truc sur être assez réveillé, être assez vigilant, être assez à l’écoute du groupe, pour arriver à choisir dans les trucs que j’ai préparé sle truc que je vais amener, qui va être juste à ce moment-là, en fonction du groupe. Les groupes sont tous très différents. La personne un peu différente des autres dans le groupe, est-ce qu’on va s’en servir comme d’un catalyseur, comme d’un médiateur, ou comme d’un alter ego avec qui on va pouvoir jouer en face des autres ?

Je fais le petit sport mental de choisir ce que je vais dire, au moment où je vais le dire, pour pas empêcher la parole, pour faire rebondir, pour être juste à ce moment-là. Vraiment, c’est ça que j’ai envie de dire, vraiment, c’est ça que je veux montrer. Et je sais que, à la fin, je suis fatigué, et que quand je suis fatigué, cette machine de choix stratégique, elle marche moins bien, je cale. Alors j’ai pas la solution. Juste on est ensemble, on est fatigué, et en fait l’épreuve collective de la fatigue, elle est vachement chouette. On a construit un entre soi avec des mots, et au-delà des mots, on l’a construit avec nos corps, et tout ça. On est au bout des mots, on les trouve plus, on est au bout des corps, on est fatigué, et on est bien. Voilà. Dans l’immensité de tout ce qui est possible, ensemble, on a vu qu’il y a une espèce de gabarit qui est le temps passé ensemble. Ça c’est une expérience, toujours la même : on a deux bras, deux jambes, et on est fatigué au bout de douze bornes.

Quel est selon toi le principal / plus efficace argument pour réintroduire la nature en ville ?

On a une espèce de fantasme, d’inconscient collectif, de la nature en ville. Mais c’est juste un effet miroir, un rebondissement de ce qui serait un manque de la nature en ville. On est une civilisation très particulière qui n’a jamais été connue historiquement. Et en plus, on est hyper fragile. Et peut-être au bord de la fin. Mais, on a un degré de raffinement technique et artificiel jamais acquis auparavant, et évidemment, dans cette immensité de l’artifice, nous, on vit une expérience cosmique collective unique. C’est la sensation de finitude de la terre, chose qu’on n’avait jamais eue auparavant dans l’histoire de l’humanité, à ce point-là. Non seulement c’est petit, c’est fini, mais en plus, c’est foutu. On est sur cette espèce de micro-radeau en train de couler. Et c’est dans ce contexte inconscient collectif, que la « nature en ville » va devenir une tentative de verbaliser tout ça. Quand on la verbalise, on fait appel à beaucoup de choses complètement irrationnelles et inconscientes. Par exemple, le coup des arbres coupés, moi je maîtrise mal, mais ma culture c’est que tu as le droit de couper les arbres en ville. Pourquoi ? Parce que moi j’ai une culture d’aménageur, et que de toute façon l’arbre si on le coupe pas, il va mourir, il va tomber malade. Puis de toute façon si t’as pas le droit de couper t’es tout bloqué. Mais quand il y a eu l’histoire de la Plaine en octobre 2018, ou maintenant avec l’histoire de la porte d’Aix, je vois l’émotion de l’arbre coupé. Je vois l’irrationnel chez l’autre. Et je sais qu’il faut faire vachement gaffe. Parce que tu peux pas lui dire à l’autre : « mais non on s’en fout, c’est qu’un arbre ». C’est tellement important pour lui qu’il faut respecter ça.

Alors c’est quoi le principal argument pour réintroduire la nature en ville ? D’abord elle est déjà là, et puis on est en train d’essayer de trouver un nouveau compromis, on est en train d’essayer de s’inventer des futurs donc le meilleur argument pour réintroduire la nature en ville, c’est que c’est ça ou le désespoir. On est en train de construire l’arche de Noé… Donc le
meilleur argument ? Je pense qu’on a une immense culpabilité à avoir foutu la planète en l’air, donc en travaillant cette culpabilité-là. Arriver à faire autre chose que de se sentir coupable et d’avoir des remords. C’est-à-dire, se sentir capable de participer à une invention où on sent qu’on fait autre chose que tout foutre en l’air, ben c’est super. Tu sais là, il y a plein de jardins collectifs et de jardins partagés. J’ai vu le jardin Longchamp. Ils sont 60, ils ont 20 m3 de terre polluée, comment tu fais pour te sentir bien ? Et ben c’est super, ils ont 16 bacs en hauteur, et chaque bac, il a 4 ou 5 papas/mamans. Et en fait c’est qu’un prétexte, ils s’en rendent bien compte, c’est tellement petit pour faire de la nature. Ce n’est qu’un prétexte pour se sentir bien ensemble en train de pas pourrir les choses. Parce que de l’autre côté on va partir en vacances en prenant l’avion, de l’autre côté, en cachette, on va vider son chantier de salle de bain, en bas à gauche. Et on paie le remord. Je dirais le meilleur argument c’est ne pas mourir de honte.

En quoi ton travail de guide peut-il avoir un impact sur les modes d’engagements vis-à-vis de la ville ?

Tu sais, je pourrais être une espèce de prophète et en trois mots changer le monde. Mais je n’y arrive pas. Il y a un travail préalable que je n’ai pas fait. Je suis qu’un petit gars. Et aussi je pourrais rester juste dans mon coin, marmonner dans mon coin et tenir un journal intime que je montrerais à personne. J’essaie d’être entre les deux.

