← Tous les projets

Paul-Hervé Lavessière

Peux-tu qualifier en quelques mots ton rapport à la ville ?

J’ai une formation d’urbaniste, même si je viens de la campagne. J’ai découvert la ville avec les études et avec les bureaux d’études, en Belgique,
à Bruxelles et Charleroi. Je me suis donc approprié le point de vue dominant sur la ville que tu apprends en école d’urbanisme : « la ville dense c’est bien et l’étalement urbain c’est pas bien ». Il faut vivre dans le centre ville, parce que c’est plus écologique : un camion de livraison arrive et profite à beaucoup de citoyens, alors qu’à la campagne, on est tous en voiture dans tous les sens. Il y a une gabegie énergétique.

J’étais très ville. J’ai deux enfants. Ils sont nés dans des villes et ils ont grandi dans des villes. Que ce soit Bruxelles ou Toulon, à chaque fois dans le centre.

Cette vision-là, je suis en train de complètement la remettre en question maintenant. J’adhère de moins en moins à ce discours-là. Je deviens de plus en plus critique. Peut-être par rapport à la pratique des sentiers métropolitains. Au début où je commençais à marcher dans le grand Paris, j’étais très pro-, pas pro-métropole, mais j’étais quand même assez fasciné par ces grands objets, les grandes villes. Parce que c’est super, il y a plein de gens, il y a plein d’histoires à raconter, il se passe plein de trucs.

Et plus ça va, plus le sentiment a évolué vers une envie de choses plus simples et moins coupées de la terre. C’est notamment lié à tout ce que j’ai pu lire sur le biorégionalisme et l’agriculture urbaine. Au début, je trouvais ça très marrant, une espèce de hobby quoi. Mais je me dis maintenant : « la ville de demain elle est là ». Elle est dans les délaissés agricoles. Mon point de vue sur la ville a totalement changé depuis un an, ou deux. J’ai plus vraiment de théories, mais j’ai envie de voir la ville changer vers une sorte de ville agricole. Et dans ce scénario, le problème finalement ce n’est plus la périphérie. Parce qu’en périphérie, il y a des jardins partout. Donc si tout le monde faisait des potagers et mettait des poules dans tous les jardins, les quartiers pourraient quasiment se nourrir. Le problème devient le centre-ville, alors qu’il y a cinq ans, je trouvais que le centre-ville c’était l’idéal. »

Maintenant, je vais aller vivre dans une ville moyenne à Angoulême.
Plutôt en première couronne, faubourgs, là où tu as limite-faubourgs et premiers pavillons type 4 façades. Je suis plutôt attiré par ça et je pense que le confinement a un peu joué là-dessus aussi. Le ras-le-bol de la cage à poule.
C’est une drôle d’image ! (rires) C’est pas la poule du poulailler, mais celle en batterie, le fait qu’on soit tous entassés.

La marche quand même a servi de bascule, avec le Life, à force de discuter avec Dalila — Nicolas, il est quand même assez ville — du coup surtout avec Dalila, elle m’a appris à regarder la biodiversité dans la rue. Je savais que ça existait, mais je n’avais jamais été initié de la sorte. Elle a changé mon regard. Mon point de vue a évolué sur la place de la végétation dans la ville. J’étais pour une ville très très dense, où il n’y a presque plus de nature dedans, je me disais qu’il fallait préserver de la nature autour.
Et elle me disait : « ce qui est intéressant dans la nature, c’est pas la nature sans l’homme, c’est la relation qu’on a avec la nature. L’écologie, c’est la relation. » Et en fait, toute la bibliographie WildProject (maison d’édition), je me suis quand même bien plongé dedans, alors qu’au début j’ai pas forcément lu parce que je ne comprenais pas. Le biorégionalisme, avec son approche très simple, de partir des lieux, des cours d’eaux, et des bassins versants pour habiter la terre, ça me parle beaucoup. Ce sont des questions très politiques, parce que le biorégionalisme, ils appellent ça aussi « éco-anarchisme ». L’idée c’est d’avoir des humains qui habitent localement, qui peuvent avoir des échanges avec d’autres communautés autour, mais sans gros pouvoir central qui fait des grands projets avec des lignes TGV et avec des aéroports, parce qu’un village ne peut jamais faire ça. Quand on est
à Paris, dans cette masse de grands projets d’aménagement, plus ça va, plus je vois ça comme les ruines du futur.

Comment prépares-tu tes balades ?

J’essaie toujours de visualiser la journée. Comment elle va se passer. Et puis, j’essaie de faire toujours quelque chose de très user friendly. Que les gens soient contents et que ce soit possible d’accueillir tout le monde. Quel que soit le genre ou l’âge. J’applique les principes de Nicolas : « D’abord il faut des toilettes ».

Et après, j’essaie d’avoir une alternance d’ambiance. D’avoir un équilibre entre des ambiances, des qualités de confort piéton : un moment bruyant, relié avec du calme. Je fais pas mal de repérage de terrain, je regarde les cartes, je recroise plein d’infos différentes, entre le géoportail, les cartes IGN, STRAVA, toutes les cartes qu’on peut trouver. Puis, je vais au moins faire un ou deux repérages pour voir si ça passe toujours, s’il n’y a pas une chute possible, que ce soit confortable. Une espèce d’équilibre entre des endroits où on ne passerait pas tout seul, mais accessible à tous. Sur la balade Le fil du Las, il y a un chemin effondré, mais j’ai mis, il y a longtemps déjà, une corde pour se tenir qui permet de ne pas tomber dans la rivière, ce qui est quand même utile (rires). Après, j’essaie d’avoir des intervenants, ou de passer dans des lieux où il y a des gens qui ont des choses à nous dire. Qu’on ait un sentiment de privilège de participer à cette marche. Il y a toujours un fil rouge qui va suivre tout le long de la balade, mais j’essaie de pas faire des thématiques. Le thème de fond, en général, c’est notre relation à nous les humains, à la Terre, et à la nature, et du coup à l’eau. Comment on habite dans des immeubles ou dans des petites maisons ? Quels regards on va porter sur des jardins, la fréquentation de certains lieux ? S’il y a un grand thème, c’est : « comment on habite la Terre ? »

J’aime bien essayer de voir ça d’un point de vue presque documentaire, comment est-ce qu’on habite une vallée, le long d’un cours ?

Il y a un peu de travail pour accumuler des infos et pour pouvoir les retransmettre. Mais la plupart des choses les plus intéressantes que j’ai apprises, c’était en invitant des gens et en les écoutant. Je vérifie et après je vais approfondir. Sur le Las, il y a plein de trucs que je voyais pas, et c’est en me promenant avec un gars spéléologue, qui connaît super bien le coin :
je trouve que c’est là que ça se transmet le mieux, c’est quand quelqu’un te le dit. Il y a une espèce de rumeur, une culture de l’oralité qui est vachement bien pendant ces promenades et dans la préparation de ces promenades. Parce que, « comme on marche, on parle ». On est beaucoup là-dedans,
finalement. Tandis que dans la balade patrimoniale, on va vraiment faire gaffe à être sûr de ce qu’on dit, comme un guide de musée. Moi j’aime bien ce « on dit », on raconte des histoires, on mélange un peu le faux, le vrai.

