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Clémentine Henriot

Paysagiste visionnaire

Son goût pour l’hybridation des disciplines, ainsi qu’une interrogation sur « notre place dans l’espace », sont nés aux débuts de sa formation à l’école des Beaux-Arts, et ont trouvé leur sens ensuite à l’Ecole du Paysage de Versailles, où elle a découvert l’épaisseur des sites. Après plusieurs années d’exercice en agences d’architecture, elle s’installe à son compte en créant le collectif Trajectoires (prix 2014 des Albums des Jeunes Architectes et Paysagistes, décerné par le Ministère de la Culture.)

Depuis 2015, elle poursuit seule son activité, en ne se limitant plus au cadre professionnel proposé par les marchés publics. Aménagement de territoire et d’espaces public, mais aussi création de jardin, travail collaboratif et écriture sont désormais, des aspects complémentaires d’une seule démarche. Elle tente ainsi de donner à sa pratique une forme d’ensemble sur la base des hypothèses de travail suivantes : 

Travailler avec le paysage envisagé comme une matière croisant questions environnementales, sociales et culturelles, pour penser collectivement des conditions de vie en commun.

Travailler dans le paysage envisagé comme une invention essentielle de la culture occidentale, un laboratoire vivant où s’exerce la tension entre Sujet et Société, dans la manipulation matérielle et symbolique d’un donné topo-historique. 

Travailler depuis la dimension affective du paysage et sur son pouvoir imaginaire, pour interroger la fabrication d’un réel qui fait consensus.

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Hélène Dattler

Scénographe iconoclaste

Architecte de formation, Hélène Dattler est à la fois scénographe, metteur en scène, coordinatrice, danseuse, performeuse, plasticienne. Elle se met délibérément au service d’une architecture qui se construit sans matériaux pérennes. Elle s’engage sur des projets artistiques diversifiés – notamment avec l’association Empreinte – pour multiplier les expériences et les rencontres, à destination de tous les publics.

Au sein notamment de l’ANPU, elle invente des formes d’expositions poétiques et plastiques, créé des films drolatiques, le tout en lien avec de véritables problématiques de territoires (le moustique, la montée des eaux…). Elle joue également un rôle important de médiation sur le terrain, à la rencontre des publics, tant pour le recueil de matériaux que la transmission.

Elle propose régulièrement des ateliers mêlant l’architecture, le paysage, la danse et le lien aux objets. Le corps devient un lieu d’expérimentation. Performance… Expérience… Improvisation… Invitant les participants à s’inscrire dans un processus de création éphémère dont ils sont la matière principale. L’objet, la construction deviennent alors des vecteurs, des continuums des corps. Créer des cabanes éphémères, habiter des matières et des objets… sont autant de projets avec les enfants et les adultes de tous âges et tous horizons qui offrent cette richesse d’exploration. Hélène est un passeur qui laisse des traces éphémères et sensibles.

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Récits dessinés

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« Randonnée sauvage » sur le plateau de l’Arbois

Le Bureau des guides, amené par l’artiste-randonneur Hendrik Sturm, a imaginé une randonnée sauvage sur le plateau de l’Arbois, où le conseil départemental a inauguré début avril un parc de 800 hectares. Le lieu a notamment accueilli après la guerre un gigantesque camp militaire américain, fil rouge d’une balade plus imaginaire que patrimoniale.

« Trouver les choses qui ne sont pas sur la carte, ou que l’on n’arrive pas à lire et qui ne se découvrent qu’une fois sur place ». À l’occasion de l’inauguration du parc départemental de l’Arbois début avril, l’artiste randonneur Hendrik Sturm a créé une balade restituant une enquête qu’il a menée sur les histoires de ce lieu aux airs de no man’s land. Souvenez-vous, Marsactu avait déjà suivi ses pas en 2013 lors d’une balade dans les quartiers Nord. Le voilà de nouveau avec le bureau des guides pour un itinéraire sur un lieu comme ils les aiment : à la fois très sauvage, laissé à la garrigue, avec une vue tant sur la Sainte-Victoire que sur la chaîne de l’Étoile, et marqué par les différents usages passés et actuels. Entre une zone d’activités et une gare TGV, ce n’est vraiment pas le genre d’endroits où l’on imagine passer son samedi.

Une douzaine de marcheurs ont répondu à l’invitation du bureau des guides. Le chapeau s’avère de circonstance au vu de la hauteur du couvert végétal. La plupart sont des habitués des balades autour du GR2013, ce chemin de randonnée de 365 kilomètres qui parcourt les Bouches-du-Rhône sous forme de 8, depuis la capitale européenne de la culture. La balade se mérite : le parc n’est accessible qu’en voiture le week-end et pour le trouver, il vaut mieux connaître ou faire preuve de patience. Après avoir contourné la gare TGV et ses nombreux parkings, il faut passer le barrage du Réaltor, le parking, les nouveaux aménagements départementaux se trouvent juste après le siège de la garde à cheval.

En ce samedi matin, les équipements tout neufs (dont des toilettes sèches) contrastent avec le peu d’humains, à l’exception du petit groupe qui s’est donné rendez-vous. Après de brèves présentations, Hendrik Sturm dessine d’un coup de laser l’itinéraire de 12 kilomètres prévu initialement en six heures. Le camp américain, annoncé en tête de programme, fait office de point d’arrivée. L’artiste-promeneurs distribue aussi des gants et des sécateurs, premiers indices de la nature de la randonnée qui attend les motivés. Aux pistes trop aseptisées, exposées à un soleil de plomb, il préfère les chemins de traverse riches en détails.

D’un tunnel à un autre

Les marcheurs quittent l’ombre d’un abri en bois flambant neuf pour le lit à sec du ruisseau le Mérindol qui a donné son nom à un petit hameau voisin. Là commence la « randonnée sauvage », telle que s’en amuse Renée, 76 ans, bâtons de marche aux poignets. Au gré des pas, les ronces se font plus menaçantes. Premières griffures de la journée. Après avoir remonté le Mérindol, il faut passer le premier obstacle de ce parc : la ligne TGV, construite au début des années 2000. Là encore, pas question de prendre un des ponts qui la surplombent. Suivant l’artiste marcheur, les randonneurs passent en dessous. Une petite échelle puis une autre, ils quittent les murs aux graffitis psychédéliques pour l’obscurité d’un tunnel en béton, qui doit permettre l’écoulement des eaux.

