ZAC Cézanne et ZUP verte d’Encagnane

La ZUP verte d’Encagnane, la ZAC de Jas-de-Bouffan, les rives de l’Arc : cette exploration des zones de croissance d’Aix-en-Provence propose de découvrir différents motifs aixois des relations ville-nature, autour de l’échangeur A8/A51.

De l’extrémité de la gare routière, on voit les travaux du futur BHNS « Aixpress », et une grande affiche qui annonce le doublement des plantations d’arbres (« 600 arbres et 40 000 arbustes dans le trame verte de l’Aixpress »).

On part vers l’ouest sur l’avenue de l’Europe, et on traverse l’avenue Max Juvénal, une parkway des années 1960 : une route sans trottoir, uniquement pour les voitures, interdite aux piétons, mais dont la pelouse porte des « lignes de désirs » témoignant du passage de piétons. On arrive dans la ZUP d’Encagnane, et on peut marcher à l’ombre car les bâtiments sont loin des voies de circulation, avec une double rangée d’arbre. On voit des jardinières artisanales des Incroyables comestibles (face à l’épicerie du Coing, qui vient de mettre la clé sous la porte). 

On continue avenue de l’Europe, en faisant un petit détour par la bastide de la Maréschale. On voit des parterres à la française, restes de l’ancien parc de la bastide. On passe sous le pont de la voie ferrée, toujours par l’avenue de l’Europe, qui doit passer l’autoroute A51 et la passe par en dessous : c’est un point bas – il y a eu de fortes inondations, comme le 23 septembre 1993, tous les RDC avaient été inondés (images du journal de la 2 sur l’INA).    

On passe en dessous de la bastide de Jas-de-Bouffan, qui a été habitée par Paul Cézanne. Dans dans les années 1880, il partait d’ici vers le Sud-Est, comme nous, pour aller peindre sur le motif. L’avenue de l’Europe où nous nous trouvons a été décaissée pour passer sous l’autoroute : il faut donc imaginer Cézanne marchant dans le ciel, quelques mètres plus haut. Après être passés sous le pont de l’autoroute, on tourne à gauche par des petites sentes piétonnes (le chemin des Flâneurs), on aperçoit un camp de gitans, et on entre dans la ZAC de Jas-de-Bouffan.  

On traverse la ZAC par le parc Gilbert Vilers, aménagé à partir de 1978, 5 ha, les immeubles sont de plain-pied avec le parc, avec de forts mouvements de sol qui offrent des vues dégagées notamment sur la Sainte-Victoire. Un grand bassin est laissé en partie en roseaux, et le théâtre de verdure est adossé à une colline, probablement issue des remblais des fondations des immeubles. On quitte la ZAC vers le sud, on passe devant une résidence étudiante postmoderne avec un incroyable jardin méditerranéen (résidence La Verdière, années 1990), 3 corps de bâtiments en U avec un jardin intérieur, qui est le toit de bureaux en sous-sol. On traverse une petite bastide en sortant, on emprunte un petit escalier qui témoigne des anciens jardins. 

La route de Valcros va nous permettre de quitter la ZAC et la ville. Passé le pont sur l’autoroute A8, on apprécie le front urbain net entre la ville et la campagne. La route de Valcros traverse en zigzaguant ce qui reste de campagne aixoise. Toutes les propriétés sont cachées dans des terrains clôturés. La bastide de la Constance est reconvertie en centre équestre. C’est là qu’on commence à voir les premiers champs de blé. Le blé de la campagne aixoise est très réputé, c’est un blé dur très riche en protéine, qui sert à faire tourner les semouleries marseillaises. Dans cette campagne proche de la ville, l’activité est si rentable qu’elle arrive à concurrencer le marché immobilier.

Le blé est vert et en épis.

La route va faire un grand virage à droite puis à gauche, pour passer sur le ruisseau de la Thumine. Le vallon est très prononcé, les versants du vallon sont boisés. On devine de très belles propriété avec tennis et piscine, murs de sécurité, caméra, panneaux « Interdit aux promeneurs ». Les voitures sont rares mais roulent vite dans cette toute étroite. On prend à droite un petit chemin agricole classé dans le domaine public, pour pique-niquer à 100 m de la route, à l’ombre d’un chêne blanc. Au loin, on voit la ligne du massif de l’Etoile, et la cheminée de Gardanne. 