Comment appréhendes-tu un trajet ?

Ça va pas être très différent de ce qu’a dû te dire Nicolas, parce que je l’ai appris de lui. C’est la recherche du calme. La recherche du confort piéton. Cette fameuse coulisse de la ville dans laquelle on va prendre des petits chemins de côté.

Je trouve que le tracé est bon parce qu’il modifie ta géographie, surtout pour les gens du coin, les gens du cru qui pensent connaître. Je trouve que c’est un bon tracé parce qu’il est confortable, qu’on passe un bon moment, qu’il n’est pas absurde non plus, que ce n’est pas un truc trop bizarre, même si des fois on peut faire, je sais pas, des chaussettes, des choux-fleurs sur la carte (rires).

Le truc du calme, c’est aussi parce que ça permet au groupe de discuter.
Boris Sieverts parle de ça, de la musique des gens qui parlent, qui marchent à la queue-leue-leue et qui discutent. Avant j’avais peur. Je me disais, faut que je remplisse, parler, parler, parler. En fait les gens discutent en marchant. On est souvent dans des villes bruyantes où c’est pas toujours confortable de discuter. Je me dis que, même si je racontais rien du tout, j’aurais déjà mis en place un moment qui a permis à des gens de discuter dans des bonnes conditions, tout en étant dans la ville.

Qu’est-ce que ça apporte de marcher en groupe ?

J’essaie toujours de mettre les gens à l’aise pour qu’ils puissent parler, en disant : « vous avez tous forcément un truc intéressant à dire, à partager à un moment, vous êtes pas obligés, mais vous pouvez toujours ». Faire en sorte que ce soit vraiment une discussion itinérante. On se balade, mais si on a truc à dire on le dit, et vu que le public est toujours différent, c’est toujours une surprise d’apprendre moi-même un truc sur l’espace duquel je suis censé être le guide. J’aime bien apprendre, je le prends jamais mal quand quelqu’un rajoute un truc. Au contraire, on gagne un petit savoir en plus, on a acquis quelque chose grâce au fait d’être ensemble. Ça marche que parce que les groupes sont jamais les mêmes, que c’est en live, et que j’essaie de faire en sorte que tout le monde puisse parler et s’exprimer. Ça apporte beaucoup. J’aime bien être maître du temps, vérifier que tout va bien, qu’on est bien à l’heure pour le bateau. C’est un peu comme si le groupe c’était devenu un navire, tu vois, t’es sur le navire du groupe et il te porte en fait. Même si tu marches avec tes jambes, t’es porté quand même par quelque chose. T’oses plus. Alors que quand tu es tout seul, t’es sur ta petite barque là, à ramer (rires). Je suis pas du tout un solitaire. Et puis même maintenant, j’ai trouvé le plaisir de suivre un guide, j’aime assez bien. Alors qu’avant je voulais être libre, choisir exactement où je voulais aller. Je me rends compte que la richesse c’est pas tellement l’itinéraire, c’est vraiment le moment social qui s’y passe. Ça offre tellement de liberté, s’il y en a un qui te gonfle, tu dis « ah tiens, faut que je refasse mon lacet » (rires) et tu rejoins d’autres gens. Je trouve que c’est une forme super agréable, tu peux parler avec plein de gens différents, c’est pas pareil qu’une soirée dans un bar où il faut forcément avoir un truc à dire. Pour des timides comme moi, c’est vraiment bien.

Quel est selon toi le principal/plus efficace argument pour réintroduire la nature en ville ?

Je me suis rendu compte des efforts qu’on déployait pour ne pas laisser la nature se développer. Dans du vert, j’arrive à différencier ce qui est vivant et ce qui est plus ou moins là avant qu’il ne meure. Il y a les plantes qui ont leurs vies propres, qu’on laisse plus ou moins muter, s’adapter, vivre. Et puis, il y a les trucs qu’on plante et puis qu’on coupe dès qu’ils ne vont plus. On s’épuise. J’ai jamais vu autant de moquettes sur les ronds points, ils plantent encore des palmiers place du Globe, alors que tout le monde dit qu’il fait chaud, qu’on veut de l’ombre. On voit la nature comme un décor. Mais c’est plus large que l’aménagement de nos villes, c’est le point de vue qu’a notre société sur le vivant, et sur l’idée de nature. En fait, on est tous malades de ça. Je le disais, je m’intéresse beaucoup à la question de la relation avec la nature. On a été récemment en balade, dans une forêt à Saint-Mandrier, tout en jungle. Et ça posait plein de questions. Elle a brûlé, donc ils ont replanté des arbres. Pourquoi la forêt est complètement en friche et brûle ? Parce qu’on n’a pas de relations avec. On l’a abandonnée. Pourquoi on n’emmène pas un troupeau, faire du pâturage là-dedans ? Ça limitera les incendies. On aura un point de vue au-delà du « c’est vert sur la carte ». Et là où ça a brûlé, tout de suite on a replanté des trucs, on a importé des arbres d’Espagne pour tout de suite replanter. Pour que ça ressemble à l’idée de « tiens, il y a une forêt ici »… C’est un peu le syndrome du fond d’écran. Mais on a souvent ce rapport-là avec nos jardins aussi. J’ai un copain qui est jardinier, il est fou de voir qu’à chaque fois les clients demandent « faut que ce soit propre ». Les gens veulent que rien ne traîne au sol, et faut que ce soit propre, parce qu’on invite des amis. Il enlève tout ce qui tombe des arbres, il doit l’emmener à la déchetterie pour qu’ils le transforment en terreau.
Et puis ces mêmes clients vont racheter du terreau derrière. C’est les Shadoks ! (rires). Alors que la question c’est : est-ce que tu as envie d’un sol vivant ? Est ce que tu aimes la vie ? Ça te fait pas quelque chose de savoir qu’il y a des insectes, des vers de terre, et qu’en plus tes légumes ils vont mieux pousser ?

En quoi ton travail de guide peut-il avoir un impact sur les modes d’engagements vis-à-vis de la ville ?