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Couverture de l'ouvrage "Promenade sur les bords du canal de Marseille" (source : Gallica)
Couverture de l’ouvrage « Promenade sur les bords du canal de Marseille » (source : Gallica)

Après le TGV et son large ballastage, arrive un tunnel d’une toute autre époque, sous le canal de Marseille qui amène l’eau de la Durance aux Marseillais. À la fraîcheur des pierres taillées « à la marseillaise », laissées quasi brutes sur leurs faces apparentes, Hendrik Sturm demande à un des participants de lire à voix haute un extrait de Promenade sur les bords du canal de Marseille, d’E. de Saint-Ferréol (à lire en intégralité sur Gallica, sur ce lien). Dans ce texte de 1854, l’ingénieur y décrit les ouvrages réalisés le long de son tracé. Ce document retrouvé est le fruit du travail de documentation que mènent le bureau des guides et leurs invités sur chaque lieu exploré. Chaque petite trace d’activité humaine donne lieu à des recherches, des interprétations sur l’usage et l’histoire.

Dans le cas présent, ce sont deux vallons aménagés en bassins d’épuration au XIXe siècle, afin de débarrasser l’eau de la Durance de ses limons. Sans les explications du guide, le promeneur n’aurait probablement jamais atterri dans ce vallon, ni remarqué les bas murs en pierre qui le bordent. Autre petite surprise soufflée par l’ouvrage, en se positionnant à un endroit bien précis, les curieux peuvent découvrir une succession de trois tunnels creusés dans la roche. Pour apercevoir la lumière qui pointe à l’autre extrémité, il faut suivre les indications laissées par l’ingénieur en 1854. Un peu plus loin, seuls les plus courageux s’aventureront dans un tunnel creusé entre les deux vallons. Il est à sec mais dans l’obscurité totale. Les sangliers l’apprécient pour sa fraîcheur et les boues qui y sont restées. Dominique, la soixantaine bien passée, s’extasie d’une telle découverte à deux pas de chez lui. « Où habitez-vous? » lui demande Loïc Magnant du Bureau des Guides. « Calas, au lotissement du Lac Bleu, vous connaissez ? » -« Oui, on a demandé à pouvoir y faire passer le GR2013, on n’a jamais réussi.. » -« Ah bah oui quand même, on a dit non pour que les gens traversent. »

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Calas staging area

Encore quelques pas et au bout du vallon apparaît une ruine, annoncée en début de visite. La ligne à haute tension est encore là, comme partout semble-t-il sur le plateau de l’Arbois. La ferme de la Vautubière, entourée de champs que l’on devine aujourd’hui entretenus par les chasseurs pour nourrir le gibier. « On appelle cela des manges », complète le photographe Geoffroy Mathieu, habitué des balades autour du GR2013. Des abreuvoirs ont aussi été installés pour le gibier. Longtemps terrain de jeu des chasseurs, ce plateau est aujourd’hui partagé entre trois sociétés. L’activité de chasse y est encore intense, en témoignent les nombreuses cartouches abandonnées dans tous les vallons. Sous le chêne vert, devant la ruine, pas trop près non plus des tuiles menaçantes, le pique-nique est enfin tiré du sac. Le camp américain revient dans les conversations et intrigue les marcheurs. « Le camp, connu sous le nom de Calas staging area, faisait 8,5 kilomètres sur deux, explique Hendrik Sturm. On estime qu’il a accueilli jusqu’à 100 000 hommes simultanément, de septembre 1944 à janvier 1946. » Un camp de transit avait été aménagé sur ce plateau, pour une partie des soldats ayant participé à la Libération avant qu’ils ne partent vers l’Asie. De cet épisode historique, il ne reste plus grand chose, à part quelques photos mises en ligne par des passionnés d’histoire militaire ou des proches de soldats.

L’artiste sort de son sac à dos un petit livre, L’Amérique en Provence, le camp de Calas 1944-1945*, écrit par deux habitants et deux historiens. L’ouvrage décrit notamment les infrastructures mises en place à l’époque : les tentes avec l’électricité, les cinq théâtres dont trois ouverts, le camp de détention aussi, l’approvisionnement en eau depuis Roquefavour… De tout cela, il ne reste pas grand chose, prévient Hendrik Sturm, du fait de la revente de matériaux et du matériel militaire américain après la guerre, ici comme ailleurs. Comme pour prévenir les marcheurs d’une déception. Chacun consulte l’ouvrage, parcourt les photos. La pause est aussi l’occasion d’échanger sur la pratique de la marche. Renée explique par exemple qu’elle ne peut plus suivre les clubs classiques, trop rapides désormais pour elle. « Nous on marche à 2 kilomètres par heure là où un club marche à 4 », confirme Loïc Magnant, qui revient pour certains sur l’histoire du GR2013 et sur les animations menées par le bureau des guides pour que le sentier de grande randonnée ne tombe pas dans l’oubli et les broussailles. Café et chocolat à peine servis, il est l’heure de reprendre la marche, en direction d’une autre ruine, à quelques kilomètres. Sur l’histoire de ces vestiges, l’artiste évoque une mission confiée par le conseil départemental à un architecte, spécialiste des ruines, Xavier Boutin. À la demande des marcheurs, désireux d’en savoir plus sur leur histoire, il décide de lui passer un petit coup de téléphone pour savoir où il en est de ses recherches. Surprise : l’intéressé propose spontanément de rejoindre le groupe à la ferme Mion.

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Assis avec sa chemise bleue, Hendrik Sturm donne des détails sur les vestiges de la balade. À ses côtés, le photographe Geoffroy Mathieu.