Alors je suis poète intermittent, donc je connais la valeur du non-agir. Je connais la valeur de rien foutre. Je sais que c’est une valeur immense. Je suis pas dans l’hypocrisie de l’action non plus. C’est plus une aventure personnelle sur l’engagement et encore une fois le remords : pas avoir trop de remords. Être assez satisfait de ses actions pour que ça puisse continuer. Je suis pas dans Breaking the waves, je suis pas en train de faire un don complet de moi-même pour me détruire pour sauver les choses. Je me maintiens. J’essaie de vieillir à mon rythme, j’essaie d’élever mes enfants. Je vais essayer de voir mes enfants adultes. Je vais essayer de faire en sorte que mes enfants puissent avoir une vie adulte. J’essaie de ne pas me détruire. Je cherche un appartement alors que c’est super dur. Je cherche à avoir des revenus. Je cherche à être poli avec les gens autour de moi pour qu’ils me foutent pas en l’air et pour ne pas les foutre en l’air. Mais c’est plus de l’ordre du jardinage. Je revendique plus qu’un simple travail mais moins que de faire la guerre : la possibilité d’avoir un rapport de jardinage aux choses. C’est chasse, pêche, cueillette et douce agriculture. Je ne suis pas là pour faire de l’intensif. C’est pas une action militante unique martelée.

C’est plus compliqué. C’est la vie d’un homme. Et dans cette vie d’un homme, il y a l’engagement. Cet engagement, il est réel. Et pour le maintenir, il faut pas vieillir trop vite. Il faut pas se faire mal, il faut pas se blesser. Il faut se jardiner. Il faut jardiner la situation, pour que le monde soit toujours fertile.

Je sors d’une grande école, donc je sais qu’il n’y a rien à savoir et que tu peux faire semblant de savoir quelque chose que l’autre ne sait pas pour pouvoir reproduire la division en classe, tu fais croire que l’autre est idiot. Tu peux aussi témoigner devant l’autre du mystère et à ce moment-là, on est tous libres et égaux devant le mystère. Le message que j’ai appris dans les grandes écoles, c’est la Joconde. Pourquoi la Joconde, le tableau de Léonard de Vinci, est cette espèce d’icône intemporelle qui traverse tout ? Pourquoi elle est là, comme un repère dans toutes les situations ? Parce que c’est des choses très simples : c’est la figure humaine dans une paix, dans un calme optimisme. Donc je témoigne, dans un moment de grand inconfort psychologique collectif – parce que c’est ça, c’est vraiment dur -, qu’on peut accéder à une certaine quiétude morale. Je témoigne être paisible et doucement souriant. Et c’est le message. Le message c’est ça. Tu sais, j’aime bien ça, c’est dans la marine anglaise, quand il y a un bateau qui coule, si quelqu’un panique, il faut le cacher. Le message c’est KEEP CALM and CARRY ON. C’est le message qu’il faut amener : la Jucunda, l’agréable. Quand il n’y a pas de différence entre l’intérieur et l’extérieur de soi et qu’on est capable dans les deux de rayonner de paix, d’être calme et agréable. C’est un combat tranquille pour maintenir cet état-là comme un repère indispensable.

Ta propre vision de la nature en ville a-t-elle évolué depuis le début de ce cycle Nature For City Life ?

Moi je pense que c’est une grande hypocrisie. C’est un irrationnel, c’est une grande psychose collective, dans cette psychose collective on va avoir des réponses irrationnelles collectives, qui sont cette lutte pour la nature en ville et on ne sait pas. La mode de désimperméabilisation des sols, elle a cinq-six ans. Et ça y est, maintenant, à Grenoble, ils sont en train de casser les cours de récréation pour faire de la pleine terre. L’histoire des îlots de fraîcheur avec des arbres, ça a une dizaine d’années à peine. La conscience du réchauffement climatique, elle a moins de dix ans. Je ne pense pas que je sois le porteur de vraies solutions. Je suis le témoin de modes et face à ces modes je sais faire, je sais rester calme en voyant la part d’irrationnel qu’il y a dedans. Tu vois, si vraiment il fait chaud comme en Andalousie ou au Maghreb et ben les arbres ils tiennent pas le coup. C’est la question là, on est censé planter un million d’arbres là, à Marseille. On l’a dit, on va essayer de le faire. Mais si dans dix ans on est à plus 2 °C, ils crèvent, et c’est que dalle dix ans pour un arbre. C’est rien du tout. C’est un dixième de sa vie.

On va essayer des solutions. Que la prise de décision elle soit collective, c’est vachement intéressant. Que l’engagement soit partagé, c’est vachement intéressant. Qu’à un moment ça se concrétise en acte politique, en décision, en financement, en action, en aménagement, c’est vachement intéressant. Mais ça ne veut pas dire que c’est ça. On est autant destructeur, à côté de la plaque que l’époque Pompidou avec les bagnoles. Et je pense que ma génération par exemple, les vingt cinq ans qui viennent de passer, là, c’est le greenwashing, on a vécu un grand moment de mensonge. C’est la grande leçon des vingt-cinq dernières années. C’est qu’on ne dit que des conneries. On ne dit que des conneries.