L’offre qu’on a proposée avec les balades Life à Toulon était vraiment nouvelle. Et un nouvel espace à la fois de pratique de la ville, mais aussi un espace de dialogue et de rencontre qui n’existait pas sur ce territoire. Il y avait des balades avec Metaxu, qui étaient plutôt des balades-performances artistiques, mais où il n’y avait pas forcément de questionnement citoyen sur la place de la nature en ville. C’était plutôt basé sur l’expérience sensorielle du territoire. Ce qu’on a proposé était un peu différent parce qu’on faisait intervenir des gens, des associations, et qu’on essayait de développer un discours sur la ville et ses usages. Il y a des gens qui se sont greffés, qui sont devenus vraiment fidèles et qui ont fait vraiment toutes les balades. Ils venaient pour profiter de cet espace-là. Et ça a eu un impact pour une petite poignée de gens, de savoir que c’était possible de se retrouver dehors, d’avoir un espace où on peut parler de tous les sujets qui nous environnent, des rivières, des chemins, de l’état des quartiers. Tout en prenant du plaisir à marcher, tout en étant dans un truc sympa et convivial. Au début, il y avait un gros stress de la part des collectivités, à savoir qu’est-ce qu’on allait dire, est-ce que c’est un truc politisé, il fallait absolument écrire tous les speechs ensemble, les valider. Et tout ça s’est détendu parce qu’ils ont compris, au bout d’un moment, que c’était fait par des gens qui aiment le débat, mais surtout qui sont des passionnés du territoire. Et donc il n’y avait pas d’esprit malveillant, c’était pas du tout du bashing, au contraire. C’était plutôt pratiquer ensemble le territoire et se poser des questions là-dedans. C’est très bienveillant finalement comme regard. Et ça je pense que ça a vraiment ouvert un espace à Toulon, dans TPM (Toulon Provence Méditerranée). Il y a eu un gros truc aussi, c’était les journées d’ateliers coordonnées par TPM, les ateliers avec les communes sur la définition du sentier. Ce n’était pas trop dehors, justement, plutôt en salle. Mais quand même, c’était la première fois que des élus et des techniciens de ces communes voisines se voyaient pour parler, — c’est eux qui nous disaient ça —, la première fois ou une des premières fois, qu’ils se voyaient pour parler d’autres choses que de sujets chiants et obligatoires. D’un coup, ils se voyaient pour parler de ce bout de chemin, du lavoir, de l’histoire de leur commune. Ça a créé un espace, au-delà des citoyens, du côté des collectivités. En fait le sujet, le fait de définir ensemble un sentier de randonnée, qui est un sentier métropolitain, — qui est un truc particulier c’est ni du marketing territorial, ni du tourisme carte postale, ni un projet hyper engagé, mais quand même un peu c’est hybride, surprenant pour tout le monde, — ça a renversé les codes habituels. Personne n’était dans son rôle habituel. Ça crée un espace un peu inédit de dialogue dans lequel rien n’était joué d’avance. Parce que d’habitude,
si c’est une réunion sur, je ne sais pas, le syndicat de déchet, tout le monde a son rôle. On connaît, on sait ce que chacun va dire, on connaît à l’avance la position de chacun. Et là d’un coup, c’est un truc complètement différent, où on a un élu qui va nous dire « ah, mais oui je me souviens, il y avait des vaches ici, je me souviens très bien de ce vieux chemin, mais comment ça se fait qu’il est plus cadastré, mais si, on va aller voir ça, de près… ». C’est surprenant. Et finalement il rencontre le gars qui s’occupe du sentier du littoral, ils ne se voient jamais et discutent ensemble du chemin des vaches, et ça créé quelque chose de bon. Qui fait du bien à tout le monde je pense.
On a eu des personnes qui à travers ça ont changé de discours, et l’ont formulé. On voyait des gens de la nature s’intéresser à la ville et inversement.

Ta propre vision de la nature en ville a-t-elle évolué depuis le début de ce cycle Nature For City Life ?

Dans le cadre de ce projet, Nature For City Life, là où moi j’étais très architecture, urbanisme, les grandes infrastructures, je me suis en tous cas formé à ces questions-là. Et je pense qu’on pourrait avoir des villes plus vivantes, avec des jardins vivants, avec des arbres qui vivent vraiment, et qui sont pas juste là parce qu’il y a un goutte à goutte et qui ne soient pas juste du décor.

Toutes les herbes qu’on a vu pousser pendant le confinement, on s’est empressé de les enlever. On le fait dans la ville, mais beaucoup de personnes le font aussi chez elles. On déploie beaucoup d’énergie, on dit « il faudrait remettre de la nature en ville ». Il faudrait surtout arrêter de l’empêcher. C’est comme si la nature nous parlait partout, de mille voix elle nous parle en disant, « je suis là, le monde est vivant, vous en faites partie » et « vous voyez il y a des graines partout, ça pousse », et nous on n’entend pas et on coupe. Non seulement on n’entend pas, on ne comprend pas le langage, on ne veut pas le comprendre, et on parle par-dessus. C’est une espèce de dialogue de sourd, mais le vivant végétal ne se lasse pas, continue toujours de nous parler.Puis, il y a un autre truc qui me pose question en ce moment, c’est pourquoi les quartiers pauvres sont souvent les plus dégradés sur le plan environnemental. Tu arrives dans une cité HLM et tu vois des poubelles qui débordent dans la rivière, avec des bidons d’huile de vidange. C’est un sujet à la fois très simple et très compliqué. La pensée-réflexe qui émane des marcheurs et qui ne sont généralement pas issus des classes les plus défavorisées, c’est souvent « ahlala, les pauvres salissent ». Et c’est compliqué de faire comprendre qu’en fait, non, ce ne sont pas « les pauvres qui salissent », mais plutôt qu’il y a des processus en cours qui ont tendance à créer en même temps de la pauvreté et une dégradation de l’environnement. Et que tout ça finit au même endroit. J’essaie de lier ça à la lecture de Malcolm Ferdinand (Vers une écologie décoloniale, La Découverte). On peut très vite avoir des gros discours jugeant de dominants sans s’en rendre compte. C’est peut-être un de nos tabous à nous, guides, mais en tous cas ça m’intéresserait vraiment de creuser un peu et de trouver un moyen d’imaginer des projets concrets d’écologie populaire. L’enjeu c’est de mettre en parallèle crise sociale et crise écologique. L’écologie c’est la science de la vie et des relations, et ça ne peut pas être juste l’environnementalisme pur. Si tu as un environnement en bon état, mais que tu as une crise sociale toute pourrie derrière, ça ne marche pas. Le but c’est de réparer tous les liens en même temps. C’est l’idée de la cassure. Il y a des cassures au sein de la société, entre des classes sociales, et ça participe à la cassure du lien entre les humains occidentaux et la terre.

Cette interview de Paul-Hervé Lavessière est tirée des cahiers DEHORSCes cahiers ont été réalisés d’après des balades Nature for City Life effectuées entre juin 2018 et août 2020.

← Tous les projets

Une monographie du quartier Thiers autour des rues Senac, Curiol et Thiers

autour des rues Senac, Curiol et Thiers par Nicolas Mémain

 

Balade urbaine, boucle de 2km depuis le 152 Canebière.

Dans le cadre des Dimanches de la Canebière

Le 27 mai 2018 de 14:00 à 17:00

← Tous les projets

La rue Saint-Ferréol

Exploration d’une des rues les plus regardées de Marseille par Nicolas Memain

Il s’agit ici de décaler notre regard porté sur cette rue des plus visitées à Marseille avec ses nombreux commerces pour (re)découvrir par l’architecture des bâtiments,  l’Histoire de cette voie de la fin du XVIIe à la fin du XXe siècles, ses formes d’architecture domestique baroque, l’éclectisme 19ème convenu ou encore la belle époque et les arts décoratifs et autres trésors cachés.

Découvrir le récit de cette balade par les dessins de Benoit Guillaume avec Marsactu

Durée : 2h30

← Tous les projets

Attiko monopati

Du 18 mars 2021 au 15 octobre 2021

Depuis le printemps 2018, un nouveau sentier de randonnée, de création et de recherche urbaines traverse Athènes et son complexe urbain sur plus de 300 kilomètres. Pensé en dix-huit étapes, l’Attiko monopati permet d’aller de centres à centres, périphéries à centres et autres périphéries. 