Des pylônes électriques et de rares fondations en béton

L’itinéraire emprunté à partir de là est plus conventionnel, balisé récemment par le conseil départemental sous le nom de chemin du Badaïre. « Cela vient du provençal bader, se promener », indique un des marcheurs. Le plateau domine le pays d’Aix et il est tentant d’imaginer la vue de l’autre côté, sur l’étang de Berre. Après avoir traversé un vallon plus vert, planté de chênes blancs, se dresse l’imposant hameau Mion, encerclé de grillages, lui aussi surplombé par une ligne électrique. Le groupe y attend longuement le spécialiste des ruines qui doit venir parler de ses recherches sur cette ancienne bergerie. Finalement, il ne pourra pas venir. La déception est vite chassée par la perspective de voir enfin ce fameux camp américain fantasmé depuis le début de la balade.

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Les poteaux électriques, les dalles, ainsi qu'une vue aérienne du camp, trouvée sur un forum américain
Les poteaux électriques, les dalles et une vue aérienne du camp, glanée sur un forum américain spécialisé

Encore un peu de patience et voici les premières traces du camp militaire, les premières et les dernières. Deux grands poteaux électriques, bien différents des récents qui parcourent le lieu, trônent, hors du temps. Des câbles y sont encore suspendus. « J’ai trouvé ici des isolateurs avec la mention « made in usa », raconte Hendrik Sturm. Le camp était entièrement alimenté en électricité. Il faut imaginer qu’ils avaient mis la terre à nu. Les documents font état de tempête de sable terrible, si bien qu’ils avaient fini par arroser avec de l’essence ». À ses pieds, se trouvent des morceaux de béton issus des pylônes. De l’autre côté de la piste, caché par des chênes kermès, se trouvent des fondations en béton sur lesquelles étaient arrimées des tentes ou des constructions en bois. L’artiste marcheur raconte les concerts organisés sur le camp, notamment un de Marlène Dietrich, dont il a trouvé trace dans le journal du camp, conservé dans des archives nationales.  Un peu plus loin, se trouve le début de ce qui était surnommée à l’époque la Tokyo Road, une longue avenue autour de laquelle était articulé le camp. Aujourd’hui, elle sert de terrain de jeu aux motos cross. L’arrivée de marcheurs n’inquiète guère deux d’entre elles en pleine séance de dérapage. Du camp, à cet endroit là, il ne reste rien, à part deux grandes pistes parallèles autour desquelles étaient installées les tentes. Le reste est laissé à l’imagination des marcheurs, qui quittent la Tokyo Road assez rapidement, pour rejoindre le lieu de départ. On traverse à nouveau la ligne TGV et le guide du jour livre une de ses dernières anecdotes. La SNCF a dû inventer un dispositif pour les sangliers. Ces derniers réussissaient à entrer sur les voies en détériorant le grillage. En revanche, les bêtes avaient plus de mal à sortir des voies et se faisaient régulièrement percuter par des TGV. « Des trappes de sortie ont été installées tout au long de la ligne. Elles permettent aux sangliers de sortir mais pas d’entrer », détaille SturmBien évidemment, pas question d’essayer de les imiter. Pour les amateurs de photo souvenir, le TGV passe sous le nez des randonneurs. Au moment du déjeuner, un couple d’aigles de Bonelli était également venu se prêter au jeu. Un dernier chemin sauvage à travers la ferme des gardes à cheval et voilà le petit groupe revenu au parking. Avec deux heures de retard. Marcher en parlant ralentit le pas.

* L’Amérique en Provence, le camp de CalasDaniel Falgoux, Isabelle Marnette, Josette et André Brusson, Editions Persée, 2015.

L’itinéraire

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Un urbaniste en randonneur

Avant que le GR2013 ne soit ouvert au public, le tracé provisoire avait été publié sur un site web provisoire par la capitale européenne de la culture. Il n’en fallait pas plus à un jeune urbaniste basé Bruxelles, passionné de randonnée urbaine, pour s’autoriser à parcourir une partie de l’itinéraire. En recopiant le tracé sur une carte IGN au 1/25 000e, en venant par ses propres moyens, en réservant une chambre dans des hôtels Formule 1, Paul-Hervé Lavessière est devenu le premier arpenteur, le premier «touriste» à emprunter le GR2013.

Je ne connaissais de Marseille que son centre-ville et sa basilique. En août 2012, j’entends parler du GR2013 à la radio dans une émission culturelle. Je consulte le site web du projet et me dirige rapidement vers ce qui m’apparaît comme le plus important : l’itinéraire. Je l’observe, je zoome, je dézoome. Ce tracé me parle, puis me séduit tout à fait.

Dans ce grand huit qui serpente joyeusement entre Salon-de-Provence, Martigues, Aix ou encore Aubagne, j’isole mentalement une petite boucle autour de Marseille et me renseigne déjà sur les horaires de train ainsi que sur les possibilités d’hébergement. Quelques semaines plus tard, je suis sur place, bien décidé à profiter des dernières miettes d’un été qu’on a déjà enterré depuis longtemps là-haut dans le Nord.

Ma présence sur ce morceau de GR est plus encore qu’une avant-première, puisque le tracé n’existe que sur papier ou écran (le balisage fut achevé en février 2013). J’ai donc dessiné le parcours au feutre sur ma carte IGN. Le périple est long, plus de 70 kilomètres, entre ville et campagne.

J’imagine qu’à une époque ancienne, on devait trouver des auberges destinées aux voyageurs à pied un peu partout. Aujourd’hui, à échelle de piéton, on a un choix limité mais l’hébergement est quand même possible, grâce aux hôtels de chaîne installés dans les zones d’activité ou zones commerciales. C’est leur localisation d’ailleurs qui a décidé de mes étapes.

Jeudi 4 octobre 2012. Du Vieux-Port à l’Estaque. – D’abord trempé par une averse matinale à Bruxelles, et séché par cinq heures de Thalys climatisé, me voici arrivé à Marseille, gare Saint-Charles, sous un beau soleil.

Je prends le chemin du Vieux-Port, puis traverse le quartier du Panier pour rejoindre le quai de la Joliette qui est le départ de mon périple. Avant de partir, je dois manger quelque chose. Je m’arrête dans un snack, rue Jean-François-Lecas, où je mange pour pas cher. Je vois se croiser des gens en costard et des ouvriers de la SNCM. La dame qui tient le snack me dit : « Ah là là, mon fils, à Marseille… y a trop de travaux ! » C’est vrai qu’on entend des machines tout près. Le quartier est en train d’être « refait », et l’on sent qu’on se prépare à quelque chose.