On reprend la route de Valcros et au numéro 1907 on a fait un petit détour par des chemins agricoles où l’on voit une ancienne bastide qui est en train d’être reconvertie en logements. Devant la bastide, de gros platanes, et une allée plantée de jeunes arbres. Au bout de la rue de Valcros, on passe sous la voie ferrée d’Aix à Rognac, où autrefois il y avait des départs de chemin qui sont aujourd’hui fermés. On est à l’extrémité de la ZAC de la Constance qui propose de recréer depuis ici des continuités modes doux.

Sur la droite, une maison abandonnée, on comprend que c’était une exploitation agricole car des escaliers montent directement au premier étage, le RDC étant consacré à l’exploitation – une histoire de la campagne qui mute en ville, doucement. 

A partir du rond-point, on est dans la zone commerciale de la Pioline. L’ancien chemin de la Pioline est une deux fois deux voies. Un bâtiment commercial est entouré d’une nappe de parkings. Un restaurant présente vers la route une terrasse ombragée de parasols, qui ne nous autorise pas à boire un café. Sur la gauche, il y a une belle rangée de pins. Tout de suite, le terrain descend vers la rivière de l’Arc. On poursuit la promenade jusqu’au point de la Pioline sur l’Arc, ce qui permet de voir l’exutoire de la station des eaux usées. La moitié du débit du plus grand fleuve côtier des Bouches du Rhône est constituée des effluents des eaux usées d’Aix en Provence. 

On revient sur nos pas pour passer de l’autre côté de la voie ferrée dans les collines des domaines de la Constance et de Bellevue. Les versants de la colline sont en pinède, les deux premiers plateaux qu’on croise sont en oliveraie, et on se repère aux pylônes d’une ligne à haute tension. On traverse sans chemin tracé des campagnes abandonnées depuis une dizaine d’années, car les terrains sont gelés pour le projet de ZAC de la Constance. Ces campagnes ont été arpentées par Cézanne, et c’est de là qu’il a dégagé ses vues sur la Sainte-Victoire. A partir de l’analyse des photos aériennes anciennes, on arrive à savoir où étaient les restanques, ce qui était en vigne, en blé et en olivier. La pinède, mal entretenue, avec les arbres tombés au sol, on se demande s’ils sont tombés avec les dernières chutes de neige en 2009, ou bien suite à la grande tempête de 1999. 

Le projet de ZAC a été gagné par Christian Devillers en 2016 ou 2017. Les grandes lignes du projet, c’est, dans l’axe Nord-Sud, de conserver la Thumine et un de ses petits affluents, en soulignant avec avec des passerelles en hauteur ses ravins existants, transformés en parc paysager, vont servir de bassin d’orage. Dans dans le sens Est-Ouest, la composition est structurée par de grands axes vides qui pointent sur la Sainte Victoire, pour recréer les tableaux de Cézanne. 

Pour sortir de ces campagnes abandonnées, il a fallu rouvrir un chemin pour franchir le ravin de pas de Goule par un pontet envahi de mauvaises herbes. On arrive au golf d’Aix, où des gens puttent vers la Sainte-Victoire sous un ciel blanc. Au loin dans le virage, un petit bidonville de roms est toléré là par la ville. Avant le bidonville, on pique à droite dans les déblais du chantier de la future Smac (salle de musiques actuelles). En quittant le chantier, on passe dans la zone d’entrepôt des futurs abribus du bus Aixpress. On arrive chemin des Aubépines, on passe dans la résidences Les Hameaux de Martelly (relogement pour les gens du voyage). On entend les coqs. Les arrières de la résidence servent de bassin d’orage. Le chemin des Aubépines passe sous l’autoroute A8, on voit la fondation Vasarély qu’on longe par le chemin des Flâneurs. On tourne à droite sous les voies ferrées dans ce no mans land entre le rail et l’autoroute, où se loge encore un bidonville. Une passerelle sur l’autoroute A51 nous permet de rentrer dans la ZUP d’Encagnane. 