Hier j’étais à Aix, sur des lignes de boulevard du 17e siècle. Les arbres qui sont là, je pense que ce sont des arbres Napoléon 1er, des arbres 1800-1810, des platanes. Tu marches dans une rue qui a été dessinée il y a 300 ans et ça a plein de qualités. Tu reconnais la rue classique : tu as la mixité des fonctions avec les commerces, les activités résidentielles qui peuvent se réfugier dans les zones de calme qui sont en contraste avec les zones de bruits, le collectif, l’intime. Et puis tu marches à l’ombre des arbres donc tu as la douce fraîcheur, l’évapotranspiration qui fait que c’est un petit peu plus frais. Tu es devant une accumulation de bonnes petites réponses d’il y a deux et trois siècles, et ce sont des réponses qui sont peut-être difficiles à expliquer et à partager parce que « c’est qu’une rue avec des arbres ». Cette rue avec des arbres c’est un vieux pacte irrationnel entre l’humain et la nature qui est très très très ancien, qui est très profond et c’est une culture qui est tout le temps à réinventer. C’est le vieux jardinier qui apprend au jeune jardinier des astuces qui sont des trucs qu’il a appris d’expérience, qu’il est incapable de formuler, mais dont il va témoigner par l’attitude. Moi-même en étant artiste, j’essaie de participer par l’attitude et l’engagement tranquille et paisible.  Mais c’est de l’ordre de la prière. Ni l’Europe, ni moi, ne sommes vraiment efficaces, et n’allons réellement construire un futur. On prie pour. On espère. C’est une danse pour que la pluie elle tombe. Mais je crois à l’efficacité du désir et de la représentation pour créer des cosmos partageables. Les choses sont comme on veut bien ensemble qu’elles soient. Tu vois nous on a décidé de vivre une psychose d’apocalypse, on le veut bien. On a les outils pour se les représenter. Je crois à l’ubiquité du genre humain. C’est : dans les camps de concentration, y a des gens qui faisaient l’amour. C’est le film de Benigni, le film où ils sont dans un camp de concentration et il explique à son fils que c’est du théâtre, c’est il y a des esquimaux au pôle nord, il y a des nomades dans les grands déserts. Je crois à l’ubiquité, c’est-à-dire, l’être humain est capable de traverser des milieux très très différents et de s’épanouir à travers ça. On peut transformer la terre en poubelle surchauffée, il y aura une humanité qui vivra dedans. Qui sera capable de se représenter ça comme étant normal.

Cette interview de Nicolas Memain est tirée des cahiers DEHORSCes cahiers ont été réalisés d’après des balades Nature for City Life effectuées entre juin 2018 et août 2020.

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Collectif SAFI

Pouvez-vous qualifier en quelques mots votre rapport à la ville ?

Dalila Alors moi ce que je préfère dans la ville, c’est que c’est un espace d’interaction. Tu as tous les flux – les flux humains, mais aussi les flux végétaux, animaux – qui sont très contraints mais qui existent. Nous, les humains, nous prenons beaucoup de place et donc ça oblige à réfléchir à « comment faire plus de place ». Quand je suis dans la « nature », je ne me dis pas « il faut plus de place pour les animaux ». La ville est rude, très rude pour tout le monde. Comme c’est un espace d’interaction, ça nous oblige à réfléchir avec plusieurs prismes, et ça c’est hyper stimulant. La capacité des insectes, des végétaux, à franchir ces espaces rudes font qu’en milieu urbain tu peux tout regarder comme un évènement. Tout devient un événement majeur, parce que punaise, il faut y arriver !

Stéphane Quand tu vois un papillon en ville, c’est incroyable quoi !

D Oui ! Tu te dis : « Oh ben dis donc ! Qu’est-ce tu fais là ? » Mais finalement, je pense ça aussi parfois pour les petits enfants. Quand je vois des enfants dans une poussette, je me dis aussi: « Tu y es arrivé quand même ! » C’est des endroits qui sont très contraints mais qui rendent ces présences possibles merveilleuses.

S Des fois, on suit le soleil. On déambule, on cherche plein de choses qu’on ne s’attend pas à voir.

D C’est ça, on cherche le sauvage, c’est ça qui nous interpelle. Nous avons en ville une pratique où ce qui nous intéresse n’est pas tant les commodités qu’offrent la ville, mais plutôt ses interstices. Ce sont les failles de la ville, ce sont les trous dans lesquels on peut tomber, ce sont les fissures dans lesquelles on peut se fondre, c’est tout ce qui craque, tout ce qui est bancal et qui offre des opportunités à quelque chose, à un évènement. On cherche l’inattendu. Un jour Nicolas disait dans une balade face à un lotissement, « les choses là sont alignées, alignées, alignées, comme des pistons dans un moteur ». Nous, on a la sensation que la ville a des envies d’alignements, d’alignements, d’alignements, et dès qu’il y a des ruptures, c’est comme des brèches dans lesquelles tu as envie de t’engouffrer. Il y a toujours une aventure incroyable dans ces brèches. Mais la faille est mineure, il faut jouer des coudes pour réussir à se couler dedans. Il faut une disponibilité d’esprit pour être impacté en ville, et du coup ça en devient un vrai terrain de jeu et d’imagination.

Comment préparez-vous vos balades ?

D’abord, il y a le repérage, aller sur place, que ce soit dans une pièce ou dans une ville. Nous essayons de ressentir, d’humer un peu.