Après un petit café, je décolle et prends le chemin du quai de Joliette, que je longe jusqu’à la place du même nom, et j’emprunte la rue des Docks. J’ai presque peur d’en salir le trottoir tout neuf avec mes grosses chaussures de rando.

Après les Docks, le chantier s’étend et on est baladé à droite à gauche sur des passages piétons en peinture jaune, assourdi par les camions-bennes. À cet endroit, l’autoroute A55 est en viaduc et ses gros piliers de béton usés contrastent avec les trottoirs et pistes cyclables tout neufs. Je passe devant le Silo, qui est un bâtiment assez intrigant, et continue jusqu’à la tour de la CMA-CGM.

Le piéton est rare, en fait je suis le seul. Ce que je longe se nomme la rue Saint-Cassien, mais j’hésite avant de l’emprunter plus loin car elle ressemble vraiment à une bretelle autoroutière. Il y a un trottoir, mais utilisé entièrement comme parking. Je dois donc marcher sur la route dès qu’il n’y a plus de véhicule en vue. À ma droite, il y a les voies ferrées et, au-dessus, l’autoroute.

À gauche, je vois le port avec ses conteneurs, ses bateaux et ses barbelés. Un cycliste se rapproche. Au milieu du tumulte, sa présence me rassure. En haut de la rue Saint-Cassien, je regarde à ma gauche et le Vieux-Port m’apparaît déjà lointain. Je vois la Bonne-Mère qui brille au soleil. Je viendrai à ses pieds après-demain. En bas de la rue Saint-Cassien, j’emprunte la passerelle piétonne qui enjambe les voies ferrées et passe sous l’autoroute en viaduc. Je remarque la présence d’un homme qui regarde également le port. Je ne suis donc pas seul. Au bout de la passerelle, je rejoins la D5 (ou rue de la Madrague-Ville), que je longe. On y trouve des garagistes, des carrossiers et des maisons murées. Apparaissent alors les excréments et les déchets. Plus loin, je tombe brutalement sur ce qui ressemble à un campement de sans-abris. Il y a des gosses qui jouent au ballon et traversent la route alors que les voitures filent. Je vois aussi des tas de couvertures, de tapis et d’autres textiles, ainsi des tentes Quechua alignées de part et d’autre de la route. Des gens transportent des objets dans des voitures utilitaires (un vieux chauffe-eau, une gouttière…). Il y a aussi un vieux Noir en plein soleil, la jambe gonflée et qui parle à Dieu sait qui. Derrière, un homme ferme une grande grille sur laquelle on peut lire « Unité d’hébergement d’urgence ». Je vois plus loin sur un mur des affiches pour un mouvement contre les camps de rétention. C’est un moment assez étrange et j’ai hâte de retrouver un cadre un peu plus soft.

Assez rapidement, je retrouve des quartiers résidentiels plutôt calmes. Des petites ruelles, des maisons mitoyennes anciennes. De temps en temps aussi, des culs-de-sac avec grand mur et portail électrique, mais j’ai régulièrement droit à des vues sur la mer. Suivant toujours l’itinéraire sur ma précieuse carte, je descends un grand escalier en bas duquel des voitures attenantes à un garage voisin attendent d’être vendues ou réparées. Je me faufile et retrouve le chemin du Littoral, une voie assez passante qui est en fait la D5 que j’avais quittée plus tôt. Je la suis quelques centaines de mètres.

Devant moi se dressent à présent trois grandes tours de logement, juchées en haut d’une colline, face à la mer. Je les rejoins par un petit sentier-escalier. En bas de ces tours, on ne trouve que des parkings. Je me glisse derrière une vieille Mercedes garée là depuis longtemps, vu les herbes folles, et à travers le grillage, je profite à nouveau d’une belle vue sur la mer et sur le port. Je vois toujours la Bonne-Mère à ma gauche, et j’aperçois l’Estaque à ma droite. Je suis saisi par le contraste entre ce qui m’entoure directement et qui rassemble toutes les caractéristiques de la ZUP que l’on n’aime pas habituellement (grandes tours de logement, parkings usés, supermarché Ed) et la vue splendide, surtout sous ce soleil.

Je tourne le dos à ces trois tours et j’emprunte une petite rue jusqu’à une plaine de jeux pour enfants, et où la vue est aussi superbe. Tout est désert, seul un chat que je surprends à se rouler par terre et qui s’enfuit rapidement. Puis des enfants m’interpellent : « Oh monsieur ! ça va bien ? » Je leur fais signe et ils partent en riant. La suite de l’itinéraire me mène à eux. « Il arrive ! Il arrive !! » Je souris. « Oh monsieur, vous venez d’où ? », « Vous faites quoi ici ? », « Du Vieux-Port ? À pied ? Vous êtes fou monsieur, vous êtes fou, faut prendre le bus la prochaine fois ! » Puis une voiture approche et les enfants disparaissent brusquement derrière un mur, dans une sorte de jardin. « Au revoir les enfants, moi j’ai encore de la route. »

Je récupère le « chemin du littoral » et emprunte une promenade qui longe l’A55. Je traverse une zone d’activité jusqu’à ce qu’un escalier biscornu m’invite à prendre de l’altitude. En haut, une maman et son fils discutent face au soleil. Je traverse ensuite un quartier résidentiel avec des maisons imbriquées les unes aux autres. On entend chez les gens des bruits de cuisine, une radio, tout ça résonne avec douceur. Je croise plus tard une dame qui donne à manger aux chats du quartier, puis trois petites vieilles sur leurs tabourets qui discutent hardiment. Je descends cette étroite ruelle en pente jusqu’à la rue principale. Les trois vieilles me regardent encore et rigolent. J’ai l’impression d’être dans la chanson de Nino Ferrer.