Dessin : Benoît Guillaume

Cette ZUP fin 60s début 70s dessinée par l’urbaniste Raymond Lopez avec dès le départ une volonté d’îlot ouvert plantés à l’intérieur et entourés de voies avec alignements d’arbre. Les documents d’époque nous disent que 40 000 m3 de terre végétale décapées avant la construction ont été conservées et remises en place pour les plantations. La liste des essences d’arbres est la suivante : cèdres bleues, pins noirs d’Autriche, pins parasol, cyprès bleus, cyprès verts, sapins, platanes, tilleuls, acacias besson, peupliers pyramidaux, saules concorta et catalpas. 5000 arbres qui ont aujourd’hui en moyenne 50 ans et sont tous à maturité. C’est une vraie ZUP verte. La traversée d’Encagnane va se faire par un grand détour. On suit d’abord la longue promenade parallèle à l’autoroute derrière le mur antibruit – jeux de boules, aire de jeux pour enfants, cour d’école. Au carrefour de l’A8 et de l’A51, la vie est rendue possible par cette promenade en longueur protégée des nuisances. Après un premier petit jardin partagé qui règle des problèmes de bas d’immeuble, on trouve une fontaine abandonnée puis on suit l’ancienne allée d’arbres de la bastide d’Encagnane (arbres plus que centenaire) et on atteint à l’extrémité sud de la ZUP le jardin partagé de Lou Grillet. On apprécie comment la rénovation de la ZUP se fait avec des jardinières, des plantations et le respect de plantation existantes. On traverse la ZUP, rue Camus on passe par des arrières d’immeubles frais et en arbres. Avenue du 8 mai, on voit des jardinières partagées. Rue des Frères-Vallon, les pins plantés devant les barres d’immeubles R+4 arrivent à maturité, tous les balcons sont dans la canopée des pins dont les troncs s’inclinent, pour s’éloigner des bâtiments et occuper le volume de la rue. 

On quitte la ZUP par la grande place du Marché. Là encore, des projets de fontaines aujourd’hui à sec. Les arbres souffrent du marché et de son nettoyage. On reprend l’avenue de l’Europe en faisant un petit détour par le parterre du Pasino, pelouse rase et puis en topiaire : on apprécie le contraste extrême avec tout ce qu’on a vu depuis ce matin.  

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« La ZUP verte d’Encagnane » par Nicolas Mémain – Dimanche 3 juin 2018 
La ZUP verte d’Encagnane, la ZAC de Jas-de-Bouffan, les rives de l’Arc : cette exploration des zones de croissance d’Aix-en-Provence propose de découvrir différents motifs aixois des relations ville-nature, autour de l’échangeur A8/A51.

Ce récit est tiré de promenades que s’inscrivent dans le programme de 5 ans du projet européen Nature 4 City Life (2017-2022) qui favorise une meilleure intégration de la nature dans le projet urbain dans un contexte de changement climatique.

Lettre #6 – 28 juin 2020

Sortir dehors pour se remettre dedans ?

Cette lettre sera probablement la dernière, nous avons eu besoin de l’écrire pour glisser vers autre chose et finir le partage de ces réflexions par un retour sur le terrain, au milieu des choses. Nous y racontons notre micro-voyage à l’étang de Berre, partageons encore quelques contributions (désolé.e.s pour celleux que nous n’avons pas réussi à intégrer dans nos chemins), et relayons des liens vers des projets engagés autour de l’étang.

Récit d’une cavale pédestre improvisée entre Vitrolles et Saint-Chamas.
Repartir marcher. Reprendre le dehors. Le CDI avait une histoire avant le confinement, il vient d’une expédition. L’expédition Pamparigouste. Nous étions partis explorer les rives de l’étang de Berre, à la recherche d’une île disparue, Pamparigouste, à moins que cela ne soit l’étang lui-même qui ait disparu… On a alors repris la marche. Retourner sur les rives de la petite Mer de Berre pour faire ré-atterrir notre pensée tout en n’oubliant pas ce qui nous est arrivé. Ne pas oublier à quel point ce sol nous avait manqué, et la brutalité avec laquelle on a pu en être coupé.e.s.Se remettre dedans. Et on ne pouvait rêver plus propice à mettre nos pensées à l’épreuve que cet étang sacrifié aux rêves industriels, qui a dû apprendre, et apprend encore à se muscler la vitalité contre les dévastations. On y trouve un endroit qui demande d’étirer nos pensées, comme une drôle de salle de gym, où aucune histoire ne se laisse raconter trop facilement. C’est la dernière lettre du CDI, cette micro aventure éditoriale de confinement. Nous espérons vous retrouver bientôt, avec vos corps qui marchent, du côté de l’étang.