Dessiné par Jordi Ballesta, géographe, photographe et membre de la coopérative de producteurs de sentiers “Paths of Greece”, le sentier parcourt quartiers populaires, cités-jardins, zones portuaires, sites archéologiques, anciennes carrières, forêts et maquis, plaines maraîchères, centres commerciaux, lits de rivières, massifs montagneux, littoraux jalonnés de résidences secondaires, combes et belvédères…

Si loin si proche de la géographie du GR2013, l’Attiko Monopati interroge les manières contemporaines d’habiter, de construire et d’aménager depuis Athènes jusqu’aux confins de sa région, l’Attique. Conçu comme un observatoire des constructions vernaculaires et des interventions domestiques, ce nouveau sentier invite à se laisser porter dans la capitale grecque, hors de tout véhicule motorisé.

La Vitrine du sentier est soutenue par le Département des Bouches-du-Rhône dans le cadre de la redynamisation du centre-ville de Marseille.

L’Attiko Monopati, tout comme le GR2013 à Marseille, fait partie du réseau européen des sentiers métropolitains, qui comprend notamment les sentiers de Paris, Bordeaux, Londres, Cologne, Milan et Liège. Il est aussi un des terrains d’étude de l’École européenne des sentiers métropolitains, Metropolitan Trails Academy.

Ce travail a fait l’objet d’une exposition à l’Institut Français d’Athènes en février 2020.

À l’occasion de l’exposition sur le sentier métropolitain Attiko Monopati à Athènes, le Bureau des guides du GR 2013 invite son créateur Jordi Ballesta à nous parler de son approche des paysages, de la manière dont a été pensé le sentier et ses futures évolutions. Initié en 2018, le sentier est long de plus de 300 km et se décline en 18 étapes. Embrassant une grande diversité d’espaces, il interroge les manières d’habiter des Athéniens. Un bel outil paysager. 

Arrivé à Athènes dans les années 2000 dans le cadre de recherches doctorales, Jordi Ballesta a déjà une large connaissance de la ville – parcourue à pieds en large et en travers – lorsqu’il rencontre le sentier du GR 2013 et ses créateurs. De cette rencontre naîtra l’envie de concevoir un sentier métropolitain athénien. “J’ai travaillé à partir de plusieurs problématiques : j’étais notamment intéressé par le fait que le sentier puisse être à la fois une création, un lieu de recherche et une infrastructure de transport.” Le bassin d’Athènes, d’environ 15 km sur 30, est entouré de montagnes. Polycentrique et dense, la ville privilégie la circulation automobile. “Dans les imaginaires athéniens il est difficilement concevable de faire plusieurs kilomètres pour aller d’un quartier à l’autre, encore moins de faire plusieurs dizaines de kilomètres à pied pour aller d’un bout à l’autre de la ville.” Rarement conçue selon des critères urbanistiques contraignants, Athènes est davantage organisée pour répondre à des soucis pratiques que pour épouser des critères esthétiques. Jusqu’à ces dernières années, les Athéniens ont longtemps considéré leur espace urbain comme monotone, créer un sentier était alors un moyen de tenter d’appeler de nouveaux imaginaires et de proposer un autre regard, par les pieds.

La pratique de la photographie documentaire tout comme la marche a permis à Jordi Ballesta de s’ancrer dans le territoire et d’avoir cette expérience immersive de la ville, à petite échelle. C’est ce que le géographe, photographe et explorateur américain John Brinckerhoff Jackson appelle le “paysage vernaculaire”: celui des pratiques de tous les jours, utilitaire, et bien loin du paysage-décor, esthétique et peint. “J’ai été progressivement attentif à de nombreuses micro-interventions qui proviennent des habitants et qui souvent débordent sur l’espace public. Il y a énormément d’interventions domestiques qui ne sont pas forcément réglementaires. À petite échelle, il y a une diversité des espaces qui est extrêmement forte, à l’échelle du trottoir, à l’échelle des pièces qui ont été ajoutées aux constructions, etc. C’est ce que j’appelle la Chôrodiversité  du grec “choros” : “espace”.” 

C’est finalement ce jeu entre les échelles que permet le sentier. “Alors qu’on pourrait concevoir que le mélange d’interventions publiques et privées est porteur de désordre, grâce au sentier et à son échelle, on comprend que les logiques habitantes participent à  une coproduction de la ville et à un enrichissement de ses espaces en nombre et en qualité.”

En mettant de côté outils de géolocalisation et cartes, Jordi Ballesta choisit l’orientation par les sens et propose un réel parcours par le corps. Les photographies viennent s’adosser et structurer l’expérience paysagère de la proximité en interrogeant les phénomènes urbains rencontrés sur la route. “J’ai remarqué que ce qui était décrit par les documents administratifs de la ville pouvaient être éloignés de la réalité, la photographie m’a permis de documenter et d’interroger ces phénomènes, dans une démarche de prise de notes et de prélèvement d’informations.” Utilisées pour retracer un itinéraire, les images deviennent aussi vecteur de relation et de discussion avec les habitants autour des changements de leur quartier.

Aujourd’hui, le sentier Attiko Monopati est un outil de recherche et d’exploration de la ville que les athéniens ont encore à découvrir. Parmi les rêves d’avenir : faire du sentier un outil de constitution et de transmission du patrimoine culturel d’Athènes, celui des manières d’habiter et de vivre la ville. “Il est important de montrer qu’il y a une richesse urbaine qui peut faire patrimoine et donc qui peut être transmise et valorisée. C’est un projet à long terme qui implique que le sentier s’imprime réellement dans les imaginaires urbains au-delà d’une petite communauté de marcheurs.”

Entretien par Johanne Baudy


← Tous les projets

La Fête du Ruisseau 2021

Trois jours pour prendre soin du fleuve côtier Caravelle/Aygalades

Les humains, depuis le début des temps, se sont rassemblés là où il y avait de l’eau douce. C’est là que se trouvent aujourd’hui nos villes. Quand dans la fraîcheur d’une ripisylve urbaine, vous prêtez l’oreille au roulement de l’eau et des cailloux qu’il transporte, quand, au détour d’une ruelle, vous saisit la vue d’une petite cascade, cela ne vous apaise-t-il pas ?

La ville a besoin que circule l’eau fraîche et limpide qui relie les collines et la mer, et plus son trajet est libre, plus profond est ce lien. 

Avec pour emblème la crevette bio-indicatrice nommée Gammarus Pulex, et en rêvant qu’à nouveau abondent les eaux depuis les roches calcaires, nous allons relier par la marche tous les ramassages de déchets de l’Opération Calanques Propres organisés dans le ruisseau Aygalades en aval, Caravelle en amont.

Relier l’amont à l’aval, se rassembler dans un même récit et une même déambulation à fleur du ruisseau, nous a permis de comprendre à quel point son histoire raconte les histoires de nos villes et leurs dépendances. Pour prendre soin de nos urbanités et des eaux qui les rendent vivantes, il nous faut nous assembler et échanger entre tous les habitant.e.s qui vivent dans le bassin versant de ce fleuve, depuis les vallées du massif de l’Etoile jusqu’à la calanque d’Arenc.