J’ai mal aux pieds et m’arrête dans un bar où je rencontre un Marocain aux cheveux longs. Comme j’ai un problème avec mon téléphone, il me prête gentiment le sien. Son téléphone est configuré en langue suédoise, ce qui ne facilite pas la tâche, mais ça permet d’engager la conversation. Il a vécu quelques années en Suède et loge désormais dans un squat pas loin d’ici. La discussion se poursuit, je l’interroge sur l’instrument de musique qu’il transporte (et qui s’avère être un luth), et il m’invite chez lui.

On traverse pour cela le souterrain de la halte ferroviaire, où l’on croise des mecs chelous, des ados qui fument des joints. Finalement, on arrive au squat. Il y a des Italiens en pleine répétition, je suis impressionné par le matos : iMac, table de mixage, amplis à gogo… « Voilà, moi je suis un peu saoul donc, je vais aller dormir, mais tu es ici chez toi, alors fais comme chez toi. » Il y a une fille qui sert des cafés, un mec qui dort vautré sur le canapé près des amplis. Tout le monde a l’air bien occupé, alors je file sur le toit pour m’étirer. Après une vingtaine de kilomètres sur du sol dur, cela fait un bien fou. Sur le toit du bâtiment qui devait être une école ou quelque chose comme ça, j’admire la Méditerranée, infinie. Je vois les bateaux passer lentement. Là, j’ai du mal à réaliser que je me suis réveillé à Bruxelles ce matin.

Paul-Hervé Lavessière, né en 1987, est géographe-urbaniste. Auteur de La Révolution de Paris (Wildproject, 2014, Prix Haussmann du meilleur livre sur Paris), il est le cofondateur de Sentiers Métropolitains (www.metropolitantrails.org).

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Le Tétrodon

Dessiné par des artistes-marcheurs, le Sentier métropolitain GR2013 est maintenant investi par des artistes-constructeurs, qui souhaitent l’équiper d’abris, de tables d’orientations, de refuges pour passer la nuit… Parmi les propositions de refuges, un drôle d’habitat mobile nommé “Tétrodon” est à l’étude.

Redécouvert par l’architecte Thierry Durousseau en 2011, le Tétrodon de Fos-sur-Mer a été pris en charge par l’association Par ce passage, infranchi. Transporté et stocké par les sociétés Mediaco et Art Transport Service Garonne, photographié par Philippe Piron, il est ensuite labellisé patrimoine XXe siècle par le ministère de la Culture et de la Communication, avant d’être entreposé sur la commune de Fos-sur-Mer, en attente de retrouver sa vocation d’accueil.

Thierry Durousseau, auteur de l’ouvrage Architectures à Marseille 1900-2013 (MAV 2014), raconte l’épopée de cet objet hors-norme, fragment des mythes modernes, conçu par l’agence AUA (Jacques Berce, Annie Tribel-Heinz et Henri Ciriani).

LE DESTIN DU POISSON COFFRE

Sur la route d’Arles, où alternent garrigues et enclos industriels incertains, dans une échappée, j’avais aperçu un module ventru de plastique et métal près des grillages; instantanément, le nom de Tétrodon m’était venu à l’esprit. À Paris, dans les années d’expansion inventive, je me souviens avoir assisté à l’exposition de modèles expérimentaux d’architecture où le Tétrodon figurait en bonne place. Je dois encore avoir quelque part une plaquette à l’italienne avec des plans et des isométries qui en donnent une image très industrielle c’est-à-dire technique, si ce n’est un peu militaire. Il avait échoué là au fond de la parcelle d’un loueur d’engin, difficile à discerner car il était couvert d’un toit en tôle. Comme on ne s’arrête pas par hasard sur cette route, il a fallu un certain temps avant de pénétrer dans l’enclos, de le distinguer parmi des conteneurs habitables, et autres modules assemblables : c’était bien lui !

Avant d’être remisé au fond du terrain, le Tétrodon avait servi de bureau à l’ancien propriétaire, qui le tenait lui-même d’une entreprise de charpente métallique, où logeaient des ouvriers. Par ailleurs il y avait eu, vers le mas de l’Audience, une base vie, sorte de village fait de modules de la même famille. Tout ça à l’époque glorieuse où le port autonome de Marseille partait à la conquête de l’ouest pour faire de l’acier, de la chimie et du pétrole donc du plein emploi, des logements et des villes nouvelles. Depuis, l’opération Tétrodon a conduit à son illustre translation vers un autre site de la zone d’activité de Fos-sur-Mer, en vue d’une restauration à sa mesure.

TOUT UN MONDE INTÉRIEUR

(…) À partir de la structure du conteneur, l’architecte Jacques Berce va chercher à amplifier le volume de base (…) [avec des] modules appelés coques fonctionnelles en plastique armé, c’est-à-dire formés de doubles parois en fibre de verre textile et résines synthétiques isolées par une mousse de polyuréthane. Les coques sont dédiées à des fonctions spécifiques : sommeil, repas, cuisine, sanitaires délimitant un espace alvéolaire. L’espace central, lui, reste libre, articulant l’espace servant des coques à l‘espace servi du conteneur. Ici les auteurs empruntent aux principes fonctionnels redéfinis, alors, par Louis Kahn.

Entre mobilier et architecture, un véritable travail de design se fera sur les diverses coques rationalisées à l’extrême qui proposent une réponse au confort individuel : cellule bain, cellule cuisine, cellule rangement, cellule parents, enfants et unité centrale.

Jacques Berce, travaille avec Annie Tribel pour l’aménagement intérieur : sol pastillé Pirelli, portes de placards stratifiées, étagères suspendues, bloc cuisinette équipé, avec son rideau à enroulement, sanitaires avec lavabo, douche, porte-savon, porte-serviettes, étagères, et même une double cloison technique pour la distribution des fluides. Les portes des sanitaires sont dessinées sur le modèle des cabines de navires avec des angles arrondis. Enfin tout un monde intérieur conçu avec beaucoup d’attention : couleurs, éclairage, les tissus de l’opération de Fos-sur-Mer sont choisis chez Quentin d’Hélemmes.

Image : association passage infranchi.

Pour les déplacements, les coques sont démontées, escamotées à l’intérieur du volume utile. Une fois les parois du conteneur refermées, l’ensemble est chargé sur un camion, un train, un navire ou un avion cargo, le Tétrodon peut partir vers de nouvelles destinations.