Bande d’annonce de Montre-moi ton étang : histoire d’une grande lagune oubliée.

LIRE le récit d’une cavale pédestre improvisée entre Vitrolles et Saint Chamas

Entre Asie et Polynésie, ensauvagement et industries, les inventeurs nous dépaysent, nourrissent notre imaginaire de la diplomatie et organisent des retrouvailles discrètes avec l’étang.

Jean-Pierre et le piragolo 

Une histoire de navigation furtive qui relie un bateau polynésien, les ingénieurs de Dassault, un aviron, des loups et quelques mouettes.

Nous avions rencontré Jean-Pierre l’an passé, lors d’une journée collective de nettoyage des rives et de plantation de zostères. On avait adoré son invention, que Dalila avait baptisée Piragolo (contraction de Pirogue et Pédalo). On avait oublié de prendre son téléphone, on l’a cherché, on ne l’avait plus retrouvé. Mais ce matin sur la plage des Merveilles il est là…

Jeff et la glace de Berre

Une histoire gustative qui relie des cabanons, des pipelines, la Thaïlande, Manosque, une plage et des mûres sauvages

On ne se lasse jamais de raconter l’histoire de Jean-François. Né à Berre-l’Étang, ses grands-parents possèdent l’un des cabanons qui servaient de guinguettes aux ouvriers de la pétrochimie locale, à l’embouchure de l’Arc. Plage de Champigny, il accumule des souvenirs de gamin à un moment où l’étang se dégrade rapidement. Mais même au pire de son dérèglement, l’étang sera toujours un bel hôte pour les anguilles, l’or vert, de quoi pour un minot vivre des aventures, apprendre des manières de faire et former des attachements avec ce paysage aux confins. 

Comme beaucoup à Berre-l’Étang, Jeff deviendra finalement technicien de l’industrie pétrochimique, mais pas n’importe quel technicien : “Jambonneur”. Celui qu’on nomme ainsi à de bonnes jambes, car son boulot c’est marcher, marcher sur des pipes invisibles pour lesquels le premier acte de surveillance reste la capacité d’observation humaine pour imaginer la racine qui pousse trop profond, la plante qui aime les fissures, le projet de piscine du voisin. Jeff a “son” pipe, toujours le même, qu’il arpentera des dizaines de fois. C’est le pipe Géosel, celui qui conduit le pétrole dans les cavités de stockages creusées dans les montagnes de sel de Manosque. 

Plus tard il voyagera un peu. La Thaïlande le marque, il en reviendra avec des idées et son copain de route avec une compagne, qui deviendra son associée pour créer Thaï de glace, une petite échoppe qui fabrique “en direct” de la glace à partir de fruits frais. Un savoir faire diplomatiquement ramené sur les rives à découvrir ici.

Alexandre et l’invention d’une île

Une histoire qui relie un rêve, un bateau, une école d’architecture, un tamaris et quelques récits d’exploration

Alexandre travaille au Bureau des guides. Il n’a jamais grandi autour de l’étang et c’est au fil des marches du GR2013 qu’il a peu à peu développé une forme d’amour et d’obsession pour l’étang. Pendant le confinement il entretient une correspondance intense avec le photographe Geoffroy Mathieu qui lui aussi fait partie de cette expédition Pamparigouste lancée depuis un an. Enfermé chez lui Alexandre rêve du dehors, rêve de l’étang, rêve de navigations.