La première étape c’est le contexte, ce dans quoi on s’insère. Qu’est-ce qui soutient la balade ? C’est quoi l’architecture profonde de ces lieux, ce sur quoi on s’appuie ? On s’interroge sur ce qui tend le territoire, ce qui l’ossature, les endroits qu’on va traverser, quels en sont les grands axes qui font émerger une architecture de territoire? Ces grands axes peuvent être des projets mais ça peut être aussi des dynamiques habitantes. Ça peut aussi être un objet du paysage comme une rivière, comme un alignement d’arbres, comme un élément qui pourrait faire patrimoine. Et ça, ça va fabriquer une ossature sur laquelle nous allons appuyer la balade. La balade est un habillage de cette ossature, où on va venir essayer de donner corps, sens, visibilité aux interactions entre ces dynamiques territoriales et des petites choses telles que le très bel arbre qu’on croise sur le chemin.

Sainte-Marthe, par exemple. Ce qui nous intéresse là-bas, c’est ce qui est en train d’advenir de ce territoire. Et pour regarder ce qu’il advient, il faut regarder ce qu’il y avait avant, à quoi il a échappé, comment il en est arrivé là. C’est là-dessus qu’on articule notre balade. Aux Aygalades, là très clairement il y a une dynamique de territoire. On essaie alors de l’amplifier, mais on s’adosse à quelque chose d’existant. Je crois que 95% de nos balades s’articulent comme ça. Parce que ce qui nous intéresse, plus que la question de tel individu de telle espèce ou telle autre espèce, c’est la dynamique du paysage, les interactions, ce qui fait que cet arbre-là peut être là, que cette plante-là peut être là, et tout ce qui les soutient ou ce qui les menace. « Dans quoi ça s’insère », pour nous c’est la clé du mouvement.

S Une fois qu’on a rencontré les gens, les dynamiques, les mouvements, il faut absolument que nous allions nous-mêmes sur le territoire pour marcher, ressentir, comprendre, trouver des petits passages, voir ce qu’il y a. Alors nous pouvons broder notre histoire et notre narration, avec les éléments qu’on peut trouver sur l’itinéraire, sur les lieux où l’on se trouve.

D Ça c’est la deuxième couche, que j’appellerais le manteau, c’est la couche un peu sensible qui questionne comment on va essayer d’habiter cette dynamique. On va essayer de trouver l’espace dans lequel on peut marcher, dans lequel on peut habiter, même si ce n’est pas longtemps. Des fois, on fait des repérages à n’en plus finir… Ça s’appuie aussi sur de l’instinct, notamment celui de Stéphane, qui a tendance à beaucoup ramasser des choses. Moi ça nourrit beaucoup mon imaginaire. Lui il récolte et moi ça nourrit mon envie d’en faire une histoire, souvent, ça s’articule comme ça.

S Le glanage c’est important dans nos repérages, le fait de récolter, d’accumuler des éléments qui parlent du paysage. C’est aussi un moyen mnémotechnique, et un ressort pour raconter.

D Et un ressort à l’émerveillement. C’est ce qui nous fait avancer, ce qui nous donne du sens. S’émerveiller de ce qui est là et le partager. Être enthousiastes ensemble avec des gens. Être en empathie avec les espèces qui sont là. Et le faire à plusieurs, en groupe, il y a tout à coup une espèce de puissance à être au monde. J’ai alors l’impression qu’on partage un possible. On s’émerveille de la capacité à faire, à contourner, à inventer.

D Et il y a une troisième couche pour partager, dans notre manière de concevoir une balade. Ça c’est le rôle des outils que nous construisons. Nous avons souvent besoin de faire appel à un artifice, à quelque chose qui va transformer, qui va faire que tu peux, au cours de cette marche, te délester de tes yeux de d’habitude, de ta main de d’habitude, de ton goût de d’habitude, que tout à coup tu peux le réinterroger, t’en servir autrement. Les objets qu’on construit ont cette fonction-là, de fabriquer quelque chose qui nous rend pas forcément plus mais autrement disponibles. Si on est disponible, on est très bien outillé : On voit très bien, on entend très bien, on a des organes sensibles fantastiques, on arrive à faire du silence et à réécouter… Alors les outils que nous fabriquons, plus que pour amplifier ceux que nous avons déjà, ils sont là pour décaler quelque chose, pour que chacun puisse se réapproprier ses propres outils. En général nous fabriquons des formes d’extensions, qui vont rendre le geste plus long. Quand je pense aux pinces de ramassage par exemple, c’est beaucoup plus compliqué avec nos pinces de Caprisun d’attraper un déchet, par contre le geste devient plus précis, plus ténu, tu y mets de l’intention, tu te sers de ta main pleinement, tu essaies de regarder où sont les prises dans l’objet. Cet usage te fait rentrer dans un petit chemin étroit, comme ça, sur lequel ton corps va se renforcer, pour mieux se servir de tes sens. J’ai l’impression que beaucoup de nos outils sont comme ça. Et puis il y a les outils pour la pratique de la cueillette.

S Oui, là il s’agit plutôt de proposer une attitude plus sensible au fruit, à ce qui se mange, pas en les arrachant, mais en étant précautionneux, en étant attentifs. Nous avons conçu une claie pour ranger les herbes bien alignées, au frais, avec un petit torchon. On a des petites gaffes pour prendre la branche délicatement, ou le fruit. Nous voulons proposer une façon douce de pratiquer le paysage.