PROTOTYPES ET UNICUM

À l’automne 1971 un prototype de Tétrodon, vert et bleu, est exposé dans la cour du Louvre. (…) Cette manifestation, va engager la première commande de plusieurs dizaines d’exemplaires pour la Sonacotra qui installe un foyer de travailleurs provisoire sur le site du mas de l’Audience à Fos-sur-Mer, et teste plusieurs types d’habitats légers.

image : Gérard Dufresne.

Les Tétrodons sont ici organisés en nappes de 3 modules de 20 pieds, à 4 chambres chacun, associés à un module double qui accueille des services communs, coques sanitaires, coque cuisine et modules repas de 4 places appelé coques pub, en référence aux alcôves en polyester du Théâtre de la Ville réalisées par Annie Tribel, mais aussi à la mode des pubs à l’anglaise comme sur le boulevard Saint-Germain. Les coques de la Sonacotra sont très travaillées, très plastiques, associant dans le même volume asymétrique l’espace de sommeil et celui de rangement.

Le Tétrodon sera mentionné au programme Architecture Nouvelle de 1974, sur le thème du tourisme social, avec un habitat de vacances adapté aux revenus modestes, lancé par le Plan Construction et le secrétariat d’État au tourisme. Une autre opération sera lancée par les Villages Vacances Familles, à Lège au Cap Ferret sur le littoral aquitain, avec la SCIC comme maître d’ouvrage délégué. Une centaine de Tétrodons seront mis en place (180 étaient prévus au départ) sur la base de gites familiaux de 30 mètres carrés pour 4 personnes comprenant des coques sanitaires, cuisine, repas, rangement, lit double parents et lits en gradin pour deux enfants. Les modules, dégagés du sol par des plots, sont disséminés dans la pinède de Claourey et ouvrent par une large baie sur une terrasse de 18 mètres carrés. Au delà des gîtes familiaux, des modules assemblés servent aussi au personnel (moniteurs, monitrices, hôtesses) mais aussi de local d’animation ou pavillon central. Les couleurs varient : sable, savane et créole.

(…) D’autres sites accueilleront encore des Tétrodons : un camp de vacance en Irak (!) ou à Mururoa qui semble avoir été une extraordinaire terre d’accueil de prototypes d’habitations légères de toute nature. Il faut ajouter les plages françaises où les Tétrodons accueilleront les maîtres-nageurs et autres sauveteurs.

RESCAPÉ DE LA NATIONALE

Photo : Association par ce passage, infranchi.

Notre Tétrodon, enfin celui de l’association Par ce passage infranchi, est une sorte d’unicum dans la série. Ce prototype jauge trente pieds, on y trouve trois coques dédiées au sommeil, quatre coques de rangements dont une proche de la coque cuisine enfin une coque sanitaires avec WC séparé d’une douche-lavabo. Sur une face une baie vitrée tiercée avec une porte et un panneau battant, sur la face opposée une autre porte à oculus. Enfin, sur le petit côté et en vis-à-vis de la coque sanitaires, une fenêtre coulissante. Même dans l’état d’abandon dans lequel il a été trouvé, avec des vitrages cassés, des problèmes d’étanchéité qui ont entraîné la pose d’une surtoiture, l’installation sauvage d’une climatisation, le caractère de capsule habitable était toujours là, moderne et lumineux. Malgré des utilisations très variées (logements d’ouvriers, bureaux, cabane de gardien) il apparaît qu’il s’agit d’un module expérimental, non développé par la suite. Un peu comme la Lilith de la Genèse, la femme d’avant Ève, rétive à l’enfantement, qui ne procède pas d’Adam, et n’aura pas de postérité. Plus long que les autres, il est aussi à la limite des efforts de la structure métallique, au point qu’il aura fallu renforcer le plancher par des tirants réunis sur un poinçon central. Au résultat, ce Tétrodon perd un peu de sa légèreté aérienne.

Il faut noter qu’aujourd’hui les conteneurs de trente pieds sont plus rares, la gamme s’est réduite aux vingt ou quarante pieds. De cet unicum on a quelques images avant qu’il n’échoue au bord de la route nationale 568.

Au bord de l’eau, un canal, avec trois personnages. Un homme, barbu, semble pêcher, une femme lit dans un fauteuil pliant, et une autre paraît filmer. On reconnaît bien le Tétrodon sur ses plots et avec ses tirants. Une autre image nous reste, avec des enfants qui jouent autour. La redécouverte des architectures des années soixante-dix par une génération passionnée d’architecture, vaut le sauvetage de ce témoin du travail ouvrier à Fos-sur-Mer et la promesse d’une restauration philologique.

Ce texte est extrait de la Fichaffiche « Le tétrodon de 30 pieds – Fos-sur-Mer » produite par le CAUE13 et consultable ici: http://www.caue13.fr/realisation/le-tetrodon-de-30-pieds-fos-sur-mer

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La carte du Marseille végétal

Le GR2013 n’est pas qu’un projet culturel ou touristique: c’est aussi un équipement urbain, qui valorise les relations de la ville à la nature. Randonneurs, urbanistes, écologues, architectes, naturalistes, artistes, élus… Ils sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à la nature en ville. Un groupe de chercheurs a établi une nouvelle carte de Marseille, qui indique non pas le bâti, mais la présence du végétal en ville. Cette carte, publiée dans un ouvrage intitulé « Petit atlas d’une ville-nature »: Jardins urbains et cultures buissonnières à Marseille, paru en avril 2017, marque une nouvelle étape dans l’usage et l’aménagement de la ville.

Pour pouvoir émettre des préconisations dans la préservation et l’enrichissement de la trame verte, il fallait commencer par regarder la carte. La carte de la nature en ville à Marseille. Ou du moins du végétal. Or une telle carte n’existait pas.