A la sortie il retrouve les plages de coquillages et les tamaris, il continue de rêver, et invente une île. Écoutons-le…

Récits et descriptions pour nous re-sensibiliser aux autres vivants

3 inventions non humaines par Dalila Ladjal

La molène ou l’Invention du feu

La molène – ou bouillon blanc Verbascum thapsus est une grande inflorescence jaune que nous avons croisée dans les terres de Calissane, sur les hauteurs de l’Oppidum de Constantine. Ses feuilles, duveteuses et couvertes de poils étoilés étaient utilisées comme allume-feu par les boulangers. Sa hampe florale ressemble à un grand chandelier, et elle était enduite de poix, de résine ou de cire pour être utilisée comme torche lors de longues processions nocturnes au Moyen-âge. 

L’Aristoloche pistoloche ou l’invention des armes

L’Aristoloche pistoloche est une plante à fleurs brunes en forme d’urne et aux feuilles en forme de coeur qui pousse sur les sols calcaires. Sa pollinisation implique le “piégeage” temporaire de petits insectes: des poils, placés vers le bas, empêchent l’insecte de ressortir. Les poils tomberont après fécondation, libérant l’insecte chargé de pollen.  Pourquoi l’insecte se laisse- t’ il inlassablement piéger ? Est-ce l’odeur, nauséabonde pour nous, mais très attractive pour la mouche qui est irresistible ? Le piège poilu serait-il agréable ? J’ignore la réponse, mais cette plante a vraiment l’air d’entretenir de nombreux rapports fusionnels, comme avec la Proserpine zerynthia rumina, un incroyable papillon inscrit sur la liste rouge des insectes protégés de France, dont c’est la plante hôte. Adulte, il pond ses oeufs au revers des feuilles dont la chenille se nourrit presque exclusivement. La chenille est si bien adaptée à l’ingestion de cette plante toxique que l’acide aristolochique contenu dans les feuilles qu’elle ingère la rend toxique pour ses prédateurs. 


Le lièvre des mers (aplysie) ou l’invention du troisième sexe

J’ai observé ces mollusques gastéropodes dans le port de Martigues à l’invitation de Jean François Mauffrey, maître de conférence en écologie au LPED. 

Les lièvres de mer sont hermaphrodites. Lors de l’accouplement de deux individus, chacun d’eux emploie successivement l’un ou l’autre de ses sexes. Quand d’autres aplysies voient un accouplement, elles s’y joignent, ce qui conduit à des accouplements collectifs pouvant rassembler un grand nombre d’individus. Dans ce cas, les animaux peuvent mobiliser en même temps leurs organes mâles et femelles et le temps passé augmente avec le nombre de partenaires participants. Autre fait étonnant, les aplysies trompent leurs prédateurs, des langoustes, grâce à un jet d’encre visqueux nommé opaline, cette sécrétion perturbe les organes olfactifs du crustacé et le détourne de sa proie. Ce serait « le premier cas connu d’un système de défense fondé sur l’activation des sens du prédateur », étonnant ! 

Leur présence, ici, dans le port nous intrigue. En posant la question aux pêcheurs, nous découvrons que les lièvres de mer sont régulièrement pris dans les filets puis rejetés dans le port, ce qui nous donne l’occasion d’observer et d’assister à l’étrange accouplement de ce drôle d’animal.

La Sonde humaine

Les pêcheurs utilisent des sondes pour recueillir lors de leurs navigations des informations utiles à leur usage de l’étang. Les scientifiques en font de même pour collecter les données nécessaires aux divers protocoles d’analyse de l’eau, ou de l’air. Et si nous tentions de percevoir notre propre corps comme une sonde humaine…?

Poil limon : nos poils catalysent les limons en suspension dans la colonne d’eau, les sédiments charriés par la Durance colorent nos poils d’un brun intense, pour qui voudrait voir une version plus velue de soi-même.

Cheveux courant : lécher son doigt pour mieux sentir le vent ou laisser sa tignasse pour celleux qui le peuvent aller danser dans le sens du courant…

Sel langue : ça fait quoi comme goût une eau saumâtre ? Est-ce que j’ai la bouche aussi asséchée qu’avec de l’eau de mer ?

Peau température : nager dans la confluence des eaux au delta de la Touloubre, passer du froid au chaud, comme dans les douches de piscine municipale.