D La cueillette pour moi, c’est la rencontre. C’est un espace d’interaction entre nous humains et les végétaux, les animaux. Quand on cueille, les animaux s’en mêlent beaucoup aussi. Tu as beaucoup d’insectes sur les fleurs. Tu penses toujours aux animaux qui vont venir derrière toi. « Est-ce que le renard va adorer les prunes qui sont tombées au sol ? » ; « Est- ce que le papillon pacha va être ivre en mangeant ces prunes fermentées ? ».
Les outils que nous partageons servent à partager avec toute l’attention qui est nécessaire cette chose merveilleuse que l’on traverse. Si tu n’es pas préparé à bien le faire, tu peux cueillir comme une prédation. Être précis, cueillir que ce dont tu as besoin, pas sur la branche la plus proche mais sur celle-ci, un peu haute. Cueillir ainsi va demander une gymnastique, une approche, une élongation qui va rendre la relation moins dans la prédation, plus dans la rencontre.

S Nous les adaptons nos outils après chaque balade. Souvent c’est presque de l’ethnobotanique, on s’inspire d’outils anciens qu’on remet au goût du jour, ou des vieux papis parce qu’ils ont la pratique, le savoir- faire, donc on va pas tout réinventer…

Comment appréhendez- vous un trajet ?

S Le parcours c’est important.

D Oui, c’est très important ce que tu vas ressentir, par la marche, la marche elle-même. Le chemin lui-même est autant narratif que nous, il dit du monde autant que tous les discours que tu pourras poser dessus. Ce que tu veux raconter, si tu as bien fait ton chemin, il est dit par le chemin. Par exemple, si ton parcours entre dans une forme de tunnel, tu vas rapetisser les gens en les faisant rentrer dans un espace un peu plus fermé, sous un couvercle. Et puis à un moment tu vas sortir de ça, tu vas te redéployer et t’ouvrir à nouveau. Cette expérience de rapport au monde, glisser dans la matière et en ressortir, c’est déjà hyper narratif.

Dans les trajets, c’est important d’avoir du dénivelé, d’avoir des ouvertures. Entre le chemin qui filerait tout droit et celui qui te fait tourner, grimper, passer par-dessus, ce n’est pas simplement que les points de vue seront plus beaux, ou que la narration sera plus intéressante. C’est aussi ce que tu vas vivre toi en tant que marcheur, en mettant ta jambe un coup en haut, un coup en bas, en te baissant, en te relevant, en étant beaucoup plus chorégraphique dans la marche, qui va te dire beaucoup du monde.

S Un bon trajet, ça permet aussi de préciser la narration. Le chemin permet de faire une introduction et amorce les chapitres d’une histoire.

D Un bon trajet, c’est quand tu arrives à percevoir la dynamique du territoire, quand tu arrives à y rencontrer des individus, toutes espèces confondues, quand tu arrives à ressentir le mouvement dans ton corps aussi, quand tu arrives à ce que la marche ne te fasse pas mal mais te dérouille. Comme diraient les excursionnistes, « agréable au pied, agréable à l’œil ».

S Et adapté à la saison, tu ne peux pas faire 10 km au soleil en plein été. Et aussi, un bon pique-nique. Et un petit café… Oui, il faut que tout soit agréable ! Agréable à tous les organes ! Le moment du pique-nique, c’est important. C’est là où tu recharges les batteries, où tu te poses, où tu discutes avec les gens, et après tu repars, c’est intense comme moment, la pause.

Qu’est-ce que ça apporte de marcher en groupe ?

S Quand on marche tout seul on s’émerveille de choses, et on a alors envie de les partager, de ne pas les garder que pour nous. C’est là que l’envie de marcher en collectif commence. Mais c’est aussi apprendre des autres, ce n’est pas que nous la connaissance, beaucoup de gens connaissent des choses et ça enrichit le propos.

D Puis ça ne te met pas dans la même posture. Ça nous oblige à aller chercher du merveilleux. Quand tu prépares une balade, tu cherches quand même à offrir un cadeau. Tu cherches à être généreux, pour prendre du plaisir ensemble. Et l’esprit du commun, il est hyper important dans une balade. C’est fabriquer une petite communauté pour quelques heures.

Quel est selon vous le principal / plus efficace argument pour réintroduire la nature en ville ?

D Je suis mal à l’aise avec l’idée de préserver, ou de réintroduire de force la nature en ville. J’ai beaucoup plus envie de vivre avec, d’apprendre à partager l’espace. Je pense que notre travail dans le projet Nature For City Life, c’est avant tout de faire comprendre que d’abord il y a de l’écologie, qu’il n’y a pas des espèces à défendre ou des invasives, mais des cycles, des terres vivantes, des terres auxquelles on fait des choses et que ces choses vont favoriser ceci ou défavoriser cela.

En tant qu’humain, on a un impact sur un système, nos actes ont des conséquences. Nous cherchons à comprendre la façon dont on s’inclut dans une série d’événements qui ont de l’influence sur les milieux de vie des autres. C’est important de reconnaître notre pouvoir d’agir, notre capacité, notre force d’intervention qui est immense sur d’autres espèces. L’idée « d’amener-des-abeilles-en-ville », ce n’est pas une très bonne idée pour sauver les abeilles. Ce genre d’idées, ça arrive très souvent dans les milieux urbains, parce qu’on a tendance à prendre des emblèmes et à moins s’intéresser à l’écosystème auquel ils appartiennent. Pour nous, c’est important que l’on ne considère jamais qu’un élément est là tout seul. Les arbres qu’on peut voir en ville, c’est tout un écosystème qu’ils peuvent apporter. Ce sont les interactions qu’ils permettent qu’on doit prendre en compte : les oiseaux qui y vont, les insectes qui y vivent, les systèmes racinaires qu’ils déploient, les champignons, les plantes épiphytes qui vont se loger dans les cavités, les oiseaux nicheurs, qui vont pouvoir aussi profiter des cavités. Les arbres en ville ne peuvent pas être simplement considérés comme des individus, mais aussi comme partie d’un monde de relations. Finalement, dans Nature For City Life, notre mission c’est de dérouler la question de l’écosystème, c’est de mettre en relation les choses, de repenser la ville comme étant au cœur du monde. C’est de permettre de comprendre deux points très éloignés, de faire des ponts entre le ruisseau des Aygalades et les Calanques par exemple. L’argument le plus efficace, c’est de faire des liens entre les éléments pour comprendre en quoi ils participent d’une dynamique commune.