La construction d’une telle carte a semblé un préalable indispensable et un objectif en soi. C’était l’occasion de croiser les données, d’enquêter, de regarder autrement Marseille. Ce qui devait au départ n’être que la base et l’outil d’analyses ultérieures, est devenu la première pierre, la première esquisse d’une nouvelle représentation de la ville – d’ailleurs déjà obsolète, à reprendre sans cesse, puisque l’état du végétal non cartographié est par définition mouvant. Ce qui devait être le support d’une recherche en écologie urbaine est devenu l’objet même de cette recherche.

UN REGARD INVERSÉ

La carte “Marseille : un regard inversé” fait apparaître une étonnante réalité verte qui tranche avec le paysage très minéral que donne à voir le territoire communal depuis le sol. La carte met en exergue une importante végétation intra-urbaine. Plusieurs unités de structuration du territoire se dégagent en fonction de la densité et de la composition de la végétation en liens étroits avec les particularités topographiques, paysagères et urbaines.

La façade littorale détermine les relations de la ville à la mer. Au nord du centre-ville, l’activité portuaire dessine un trait de côte totalement artificiel. En direction du sud, le littoral se pose en véritable gradient de naturalité, partant de la ville dense, passant par le domaine balnéaire et aboutissant au massif des Calanques.

Par ailleurs, depuis le centre vers la périphérie, la densité de la végétation augmente selon une organisation auréolaire. La matrice urbaine dense du centre-ville et du péricentre offre peu de couvert végétal – alignements d’arbres liés à la voirie, jardins publics (parcs et squares) ou jardins privatifs en coeur d’îlots et, plus rarement, espaces résiduels (friches ou bois). Au sein des espaces périphériques, le maillage d’espaces végétalisés est plus dense, plus complexe (avec une grande diversité de formes) et essentiellement lié au passé agricole de cette partie du territoire.

Jardins collectifs, Plombières, impasse de Gibraltar, 3e arrondissement © Geoffroy Mathieu

Les massifs calcaires périphériques s’imposent, quant à eux, comme des espaces de grande naturalité. Ceinturant le territoire marseillais, ils sont principalement composés de garrigues et se dressent en véritables réservoirs de biodiversité. Ils font l’objet de protections différenciées. Au nord, les massifs de la Nerthe, de l’Étoile et du Garlaban sont protégés par des outils de planification locaux (PLU), tandis qu’au sud la chaîne Saint-Cyr et les massifs de Marseilleveyre et des Calanques relèvent d’une protection institutionnelle (Parc national).

Cette première lecture met en évidence le rôle fondamental que tient la couronne périphérique dans l’organisation d’une potentielle trame verte à Marseille. Depuis les piémonts des massifs jusqu’au coeur de la ville, nous voyons en effet s’y dessiner des continuités vertes qui pourraient favoriser les déplacements des espèces animales et végétales entre les réservoirs de biodiversité de la périphérie naturelle et les espaces verts de la matrice urbaine dense.

UN PAYSAGE FAÇONNÉ PAR L’EAU

L’organisation de la végétation à Marseille est en partie inféodée au réseau hydrographique du territoire. La basse vallée du fleuve côtier de l’Huveaune, le ruisseau des Aygalades et le bassin versant de la rivière du Jarret, reliés entre eux par le canal de Marseille, s’imposent comme des éléments structurants d’une véritable trame bleue. Au sein de la couronne périphérique, cette dernière détermine un riche maillage d’espaces à caractère de nature et de continuités vertes associées.

À l’échelle du territoire communal, l’armature végétale semble ainsi se dessiner autour de deux axes majeurs. Le premier, que l’on peut appeler “axe nord”, est structuré par les bassins versants du Jarret et des Aygalades. Il part de la ville dense, en s’organisant finement le long des cours d’eau, pour atteindre les quartiers Nord, où il s’évase du fait de la forte densité d’espaces à caractère de nature périphériques.

Cluse des Aygalades : résidence le Montleric, vue depuis le chemin de la Guillermy, 15e arrondissement © Geoffroy Mathieu

Le second axe, que l’on peut appeler “axe sud” suit, quant à lui, le fleuve côtier de l’Huveaune. Ainsi à Marseille, trames vertes et bleues relèvent-elles bien d’un même système territorial articulé autour de ces deux ensembles qui ne dépendent pourtant pas des mêmes enjeux urbanistiques.

Au-delà de ces facteurs hydrographiques déterminants, la structuration de la végétation à Marseille résulte de facteurs historiques et urbanistiques particuliers. Véritables patrimoines bâtis, le canal de Marseille qui ceinture la ville et le réseau de bastides qu’il irrigue ont contribué à façonner la physionomie de la périphérie marseillaise. En tant que singularité de la ville, les bastides présentent une signature paysagère unique tant en termes architecturaux que végétaux. Lorsqu’ils n’ont pas disparu sous les effets de l’urbanisation, ces domaines restent en effet souvent associés à des reliquats de jardins luxuriants et à des paysages verdoyants.

par Jean-Noël Consalès, géographe-urbaniste

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À l’agachon des points de vue

Le 10 août 2016, un incendie a embrasé la partie Est du plateau de l’Arbois, sur les commune de Vitrolles, Rognac et des Pennes-Mirabeau.

  Le 10 août 2016, un incendie a embrasé la partie Est du plateau de l’Arbois, sur les commune de Vitrolles, Rognac et des Pennes-Mirabeau. 27 km2 ont brûlé, soit un dixième environ des 250 km2 du vaste plateau. Emporté par le mistral, un immense nuage orange a recouvert Marseille plusieurs heures. Le grand Arbois, le cœur sauvage de la métropole, d’ordinaire si discret, a déposé ses cendres jusque dans nos habitations. Plusieurs jours après, l’odeur âcre du bois brûlé imprègne toujours les entrées d’immeubles. La partie dont il est question dans cette chronique a été épargnée.

Depuis le nouveau parking du parc départemental, on s’élève vers l’ouest au-dessus du hameau de la Tour d’Arbois par un chemin pierreux. Après avoir dépassé la ligne TGV par un pont, et le canal de Marseille ici en tunnel sous la colline, le chemin rejoint la ligne à haute tension. À mi-pente, en un lieu exposé au vent, au-dessus d’un vallon étroit, tout à coup les replis du plateau se mettent en équilibre. On s’arrête. On se retourne. Il y a une série de paysages qu’on aurait pu dépasser sans les voir.