Granulométrie des pieds : le pied s’enfonce, il y a envasement : c’est un sol en train de se former, pas très stable, pas très propice à de l’habitat. Le rocher pleins d’anfractuosités : cachettes pour pleins de monde.

Zostères qui s’enroulent autour de ton pied : oulala, c’est un écosystème qui s’invente.

Oreille clapotis des vagues et force du vent : les voileu.x.ses le savent.

Camille et le rêve éveillé du sanglier 

C’est notre seconde soirée de bivouac, il fait bon, pas de vent.

La veille sur les rives nous avions eu cette grande discussion à propos de comment trouver notre place pour la nuit en compagnie des moustiques. Camille avait alors renoncé à partir sur l’île du delta de l’Arc et se réjouissait d’autant plus de retrouver le dehors nocturne. Sauf qu’il a fallu de nouveau composer avec les autres habitants des lieux…

Retour d’expériences, récits de nos tentatives et de nos explorations personnelles, écrits, dessins, témoignages, tout ce qui peut participer à vivre le présent et préparer l’après qui est devenu maintenant

Ex-voto par Dominique Poulain

Dominique, dès le 21 mai, nous adressait une question qui résonne encore : comment garder le souvenir de ce qu’il s’est passé ? Elle nous raconte un voyage à travers des traces de mémoires encapsulées dans nos têtes, sur nos murs, des Pyrénées à la Bonne Mère en passant par Paris. Elle annonçait déjà ce qui deviendra les balades de déconfinement de la coopérative Hôtel du Nord : fabriquer de la mémoire collective pour résister à l’oubli. 

Je suis tombée sur ces images, ce matin… Des images d’une islandaise à Paris, Laufey Helgadottir… Dans une rue du 19ème arrondissement… Étonnants voyages du cerveau… Toujours au milieu des Montagnes Pyrénéennes ce 21 mai 2020, je me suis retrouvée tout en haut de la « Bonne Mère » à Marseille (autrement dit : la Basilique de Notre Dame de la Garde)… Il y a encore quelques années, – jusqu’en 2000 en tous cas (!) , sur les murs de la grande nef, noircis par la fumée des cierges, on pouvait voir des centaines et des centaines… d’ex-voto. Lire la suite…

Découvrir les balades “Marcher le confinement”

Balade immobile par Sébastien Mariat

Balade immobile dans une cours de Noailles où le regard va de détails en détails. Dessin crayons dorés et argentés sur papier noir – 21 par 29,7 cm. Sébastien nous confie un dessin de confinement.

Le jour d’après par Christophe Modica

Christophe fut l’un des compagnons du CDI confiné. L’autre mouvement, normal ou anormal, on ne sait plus trop, a repris et il nous écrit.

Bonjour à toutes et tous.

Durant les dernières semaines de confinement, je me suis remis à composer et jouer de la musique. Voilà, j’ai pondu mon son le 26 mai 2020 🙂

C’est une forme jouée en live et enregistrée à la maison. Elle n’est pas parfaite, elle mérite d’être retravaillée. Mais je pars avec le BEGAT pour deux semaines et je n’aurai pas le temps de revenir dessus dans les prochains jours. Alors je vous la livre telle qu’elle est. Elle s’intitule « Le jour d’après », elle dure 16’40 ». Elle est fragile. Si vous n’avez pas une paire d’enceintes qualitative, je vous invite à l’écouter au casque.

Je vous embrasse.

À bientôt.

Des initiatives à découvrir, des appels à participation, des réseaux d’engagements

S’engager*Youth Climate (Vitrolles)*L’Etang nouveau (Etang de Berre)*L’ADMR (Saint Chamas/Miramas)*L’Etang maintenant (Vitrolles)*Nosta Mare (Rognac)*L’étang de s’y mettre (Saint Chamas)


Soutenir

Le collectifs soutien migrants 13

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RegarderDeux documentaires diplomates pour découvrir l’étang de Berre :*Montre moi ton étang
*Une seconde nature 

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Se régaler

Thaï de glace

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Se retrouver

Grange du clos Ambroise

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Observer

Les oiseaux : Birdnet 

Les plantes : PlantNet 

More Informations

Le CDI c’est quoi ?