En quoi votre travail de guide peut-il avoir un impact sur les modes d’engagements vis-à-vis de la ville ?

D Aller voir, c’est déjà s’impliquer un peu. Cette simplicité d’engagement, qui est celui d’être là, d’être venu, de participer, de partager, c’est déjà beaucoup ! Ça permet de rendre tangibles des choses, c’est une mise en mouvement. Comme dit le prof d’Aïkido de Stéphane : «Le mouvement c’est la vie. »

S  Quand tu as mal quelque part, tu bouges ! Et tu n’as plus mal.
C’est maître Shiba qui dit ça.

D Et puis, quand on se promène avec des décideurs, quels qu’ils soient, on se rend compte que les décisions souvent sont prises de loin. Ces balades publiques, par l’enthousiasme mais aussi la publicité qu’elles rencontrent, font que les décideurs se sentent plus en capacité de venir sur le terrain.
Du coup, ça ouvre la possibilité que les décisions puissent se prendre aussi à une échelle qui est celle de notre corps dans l’espace. Il y a ce personnage de De Vinci, l’homme de Vitruve, qui est je pense une échelle nécessaire pour fabriquer une vie d’humain. Ça t’empêche d’être trop grandiloquent. Je pense que le monde serait tout à fait différent si on le pensait à partir de l’arpentage.

Je sais que nous devons vivre à beaucoup, et que nous n’aurons jamais les mêmes avis, opinions. L’enjeu ce n’est pas de faire un grand consensus de tout le monde, mais au moins d’aller à la rencontre.

S Quand tu es dans la même marche, dans le même ressenti de la chaleur, des odeurs, comme tu partages quelque chose en commun, c’est peut-être plus facile d’échanger.

D On n’aspire pas à un monde où tout le monde vivrait pareil mais on pense qu’on peut partager de la joie. La joie c’est ce qui nous lie, on n’a rien de plus puissant à échanger.

Votre propre vision de la nature en ville a-t-elle évolué depuis le début de ce cycle de balades Nature For City Life ?

D Il y a eu les balades puis il y aussi eu le COVID, qui nous a fait avoir du temps pour être encore plus curieux. Pas simplement « Ah ! J’ai entendu une fauvette », mais : « Si tu veux entendre une fauvette à tête noire, tu vas aux Réformés, tu te places exactement là, et tu peux entendre une fauvette à tête noire. » Il y a aussi la question du réchauffement climatique, qu’on aborde donc comme thème sur cinq ans. Ça nous oblige à regarder la question de la nature depuis ses changements.

Et dans ce qu’on fait en général, il y a quelque chose de l’ordre de la clé de compréhension qui permet je pense d’appréhender le changement comme un mouvement que tu dois accompagner, comme une prise d’aïkido. Comprendre quelle est la dynamique du réchauffement climatique permet de ne pas subir de plein fouet, mais d’accompagner ce mouvement et de pouvoir t’y adapter. Et même pourquoi pas d’utiliser sa force, utiliser la force de l’adversaire.

Le cycle de balades, le fait qu’elles s’insèrent dans la question du réchauffement climatique sur un temps long, permet de penser la question d’une évolution. On n’est pas juste dans la connaissance d’un monde figé, on est dans la connaissance d’un monde en mouvement.

On se rend bien compte que l’enjeu ce n’est pas de convaincre. Tout ça va se transformer, va se réadapter. Mais nous participons à faire circuler des informations. Il y a des bouts qui seront pris, d’autres non. L’enjeu, c’est aussi de permettre à certaines choses de perdurer, de rester disponibles pour les générations à venir. Par exemple, il y a des gestes de cueillettes, dans des périodes comme maintenant, qui disparaissent un peu. Il faut que ces gestes continuent pour que d’autres puissent s’en emparer plus puissamment, sans qu’il n’y ait eu rupture de savoir- faire. Si je pense à la canne de Provence, tout le monde n’a plus qu’une seule envie, c’est de s’en débarrasser, la couper, la brûler. Alors que ça a fait vivre tout le pays pendant je ne sais pas combien d’années. C’est quoi cette espèce qui est devenue un problème alors qu’elle était considérée comme une ressource ? Tu trouves dans plein d’écomusées des paniers en canne, pour ramasser les cerises ou les figues. Ça pourrait faire des emballages très écologiques. Ce n’est pas possible que cette plante ne devienne qu’un problème alors que c’est aussi une vraie ressource.

Cette interview de SAFI est tirée des cahiers DEHORSCes cahiers ont été réalisés d’après des balades Nature for City Life effectuées entre juin 2018 et août 2020.