C’est pourquoi, nous voudrions vous inviter à notre fête du ruisseau, qui sera rythmée par l’action simple et fédératrice qu’est le ramassage de déchets sur ses rives. La fête se déroulera trois jours durant, les 4, 5 et 6 juin de l’année 2021. Le vendredi, des ramassages seront organisés vers l’aval, le samedi vers l’amont, et deux grandes marches, l’une depuis Arenc, et l’autre depuis Septèmes, conflueront en fin d’après-midi à la Cité des Arts de la rue en une assemblée de bassin versant. Une journée de fête et de débat s’y déroulera le dimanche.

Riverain.e.s du ruisseau, de proche ou de plus loin, viendrez-vous célébrer notre petit fleuve-côtier si important dans notre histoire et pour notre futur ?

La Fête du ruisseau est organisée par l’ensemble des acteurs du collectif des Gammares en partenariat avec le FRAC, le Printemps de l’Art Contemporain, Cap au Nord Entreprendre, les ateliers Jeanne Barret, l’association We records, la Savonnerie du midi, le centre social de la Gavotte Peyret et l’Espace jeunes Septèmes de Septèmes-les-vallons, Unis-cité, la Cité de l’agriculture et les artistes contributeurs.
Elle est soutenue par le projet européen Nature For City Life porté par la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur ainsi que par l’Agence de l’eau RMC dans le cadre du contrat de baie de la Métropole Aix Marseille Provence pour la valorisation des milieux aquatiques et se déroule dans le cadre du 13e Printemps de l’Art Contemporain, de Rendez-vous aux jardins, d’un Dimanche aux Aygalades et de Calanques propres.

La Fête du ruisseau est organisée par l’ensemble des acteurs du collectif des Gammares en partenariat avec le FRAC, le Printemps de l’Art Contemporain, Cap au Nord Entreprendre, les ateliers Jeanne Barret, l’association We records, la Savonnerie du midi, le centre social de la Gavotte Peyret et l’Espace jeunes Septèmes de Septèmes-les-vallons, Unis-cité, la Cité de l’agriculture et les artistes contributeurs. Elle est soutenue par le projet européen Nature For City Life porté par la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur ainsi que par l’Agence de l’eau RMC dans le cadre du contrat de baie de la Métropole Aix Marseille Provence pour la valorisation des milieux aquatiques et se déroule dans le cadre du 13e Printemps de l’Art Contemporain, de Rendez-vous aux jardins, d’un Dimanche aux Aygalades et de Calanques propres. Rien que ça ! Le collectif des Gammares réunit des associations et acteurs actifs le long du ruisseau pour favoriser un meilleur partage des connaissances, relier les initiatives et les territoires du bassin versant, proposer des actions communes et prendre soin du fleuve côtier. Il réunit à ce jour le Bureau des guides du GR2013, l’ApCAR (Association pour la Cité des Arts de la Rue), la coopérative Hôtel du Nord, les CIQ riverains, les AAA (Association des Amis des Aygalades), l’association AESE (Action Environnement Septèmes et Environs), l’association Jardinot, l’école de jardinage du jardin des cheminots, les artistes-voisins, le collectif SAFI et espère bien grandir encore.

← Tous les projets

← Tous les projets

En descendant la Canebière

De novembre 2017 au 26 février 2018

Il existe un patrimoine méconnu et pourtant familier qui sommeille dans des albums de famille. Portraits mouvants, émouvants de passants saisis par l’objectif des photographes de rue, ce sont parents, amis, oubliés et inconnus qui montent ou descendent la Canebière comme nous le faisons aujourd’hui, à quelques détails près. À travers ces modestes et précieux clichés, une autre histoire de cette artère mythique se révèle. Jean-Pierre Moulères propose de ranimer ce fonds éparpillé par le temps et invite les marseillais à aller fouiller dans leurs images personnelles et dans leurs souvenirs afin de contribuer à une collecte et à l’exposition qui en résultera.

En descendant la Canebière est un projet photographique sous le commissariat de Jean-Pierre Moulères, produit par ZINC Centre Arts et Cultures Numériques, financé par le Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône. La Vitrine du sentier est soutenue par le Département des Bouches du Rhône dans le cadre de la redynamisation du centre-ville de Marseille.

 

 

← Tous les projets

Nicolas Memain

Peux-tu qualifier en quelques mots ton rapport à la ville ?

C’est une ancienne devise : « il n’y a pas de différence entre l’intérieur et l’extérieur d’une boîte crânienne ». La forme urbaine, la forme construite, comme elle est l’expression des désirs, des besoins, des savoirs de l’humanité, elle est l’expression de la conscience, de l’âme, de ce qu’on a à l’intérieur. En travaillant sur l’extérieur, on travaille sur l’intérieur et vice-versa. La ville est une espèce de grande aventure à la fois individuelle et collective. La seule qu’on puisse avoir entre la naissance et la mort. C’est une expérience ontologique. Pourquoi sommes-nous là, pourquoi y a-t-il quelque chose, deux points, « la ville ». C’est pas une réponse, c’est une formulation calme du mystère.

Comment prépares-tu tes balades ?

J’aime bien avoir une commande. Parce que c’est pas moi qui décide, parce que ce qui est intéressant c’est ce que l’autre veut. Que moi j’aime passionnément, j’en suis conscient, que c’est irrationnel, que c’est excessif, mais qu’il n’y a rien d’autre que la culture, la passion, dans la vie, je le sais. Et rencontrer la passion de l’autre, la passion dans le sens « projet irrationnel », rencontrer le projet irrationnel d’un autre qui a envie d’une promenade, ça me nourrit. Et j’aime beaucoup explorer la demande de l’autre.

J’ai fait beaucoup de boulettes dans le temps, en me tirant des balles dans le pied, en écoutant pas exactement ce que les gens voulaient, en les froissant. Faut surtout pas froisser le client. C’est aussi une économie de service, je le vois comme ça. C’est à la fois de l’art, de la culture, mais c’est aussi une économie, et mon but les années qui viennent, c’est vraiment de le faire rentrer dans le domaine de l’économie privée. Je rêve de ça, je rêve qu’avec le Bureau des Guides on bosse pour Airbus hélicoptère, CMA-CGM, qu’on soit une espèce de prestataire, qu’on organise des réunions promenées, déconfinées. Tu vois, on est cette espèce de monde d’après. La hiérarchie elle est pas la même, le rapport au monde n’est pas le même. Je pense qu’on est hyper gagnant dans le monde d’après.