Né des pratiques d’exploration du Bureau des guides du GR2013 et des habitants marcheurs de la coopérative Hôtel du Nord, le CDI est un lieu d’échange et de réflexions collectives, de textes, podcasts, musiques, films qui résonnent particulièrement avec la situation, ou qui permettent de prendre une tangente.

Il prendra pour l’instant la forme d’une newsletter contributive pour partager des initiatives, des pensées, des textes mais aussi des jeux et des protocoles pour mettre à l’épreuve notre manière d’habiter le monde et en ramener des récits, des dessins, des photos, n’importe quoi. Le CDI est une tentative de poursuivre les aventures commencées tout en réinventant le voisinage dans un monde confiné.

 

Le CDI c’est qui ?

Des habitants, des artistes, des citoyens qui aiment marcher et explorer pour mieux habiter et se relier, et toutes celles et ceux qui le veulent ou le voudront.

Trame verte pratiquée #3

C’était juste avant. C’était le samedi juste avant. On était là. On faisait bisou du pied.

On prenait le bus et Stéphane faisait rire tout le monde, surtout le chauffeur. On était arrivés en haut. Aux Pennes-Mirabeau, en prenant le bus 89 jusqu’à l’arrêt les Tabors. Début de la trame verte.SAFI nous invitait à explorer un potentiel couloir écologique nord.Il y a deux massifs au nord de Marseille : La Nerthe et l’Etoile. Mais pas de vraie connexion entre ces deux espaces naturels. A proximité une autre ligne de force traverse le paysage, le fleuve des Aygalades.L’enjeu de cette « trame verte » est de relier ces trois «objets» de paysage en imaginant un couloir qui contourne l’urbain et permette aux êtres qui le voudraient de circuler. Nous cheminerons à partir d’une carte réalisé, par Noé Chassage du Service Environnement de la Ville de Marseille, comme une hypothèse de trame verte.La stratégie a été de quadriller le territoire, chaque carré se voyant attribuer des points pour ses qualités (surfaces perméables, quantité de biodiversité…), et de relier les mieux notés pour dessiner une trame verte. Construite à partir de données, le tracé n’a encore jamais été expérimenté en réel. SAFI nous propose pour mission de pratiquer cette trame verte et d’en explorer les conditions de passage.En mettant nos pieds dans cette carte et en suivant les pollens, ils nous invite à explorer l’incarnation de cet aménagement, ses potentiels, ses fluidités et ses empêchements dans nos villes et pour le vivant.Ensemble, allons pister les pollens !

Des poussières éclaireuses.

Issu du Grenelle de l’Environnement, la trame verte est l’ambition d’une circulation du vivant, qui, en de reliant des îlots de nature, permet à chacun d’accomplir son cycle de vie.

Ici, impossible d’aller tout droit, d’un massif à un autre, il faut composer avec des réalités foncières, écologiques, géographiques, sociales, politiques. C’est une serpentine qui se dessine en zigzaguant entre les réalités. Le pollen, invisible à l’oeil nu nous oblige à lire sa présence, et parce qu’il est en lien avec de nombreuses espèces, révèle des circulations et des interactions à l’oeuvre dans la trame verte. Suivre les pollens nous invite donc à lire le paysage et à le décrypter.

Un véhicule qui ne se déplace pas tout seul.

C’est dans le cadre de la fécondation que ça joue, les pollens.

Les plantes sont fixes et ont besoin du voyage du pollen pour qu’il y est rencontre avec un autre. Ce voyage contribue au brassage génétique des végétaux et offre aux plantes la capacité d’évoluer et de s’adapter aux changements environnementaux. Il existe des formes de reproductions non sexuées qui favorisent une extension rapide, mais génèrent des clones où la faible diversité des individus entraîne une mortalité accrue.

Les pollens sont donc chargés du transport des gamètes mâles jusqu’à l’ovule, partie femelle de la plante. Les plantes ont dû inventer des stratégies pour ce transport, certaines l’ont confié au vent et d’autre aux animaux ( notamment aux insectes).

20 % des plantes ont confiées leur pollen au vent (anémophiles).