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DEHORS

Les cahiers des itinérances Nature For City Life

En liant la connaissance à la marche, l’expérience à la conversation, l’analyse au geste, les itinérances proposées par le Bureau des guides du GR2013 au sein du projet Nature For City Life tentent d’explorer différentes approches de transmission pour nous apporter des savoirs tout en nous re-sensibilisant à ce qui a le pouvoir de rendre nos villes et notre monde habitables. Abordant les multiples sujets et thématiques du réchauffement climatique dans un contexte urbain (la biodiversité, la fragmentation, les arbres et les rivières, la gestion…) ces balades sont conçues et animées par des artistes-marcheurs.

Les 3 premiers numéros de Dehors proposent de partager une sélection de leurs propositions pédestres et de leur donner la parole, à la fois pour les écouter raconter leurs manières de concevoir ces marches mais aussi nous confier leur parcours plus personnel dans ce questionnement contemporain qui nous concerne tous.tes, collectivement et plus intimement.

DEHORS – N°1 Paul-Hervé Lavessière  

DEHORS – N°2 Collectif SAFI  

DEHORS – N°3 Nicolas Memain

La deuxième série de Cahiers Dehors propose de partager une réflexion sur les formats expérimentés lors de ces itinérances. Que ce soit au travers du dépaysement des pratiques pédagogiques de l’école d’architecture, par la recherche de communautés de pratiques au travers d’un sentier transdisciplinaire et transcommunal, ou par le besoin de toujours multiplier les récits des lieux que l’on habite : on flaire l’envie collective de penser différemment, de faire un pas de côté vers des sols plus troubles.

DEHORS – N°4 De l’évidence de partir du terrain

DEHORS – N°5 De la nécessité de se relier

DEHORS – N°6 De l’importance des récits

Le projet Nature For City Life est un projet coordonné par la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, avec la ville de Marseille, la métropole Aix-Marseille Provence, la métropole Toulon Provence Méditerranée, la métropole Nice Côte d’Azur, Air Paca, le Laboratoire Ecologie Population Développement (université AMU) et le Bureau des guides du GR2013.

Ces cahiers ont été réalisés d’après des balades effectuées entre juin 2018 et décembre 2022.

Textes : Antoine Devillet  & Julie De Muer

Coordination éditoriale : Marielle Agboton

Graphisme : Aéro Club

Imprimé par la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur en septembre 2020 et décembre 2022.

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Inventaire Photographique

60 photographes et plus de 5000 images pour représenter un territoire balayé par un même vent…

L’INVENTAIRE rassemble une vaste sélection de travaux photographiques réalisés sur l’aire métropolitaine des Bouches-du-Rhône depuis les années 1980. Il réunit aujourd’hui près de 60 photographes et plus de 5000 images. Ce rassemblement inédit d’oeuvres photographiques a pour vocation de s’exposer en ligne pour y présenter côte à côte des séries d’images qui révèlent, en les parcourant, ces territoires balayés par un même vent.

Le projet conçu pour la biennale Manifesta 13 comprend l’inauguration de l’exposition collective et virtuelle des oeuvres à la Maison de l’Architecture et de la Ville PACA du 10 au 18 octobre 2020, la programmation d’une série de projections et de présentation des travaux par leurs auteurs ainsi que l’ouverture d’un atelier grand public qui propose de manipuler les photographies et de construire ses propres collections.

L’INVENTAIRE – ​photographies d’une métropole,​ ​est un projet quinquennal, porté par l’Observatoire Photographique des Paysages depuis le GR2013 et le Bureau des guides du GR2013. Il reçoit le soutien de la SAIF, de la DRAC PACA et de la métropole Aix-Marseille-Provence ainsi que l’aide du département des Bouches-du-Rhône. Les ateliers grand public sont organisés cette année en partenariat avec la Maison de l’Architecture et de la Ville et l’Ordre des Architectes PACA.
Commissariat de Fannie Escoulen et direction artistique de Super Terrain.


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GRANDEUR NATURE

Une expérience intime au cœur du Parc de La Barasse

Déambulation audioguidée et performée d’Anne-Sophie Turion avec la participation d’habitant.e.s de la Barasse

La Barasse : ses sentiers boisés sur fond de pancartes Ikéa, son crassier de boues rouges toxiques, ses maisons ouvrières, sa tranquillité de village hors-temps, ses amoureux du 22 Long Rifle, ses groupes de Taï chi, ses meutes de sangliers qui dévalent le soir venu, ses guinguettes, sa cascade en marc de café et ses champions de boxe.

Entre déambulation audioguidée et performance, GRANDEUR NATURE propose une expérience radicalement intime du territoire. Équipé de casques audio, le public plonge dans les vies des habitant·e·s croisé·e·s sur le chemin. Tandis que le paysage défile en travelling, Anne-Sophie Turion devient la voix off d’un film qui s’orchestre en direct : figurant·e·s complices, les habitant·e·s apparaissent et disparaissent au gré de la marche, se laissant sciemment « épier » dans leurs activités routinières tandis qu’elle dévoile en off des bribes de leurs histoires. La mise en scène se glisse si bien dans le réel qu’elle pourrait passer inaperçue : territoireś intimes et territoire communs se rejoignent pour nous faire basculer dans une « réalité augmentée » troublante, à la fois théâtrale et totalement quotidienne. Entre pudeur et dévoilement, la mise en récit des mondes intimes des habitant·e·s provoque une lecture inattendue du paysage ; c’est à travers leur vécu, leurs habitudes, leurs anecdotes personnelles que se découvre l’histoire sociale et urbaine du territoire.