Et puis après sur les promenades, il y a des trucs très très simples. Je sais quelle est ma singularité, qui est un rapport à la ville qu’on ne regarde pas. Tu vois, j’ai une grande culture architecture urbanisme 20e et jusqu’à aujourd’hui. Le grand public, spécialement français, dit : « du gris béton monotone partout » et moi je dis « oh non regardez, c’est du Bach ». Comme disait Marc Quer, « je fais passer les barreaux de prison pour du Malevitch, pour des œuvres d’art abstraites ». (rires)

Et puis c’est beaucoup le théâtre et les comédiens qui m’ont appris à améliorer ce travail de préparation-là. Il y a à travailler contre le trac. Je vis ça comme c’est de la sculpture, c’est de la peinture, c’est de la musique.
Et je suis sculpteur, compositeur… Et qu’est-ce qui se passe dans l’art ? C’est l’attitude de l’auteur. Donc, il faut absolument avoir une attitude positive, comme un cadeau au groupe. On montre qu’on est content et heureux d’être plein de tendresse et de gentillesse pour les gens qui sont là, pour les choses qui sont autour de nous. Et donc il faut se préparer à ça. Alors, en général, moi je fais des repérages auparavant. Pour rigoler, je disais que j’allais et que j’explorais toutes les impasses. Et c’est un peu vrai.

Je vis ça vraiment comme de la composition. Il y a un début, il y a une fin, et donc il va y avoir un milieu. Et je sais comment le composer pour que ce soit un bon moment passé ensemble. C’est partitionné. Il peut y avoir une montée dramatique, une descente, il peut y avoir une plage d’ennui puis une belle surprise. J’ai des manières de composer ou d’écrire que je connais. A Martigues, vendredi dernier, il y a un moment où on passait par un trou dans un grillage et donc il y a toute une manière de l’amener, pour qu’il soit un peu surprenant. Parce que j’ai envie qu’il soit surprenant, parce que je trouve que c’est pas rien de passer par un trou dans le grillage, parce que je m’engage dans ma responsabilité, dans ma connaissance des textes de loi. Il y a une nana qui s’est pris une écharde dans le doigt au moment du trou dans le grillage. Je sais peser est-ce qu’il y a du risque. Est-ce qu’il y a un risque minimum, pas trop. Donc il faut composer ça comme de la musique. Et c’est très simple, moi je suis un classique. Je suis sur des partitions classiques en trois, en quatre, comme un repas. Entrée, plat, dessert. Mais c’est tout simple. C’est : on naît, on vit, on meurt. C’est toujours la même histoire : majuscule-phrase-point. Ces sont des formes éternelles.

Je pense vraiment que la promenade est une espèce des Beaux-arts. Sauf que c’est une activité artistique qui n’est pas passée à travers l’histoire, parce qu’elle a pas été écrite en tant que telle, parce qu’elle fait appel à l’infra-verbal, elle fait appel à des choses sans mots, elle fait appel à la proprioception, au sens de l’équilibre, au sens de l’espace. Elle fait rapport au corps dans l’espace. C’est un travail sur l’inconscient collectif : comment est-ce qu’on a des mots, qui sont pas des mots, qu’on a ensemble et qu’on peut ne pas dire – puisqu’il y a pas de mots – ensemble. C’est Magritte qui m’a donné ça, moi. Il t’attrape le cerveau parce qu’il sait que sans que tu le saches tu sais que. Et lui il sait que tu sais pas que tu sais. Il a beaucoup de tendresse pour toi, pour arriver à te manipuler, à te montrer que tu savais pas que tu savais que… un tissus écossais, qu’est-ce qu’un nuage, qu’est-ce qu’un ciel, comment tu reconnais un ciel, comment tu reconnais la silhouette humaine, les valeurs de luminosité, qu’est-ce qu’un paysage, la micro-gestuelle du visage. Tu sais tout ça. Tu sais des choses Et c’est une aventure.

Donc j’essaie de composer. Mais comme il y a toujours une part d’impro – parce que c’est pas possible de vraiment tout caler dans une promenade, sinon c’est vraiment pas intéressant – d’abord il faut que tu sois très très ouvert à l’événement, il faut que tu sois très très ouvert à ce qu’il va se passer, il faut que tu sois prêt à l’accueillir.

Et dans l’événement à accueillir, il y a le groupe… On est une espèce de gros cerveau collectif. Je témoigne de ma singularité mais dans le groupe il y a d’autres singularités. Il y a des savoirs, il y a des manières de voir. Et faut pas choquer. Il faut pas dire « les choses elles sont comme ça et pas autrement ». Il faut parler au conditionnel, il faut être doucement ironique, au second degré. Tu ne sais pas si c’est vrai, tu ne sais pas si c’est une fiction, tu ne sais pas si c’est drôle, ou si c’est triste. Tu es dans un domaine de production de verbe où tout est ambigu. L’auditeur, le spectateur, le participant, dans l’ambiguïté, il va attraper des trucs dont il a besoin, lui. Et dans cette ambiguïté, il faut toujours laisser des portes ouvertes pour que le public participe. Donc faut l’écouter, le public. Il faut faire traîner l’oreille en même temps. J’ai des techniques de chauffes, faire démarrer la chose. Et quand ça démarre, il faut vraiment être très très sensible aux personnes qui vont avoir envie de te répondre. Et une fois que ça tourne, il y a des moments très magiques où il y a presque plus rien à dire. On est une espèce de grand corps ensemble et chaque partie du corps va donner sa note de musique. Et ensemble on va faire la mélodie.

Et j’ai une autre règle, qui est plus pragmatique qui est, il faut que t’aies des toilettes. S’il y a un besoin corporel qui demande de l’intimité et de l’hygiène, il faut que tu puisses donner à la personne du groupe qui en a besoin de l’intimité et de l’hygiène.

Quelle idée tu te fais d’un bon trajet ?

Je suis hyper emmerdé par le bruit, les voitures et la chaleur. Il y a une histoire de confort. Je sais comment je me sens confortable. Et je vois dans les réactions des autres que, eux, ils sont différents. Tu vois par exemple, le rapport à Paul-Hervé m’a beaucoup amené. Il te faisait marcher sur des routes à bagnoles, il en avait rien à foutre. De mon côté, j’étais la : « waa, c’est chiant. » Mais en faisant ça, il m’a montré que ça faisait des années que j’étais coincé sur un truc, tu vois que je luttais trop fort. Que je me faisais mal à pas vouloir avoir de voiture. Et que, à un moment, il faut être un peu plus souple. Il m’a donné ça comme un cadeau.

Il y a une histoire de contraste entre les situations. Pour que ce soit bon, tu dois avoir un truc pas bon. Comme ça, ce qui est bon est encore meilleur par contraste. En peinture, ça s’appelle la patouille. Tu fais un très joli détail, très fin, dans lequel tu vas pouvoir plonger, et pour bien plonger dedans, tu fais un truc moche, très grossier à côté. Et c’est Paul-Hervé qui m’a beaucoup donné ça. Et j’ai compris que je lui ai donné l’inverse, le « fonctionnement en coulisse ». C’est-à-dire, un parcours parallèle à la route à bagnole. Où il y a moins de bagnoles. Qui ne sera pas sur cent pour cent du parcours, peut-être que sur un tiers, la moitié, deux tiers, on ne sait pas. Mais que le fait de passer en coulisse à un moment, ça permettra d’avoir une respiration ou quelque chose de différent. Et c’est plus agréable. Donc en fait la question c’est pas « qu’est-ce qu’un bon trajet ? » C’est : « le trajet il y a du bon et il y a du moins bon, et c’est en orchestrant le bon et le moins bon, le confortable, moins confortable, jouissif, frustrant que c’est bon. »

Qu’est-ce que ça apporte de marcher en groupe ? La différence pour toi de marcher tout seul et en groupe ?