Sous le pylône, les crocus sont en fleurs.

Le premier paysage qui se déroule, c’est le petit vallon en dessous de nous. De haut en bas, le champ étroit et zigzagant d’une « mange » aménagée par les chasseurs pour nourrir le gibier fait une rivière de verdure trouée d’arbres, qui devient ensuite un vallon plus sauvage, et se heurte au canal de Marseille dans ce qui semble être une espèce de barrage-remblais. Ce vallon fut autrefois un bassin de décantation des eaux limoneuses de la Durance.

Plus loin, au-delà du canal et de la ligne TGV, ce paysage intermédiaire s’ouvre et s’élargit vers Aix. Dans le prolongement du chemin d’où nous venons, filent les pylônes à haute tension vers les derniers immeubles de la Duranne, la ville nouvelle d’Aix et, tout au fond dans l’axe, la cheminée de l’usine thermique de Gardanne, qui alimente en électricité une bonne part de la Provence. De part et d’autre de la grande ligne électrique Avignon-Nice (la principale ligne de Provence, avec 400 000 volts) deux tableaux se dessinent : à gauche, le pays d’Aix, d’Eguilles à Aix-en-Provence, culmine avec la masse ici triangulaire de la Sainte-Victoire ; et à droite, Gardanne et se terrils s’accrochent au massif de l’Etoile et son Pilon du Roi.

Entre deux fourrés de chênes kermès, on aperçoit le bâtiment de la gare Aix-TGV. Derrière le canal, tous les quarts d’heure environ, nos discussions sont couvertes par le bruit d’un long train bleu qui vient fendre l’espace.

Les artistes du GR2013 ont choisi ce site pour y installer une sorte de cabane, un igloo de tasseaux, une maquette à l’échelle 1 d’un observatoire du paysage. Cet affût métropolitain, cet agachon sauvage équipé de cadres et de longues vues pointe çà et là de nouveaux détails, des micro-paysages : un fourré de romarins et de chênes kermès, une grotte dans la falaise, le terril de Biver entre les barres de métal du pylône électrique, la ligne de l’oppidum d’Entremont, le château d’eau de l’ancien sanatorium, devenu “Europole”, la ligne de pins japonisants découpant le massifde l’Etoile, l’écoulement de l’eau bleue de Durance sortant du tunnel et filant silencieusement dans le canal pour étancher nos soifs métropolitaines.

Photo Geoffroy Mathieu
© Geoffroy Mathieu

Tous ces points de vue font le plateau.

Tout le monde y passe, mais peu de gens regardent vraiment l’Arbois.

Surplombant la métropole à une altitude moyenne de 200 mètres, le plateau est surtout peuplé d’une faune métropolitaine de sangliers et de lapins scrupuleusement comptés et entretenus (par les chasseurs), d’oiseaux protégés dont les aigles de Bonelli (par les écologues), et l’habituelle foule animale anonyme dont tout le monde vit mais dont personne ne parle.

Entre l’aéroport de Marignane et celui des Milles, le plateau de l’Arbois est traversé par la récente LGV et par la vieille route D9 encombrée de ses 40 000 véhicules par jour. Le passage de la D9 en tranchée sous la gare TGV a nécessité de creuser le plateau sur toute la profondeur de sa couche superficielle, révélant ainsi les strates, régulièrement empilées, d’un calcaire orange, rose, friable. Bien plus récent que le calcaire homogène et blanc de la Sainte-Victoire ou des Calanques, le socle géologique de l’Arbois résulte de la sédimentation d’une mer tropicale il y a 30à 40 millions d’années.

Dans les plaines alentour, une série d’équipements, de villes et de villages dansent en ronde autour du plateau : Ventabren, autoroute A8, aérodrome des Milles, Europole de l’Arbois, ville nouvelle de La Duranne, prison de Luynes, Bouc Bel-Air, Cabriès, centre commercial de Plan-de-Campagne, les Pennes-Mirabeau, Vitrolles, aéroport de Marignane, Rognac et Velaux. Le plateau est creusé de profonds vallons qui le découpent en plusieurs sous-plateaux distincts disposés comme autant de planètes autour du “plateau du Grand Arbois” central : la plaine du Cimetière, la plaine du Ban, le Petit Arbois, le bois de Boulard, la plaine des Tisserands, les plaines d’Arbois…

Ce cœur métropolitain est gorgé de secrets – dont l’immense ville oubliée des GIs américains, ses dalles de béton, ses barbecues, ses théâtres de verdure (cf. article C. Vaysse), mais aussi, plus près de nous, ses chasses gardées, ses parties fines, ses légendes, ses aventures sexuelles libres et tarifées, straight ou gay, locales ou régionales.

La moitié nord du plateau, assez sauvage, est entièrement classée, au titre des oiseaux protégés qui y nichent, dont l’aigle de Bonnelli ; et la moitié sud du plateau accueille quant à elle plusieurs grands équipements, dont la gare TGV, un hippodrome, le bassin de décantation du Réaltor et les zones résidentielles de Calas et du Lac Bleu. À peu près au centre du plateau, à proximité de la gare, trône l’immense déchèterie qu’Aix-en-Provence a installée à la limite occidentale de son vaste territoire communal, de sorte que, la pente aidant, les écoulements se déversent sur le territoire de Vitrolles.

Mais au nord comme au sud, les principaux usagers du plateau de l’Arbois sont les chasseurs – au nord, sur des terrains publics gérés par l’association de chasse d’Aix-Les Milles, et au sud sur des chasses privées. Les habitants des villes alentour y pratiquent d’autres loisirs de plein air, comme la randonnée, le footing et le VTT. Chasseurs et randonneurs évitent en général les conflits d’usage par leur intelligence du territoire et par leur détestation commune des motocross, qui tracent à flan de coteaux des drailles ravinantes ajoutant leurs égratignures à cet espace partout griffé de la présence urbaine.

Comme le jardin impérial à Tokyo, le sanctuaire de l’Arbois est le vide central de la métropole.

Texte Baptiste Lanaspeze pour le Bureau des Guides

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