Conception, mise en scène, texte : Anne-Sophie Turion
Performance : Anne-Sophie Turion (narration live), avec la participation d’une dizaine d’habitant·e·s du quartier de la Barasse
Regard extérieur : Loreto Martinez-TroncosoPrésenté dans le cadre du Festival Parallèle.

GRANDEUR NATURE est une production du Bureau des guides du GR2013 en coproduction avec le projet Roots to Routes (biennale Manifesta 13 // Les Parallèles du Sud // Région Sud) et le Département des Bouches du Rhône dans le cadre du projet des Hospitalités du GR2013. Observatoires, tables d’orientations, haltes pour randonneurs… Les Hospitalités du GR2013 sont une série d’interventions construites qui s’imaginent comme des balises poétiques à proximité du chemin ou comme des invitations à habiter les lieux.

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Colorado provençal #2

Aix TGV – Vitrolles

D’un hyper-lieu concentré en flux automobiles et en personnes, abandonnons-nous aux traces d’anciennes routes, de bauxite et de vie après incendies. Cheminons depuis un magnifique désert hanté vers un oasis de fraîcheur ocre, la Cadière nous mènera à la ville : Vitrolles verte.

Gare d’Aix TGV—> Vitrolles, Fontblanche.

Départ gare d’Aix TGV.  Retour depuis Vitrolles : bus 89 (arrêt Clinique Griffon) en direction de Marseille ; Bus de l’étang (arrêt Fontblanche) vers gare routière Vitrolles

Prenez votre casque, votre téléphone ou votre lecteur MP3, et laissez-vous guider à l’oreille…

Promenade sonore n°26 en gare d’Aix TGV

Contemplez les évolutions du paysage avec l’Observatoire Photographique du Paysage au point de vue n°1 D9, n°2 Boues Rouges/Stadium, n°3 Source de l’Infernet, n°4 Lit de l’Infernet

Vers la fin de la décharge sauvage du plateau d’Aix ? Article Maritima, 09/2019.

Vitrolles après le feu, chronique du Bureau des guides du GR2013.

Pléiades #8 : ensemble de récits collectés dans le cadre des soirées 1001 NUITS.

En chemin : Paysages étang de Berre, Boues rouges, Stadium, Source de l’Infernet, Ferme de Croze

#ancienneroute #etang #bauxite #canyonprovençal #nouvellevegetation #cascade

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Vitrine Pamparigouste [2021]

Du 18 septembre 2020 au 11 mars 2021

En 2015 la réédition de la carte routière Michelin oublie de figurer la nappe bleue de l’Étang-de-Berre. Le plus grand étang d’eau saumâtre d’Europe – 75 km de côtes, une lagune de 155 km2 et 980 millions de m3 d’eau – disparaît alors de la carte.

En 2018, un printemps pluvieux et des apports d’eaux claires très importants provoquent un phénomène de “bloom phytoplanctonique“ qui, associé à de très fortes chaleurs et une absence de mistral pendant l’été, entraine une des plus graves crises anoxiques dans l’étang. L’évènement, particulièrement inquiétant, s’inscrit dans l’histoire longue d’un territoire hautement industrialisé et nous alerte sur l’actuelle fragilité de ses écosystèmes.

En 2019 une expédition menée par le Bureau des guides et portée par un équipage composé d’artistes, de scientifiques et d’habitants de la lagune, part à la découverte de cette mer intérieure. Après une navigation depuis Marseille, leur navire s’aventure dans le chenal de Caronte pour inventer un territoire à partir de ses côtes et de ses rivages.

Une exploration poétique et scientifique s’engage.

Photos : Grégoire Édouard

Les traversées

Après un an de voyages, d’enquêtes et de rencontres, l’expédition Pamparigouste vous propose d’embarquer à son bord pour parcourir les rives de la lagune et entendre les récits de ses  habitant·es  humains et non-humains.

Le Bureau des guides vous invite à un voyage vers l’étang de Berre et vous propose quatre “traversées ” : de grandes marches animées par l’équipage pour partager nos connaissances et nos expériences.

Avec l’équipage de l’expédition Pamparigouste : Geoffroy Mathieu, Christophe Modica, le collectif SAFI, Adrien Zammit, Grégoire Édouard, Camille Goujon et le Bureau des guides du GR2013.

La Vitrine du sentier est soutenue par le Département des Bouches-du-Rhône dans le cadre de la redynamisation du centre-ville de Marseille.

PAMPARIGOUSTE, est une expédition métropolitaine soutenue par le FNADT, la Région Sud, le projet européen Nature 4 City Life, le Département des Bouches-du-Rhône, Les Parallèles du Sud de Manifesta 13, la Fondation de France, les communes de Martigues, Miramas, Saint-Chamas, Istres, Vitrolles et Berre-l’Étang. En coproduction avec le Centre National de Création Musicale de Marseille | gmem-CNCM-marseille et l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille | ENSA•M. En partenariat avec Opéra Mundi, la Fondation TARA Océans, le GIPREB, L’institut écocitoyen de Fos, le LPED (Aix Marseille Université), le Parc de l’ancienne poudrerie de St Chamas (SIANPOU), les bases nautiques et clubs de voile ainsi que les associations riveraines de l’étang (ESSV, le Batolab, la LPO, l’ADMR, l’Étang Maintenant, Nosta Mar…).


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