C’est un peu comme la littérature, moi j’ai du mal à écrire, parce que j’ai l’impression que je suis très plein, et que écrire c’est un tout petit tuyau et que j’arrive pas à mettre le très plein dans le tout petit tuyau… Quand je suis tout seul, tout ce qui se passe, je sais qu’il va falloir que j’en restitue une partie quand il y aura du public. Quand je suis tout seul dans l’intimité, il se passe énormément de choses, et je sais que cet océan de choses qui me remplit, je vais pas pouvoir tout donner. Il faut que je choisisse et que je sois stratège dans ce que je donne.

Je vois que comment je suis compris, je le maîtrise pas très bien. Chacun comprend différemment. Il faut préparer trois quatre trucs, et après in situ, c’est tout un truc sur être assez réveillé, être assez vigilant, être assez à l’écoute du groupe, pour arriver à choisir dans les trucs que j’ai préparé sle truc que je vais amener, qui va être juste à ce moment-là, en fonction du groupe. Les groupes sont tous très différents. La personne un peu différente des autres dans le groupe, est-ce qu’on va s’en servir comme d’un catalyseur, comme d’un médiateur, ou comme d’un alter ego avec qui on va pouvoir jouer en face des autres ?

Je fais le petit sport mental de choisir ce que je vais dire, au moment où je vais le dire, pour pas empêcher la parole, pour faire rebondir, pour être juste à ce moment-là. Vraiment, c’est ça que j’ai envie de dire, vraiment, c’est ça que je veux montrer. Et je sais que, à la fin, je suis fatigué, et que quand je suis fatigué, cette machine de choix stratégique, elle marche moins bien, je cale. Alors j’ai pas la solution. Juste on est ensemble, on est fatigué, et en fait l’épreuve collective de la fatigue, elle est vachement chouette. On a construit un entre soi avec des mots, et au-delà des mots, on l’a construit avec nos corps, et tout ça. On est au bout des mots, on les trouve plus, on est au bout des corps, on est fatigué, et on est bien. Voilà. Dans l’immensité de tout ce qui est possible, ensemble, on a vu qu’il y a une espèce de gabarit qui est le temps passé ensemble. Ça c’est une expérience, toujours la même : on a deux bras, deux jambes, et on est fatigué au bout de douze bornes.

Quel est selon toi le principal / plus efficace argument pour réintroduire la nature en ville ?

On a une espèce de fantasme, d’inconscient collectif, de la nature en ville. Mais c’est juste un effet miroir, un rebondissement de ce qui serait un manque de la nature en ville. On est une civilisation très particulière qui n’a jamais été connue historiquement. Et en plus, on est hyper fragile. Et peut-être au bord de la fin. Mais, on a un degré de raffinement technique et artificiel jamais acquis auparavant, et évidemment, dans cette immensité de l’artifice, nous, on vit une expérience cosmique collective unique. C’est la sensation de finitude de la terre, chose qu’on n’avait jamais eue auparavant dans l’histoire de l’humanité, à ce point-là. Non seulement c’est petit, c’est fini, mais en plus, c’est foutu. On est sur cette espèce de micro-radeau en train de couler. Et c’est dans ce contexte inconscient collectif, que la « nature en ville » va devenir une tentative de verbaliser tout ça. Quand on la verbalise, on fait appel à beaucoup de choses complètement irrationnelles et inconscientes. Par exemple, le coup des arbres coupés, moi je maîtrise mal, mais ma culture c’est que tu as le droit de couper les arbres en ville. Pourquoi ? Parce que moi j’ai une culture d’aménageur, et que de toute façon l’arbre si on le coupe pas, il va mourir, il va tomber malade. Puis de toute façon si t’as pas le droit de couper t’es tout bloqué. Mais quand il y a eu l’histoire de la Plaine en octobre 2018, ou maintenant avec l’histoire de la porte d’Aix, je vois l’émotion de l’arbre coupé. Je vois l’irrationnel chez l’autre. Et je sais qu’il faut faire vachement gaffe. Parce que tu peux pas lui dire à l’autre : « mais non on s’en fout, c’est qu’un arbre ». C’est tellement important pour lui qu’il faut respecter ça.

Alors c’est quoi le principal argument pour réintroduire la nature en ville ? D’abord elle est déjà là, et puis on est en train d’essayer de trouver un nouveau compromis, on est en train d’essayer de s’inventer des futurs donc le meilleur argument pour réintroduire la nature en ville, c’est que c’est ça ou le désespoir. On est en train de construire l’arche de Noé… Donc le
meilleur argument ? Je pense qu’on a une immense culpabilité à avoir foutu la planète en l’air, donc en travaillant cette culpabilité-là. Arriver à faire autre chose que de se sentir coupable et d’avoir des remords. C’est-à-dire, se sentir capable de participer à une invention où on sent qu’on fait autre chose que tout foutre en l’air, ben c’est super. Tu sais là, il y a plein de jardins collectifs et de jardins partagés. J’ai vu le jardin Longchamp. Ils sont 60, ils ont 20 m3 de terre polluée, comment tu fais pour te sentir bien ? Et ben c’est super, ils ont 16 bacs en hauteur, et chaque bac, il a 4 ou 5 papas/mamans. Et en fait c’est qu’un prétexte, ils s’en rendent bien compte, c’est tellement petit pour faire de la nature. Ce n’est qu’un prétexte pour se sentir bien ensemble en train de pas pourrir les choses. Parce que de l’autre côté on va partir en vacances en prenant l’avion, de l’autre côté, en cachette, on va vider son chantier de salle de bain, en bas à gauche. Et on paie le remord. Je dirais le meilleur argument c’est ne pas mourir de honte.

En quoi ton travail de guide peut-il avoir un impact sur les modes d’engagements vis-à-vis de la ville ?

Tu sais, je pourrais être une espèce de prophète et en trois mots changer le monde. Mais je n’y arrive pas. Il y a un travail préalable que je n’ai pas fait. Je suis qu’un petit gars. Et aussi je pourrais rester juste dans mon coin, marmonner dans mon coin et tenir un journal intime que je montrerais à personne. J’essaie d’être entre les deux.

Alors je suis poète intermittent, donc je connais la valeur du non-agir. Je connais la valeur de rien foutre. Je sais que c’est une valeur immense. Je suis pas dans l’hypocrisie de l’action non plus. C’est plus une aventure personnelle sur l’engagement et encore une fois le remords : pas avoir trop de remords. Être assez satisfait de ses actions pour que ça puisse continuer. Je suis pas dans Breaking the waves, je suis pas en train de faire un don complet de moi-même pour me détruire pour sauver les choses. Je me maintiens. J’essaie de vieillir à mon rythme, j’essaie d’élever mes enfants. Je vais essayer de voir mes enfants adultes. Je vais essayer de faire en sorte que mes enfants puissent avoir une vie adulte. J’essaie de ne pas me détruire. Je cherche un appartement alors que c’est super dur. Je cherche à avoir des revenus. Je cherche à être poli avec les gens autour de moi pour qu’ils me foutent pas en l’air et pour ne pas les foutre en l’air. Mais c’est plus de l’ordre du jardinage. Je revendique plus qu’un simple travail mais moins que de faire la guerre : la possibilité d’avoir un rapport de jardinage aux choses. C’est chasse, pêche, cueillette et douce agriculture. Je ne suis pas là pour faire de l’intensif. C’est pas une action militante unique martelée.

C’est plus compliqué. C’est la vie d’un homme. Et dans cette vie d’un homme, il y a l’engagement. Cet engagement, il est réel. Et pour le maintenir, il faut pas vieillir trop vite. Il faut pas se faire mal, il faut pas se blesser. Il faut se jardiner. Il faut jardiner la situation, pour que le monde soit toujours fertile.

Je sors d’une grande école, donc je sais qu’il n’y a rien à savoir et que tu peux faire semblant de savoir quelque chose que l’autre ne sait pas pour pouvoir reproduire la division en classe, tu fais croire que l’autre est idiot. Tu peux aussi témoigner devant l’autre du mystère et à ce moment-là, on est tous libres et égaux devant le mystère. Le message que j’ai appris dans les grandes écoles, c’est la Joconde. Pourquoi la Joconde, le tableau de Léonard de Vinci, est cette espèce d’icône intemporelle qui traverse tout ? Pourquoi elle est là, comme un repère dans toutes les situations ? Parce que c’est des choses très simples : c’est la figure humaine dans une paix, dans un calme optimisme. Donc je témoigne, dans un moment de grand inconfort psychologique collectif – parce que c’est ça, c’est vraiment dur -, qu’on peut accéder à une certaine quiétude morale. Je témoigne être paisible et doucement souriant. Et c’est le message. Le message c’est ça. Tu sais, j’aime bien ça, c’est dans la marine anglaise, quand il y a un bateau qui coule, si quelqu’un panique, il faut le cacher. Le message c’est KEEP CALM and CARRY ON. C’est le message qu’il faut amener : la Jucunda, l’agréable. Quand il n’y a pas de différence entre l’intérieur et l’extérieur de soi et qu’on est capable dans les deux de rayonner de paix, d’être calme et agréable. C’est un combat tranquille pour maintenir cet état-là comme un repère indispensable.

Ta propre vision de la nature en ville a-t-elle évolué depuis le début de ce cycle Nature For City Life ?

Moi je pense que c’est une grande hypocrisie. C’est un irrationnel, c’est une grande psychose collective, dans cette psychose collective on va avoir des réponses irrationnelles collectives, qui sont cette lutte pour la nature en ville et on ne sait pas. La mode de désimperméabilisation des sols, elle a cinq-six ans. Et ça y est, maintenant, à Grenoble, ils sont en train de casser les cours de récréation pour faire de la pleine terre. L’histoire des îlots de fraîcheur avec des arbres, ça a une dizaine d’années à peine. La conscience du réchauffement climatique, elle a moins de dix ans. Je ne pense pas que je sois le porteur de vraies solutions. Je suis le témoin de modes et face à ces modes je sais faire, je sais rester calme en voyant la part d’irrationnel qu’il y a dedans. Tu vois, si vraiment il fait chaud comme en Andalousie ou au Maghreb et ben les arbres ils tiennent pas le coup. C’est la question là, on est censé planter un million d’arbres là, à Marseille. On l’a dit, on va essayer de le faire. Mais si dans dix ans on est à plus 2 °C, ils crèvent, et c’est que dalle dix ans pour un arbre. C’est rien du tout. C’est un dixième de sa vie.

On va essayer des solutions. Que la prise de décision elle soit collective, c’est vachement intéressant. Que l’engagement soit partagé, c’est vachement intéressant. Qu’à un moment ça se concrétise en acte politique, en décision, en financement, en action, en aménagement, c’est vachement intéressant. Mais ça ne veut pas dire que c’est ça. On est autant destructeur, à côté de la plaque que l’époque Pompidou avec les bagnoles. Et je pense que ma génération par exemple, les vingt cinq ans qui viennent de passer, là, c’est le greenwashing, on a vécu un grand moment de mensonge. C’est la grande leçon des vingt-cinq dernières années. C’est qu’on ne dit que des conneries. On ne dit que des conneries.

Hier j’étais à Aix, sur des lignes de boulevard du 17e siècle. Les arbres qui sont là, je pense que ce sont des arbres Napoléon 1er, des arbres 1800-1810, des platanes. Tu marches dans une rue qui a été dessinée il y a 300 ans et ça a plein de qualités. Tu reconnais la rue classique : tu as la mixité des fonctions avec les commerces, les activités résidentielles qui peuvent se réfugier dans les zones de calme qui sont en contraste avec les zones de bruits, le collectif, l’intime. Et puis tu marches à l’ombre des arbres donc tu as la douce fraîcheur, l’évapotranspiration qui fait que c’est un petit peu plus frais. Tu es devant une accumulation de bonnes petites réponses d’il y a deux et trois siècles, et ce sont des réponses qui sont peut-être difficiles à expliquer et à partager parce que « c’est qu’une rue avec des arbres ». Cette rue avec des arbres c’est un vieux pacte irrationnel entre l’humain et la nature qui est très très très ancien, qui est très profond et c’est une culture qui est tout le temps à réinventer. C’est le vieux jardinier qui apprend au jeune jardinier des astuces qui sont des trucs qu’il a appris d’expérience, qu’il est incapable de formuler, mais dont il va témoigner par l’attitude. Moi-même en étant artiste, j’essaie de participer par l’attitude et l’engagement tranquille et paisible.  Mais c’est de l’ordre de la prière. Ni l’Europe, ni moi, ne sommes vraiment efficaces, et n’allons réellement construire un futur. On prie pour. On espère. C’est une danse pour que la pluie elle tombe. Mais je crois à l’efficacité du désir et de la représentation pour créer des cosmos partageables. Les choses sont comme on veut bien ensemble qu’elles soient. Tu vois nous on a décidé de vivre une psychose d’apocalypse, on le veut bien. On a les outils pour se les représenter. Je crois à l’ubiquité du genre humain. C’est : dans les camps de concentration, y a des gens qui faisaient l’amour. C’est le film de Benigni, le film où ils sont dans un camp de concentration et il explique à son fils que c’est du théâtre, c’est il y a des esquimaux au pôle nord, il y a des nomades dans les grands déserts. Je crois à l’ubiquité, c’est-à-dire, l’être humain est capable de traverser des milieux très très différents et de s’épanouir à travers ça. On peut transformer la terre en poubelle surchauffée, il y aura une humanité qui vivra dedans. Qui sera capable de se représenter ça comme étant normal.

Cette interview de Nicolas Memain est tirée des cahiers DEHORSCes cahiers ont été réalisés d’après des balades Nature for City Life effectuées entre juin 2018 et août 2020.

0
    0
    Ton panier
    Ton panier est videRetour à la boutique