Cette pollinisation du hasard, oblige les plantes à émettre mille fois plus de pollen. C’est une stratégie fréquente dans les pays froids où les arbres perdent leurs feuilles en hiver, ce qui facilite la circulation de l’air, mais cela provoque un risque d’auto-pollinisation très important. Aussi, la plupart des plantes anémophile ont des fleurs à sexes séparés. C’est le cas des conifères (pin…) de beaucoup de graminées (blé), des chénopodiacées (les épinards) et des polygonacées (l’oseille)

80 % des plantes confient leur pollen aux insectes (entomophiles)

Cet échange, précis et orienté se fonde autour d’un pacte : fécondation contre nourriture. Il est issu d’un processus de co-évolution. L’apparition d’odeurs, de formes, de couleurs et la fabrication de nectar chez les plantes s’est déroulé en même temps que l’évolution de la perception et des adaptations morphologiques chez les insectes.

Des balises pour que les insectes trouvent leur chemin.

Une plante est attractive pour un insecte, lorsque sa fleur contient du nectar ou du pollen abondant, nutritif ou appétissant. En prélevant sa nourriture, l’animal récolte le pollen situé sur les étamines (les parties mâles de la fleur) et le dépose sur une autre plante lors de son butinage, le pollen féconde ainsi l’ovule qui se développe pour devenir graine, à maturité elle aura aussi un voyage à faire, mais c’est une autre histoire. Bien visibles, odorantes, nectarifères, les fleurs ont souvent des couleurs attractives et des stries pour guider les pollinisateurs vers les organes à visiter et des formes adaptées aux pièces buccales des insectes. La fleur peut avoir un rôle clé dans la circulation des insectes; soit elle attire les insectes de manière massive et permet au passage la pollinisation d’espèces moins attractives ou, au contraire,  elle capte tous les insectes disponibles et diminue les chances des plantes moins attractives. Ce qui peut être le cas d’une plante nouvellement introduite.

Beaucoup de plantes ont des organes mâles et femelles dans la même fleur (amandier, chou sauvage…). Pour éviter de s’auto-féconder (autogamie), elles ont mis au point des systèmes qui évitent le contact entre les pièces mâles et femelles d’une même fleur, comme la maturation des pièces sexuelles étalée sur des périodes différentes (protandrie) ou une disposition étagée des organes reproducteurs (hétérostylie). Certaines plantes ont des fleurs uniquement femelles et des fleurs uniquement mâles sur la même plante. (noisetier, chêne, concombre sauvage…).D’autres plantes sont divisées en 2 pieds : un pied à fleurs mâles, et un pied à fleurs femelles et sont physiquement séparés (saule, silène, houblon, if…). La trame verte, c’est aussi ça.

Être plus connecté à son environnement, et capable de mieux s’adapter.

Des fictions corporelles.

Plonger, petites loupes botaniques à la main dans une communauté d’Erodium à petites fleurs violettes. Cette plante, de la famille des géraniums, laisse apparaître au centre de la fleur, une sorte de trompe trompe, en fait, le pistil qui mène à l’ovule, et de minuscule marteaux flexibles, les étamines qui portent le pollen,  une anatomie complexe et séduisante pour qui sait la lire.

Ici, à l’ombre d’un bosquets des plantes plus odorantes que ostentatoires, dans ces milieux sombres les insectes pollinisateurs passent moins, les plantes ont donc misées sur les odeurs pour les attirer de loin.

Là, un trou à la base de la corolle indique qu’un insecte n’a pas honoré le pacte, en passant par l’extérieur de la fleur il a subtilisé le nectar sans passer par la pollinisation.

Lunettes à filtre UV, plongés dans l’univers coloré des insectes, tout se modifie. l’urbain s’éteint, la roche s’éteint, tout de ce qui fait d’habitude attraction pour nous humain s’éteint. Alors les corolles des fleurs s’allume, deviennent fluorescentes, elles deviennent nos balises, notre obsession.

Petit à petit, sens en éveillent, nous devenons insectes, fleurs, vent, odeurs…

Un chemin qui nous rattrape.

Le chemin se ferme, le terrain qui faisait jonction se clôt, son nouveau propriétaire nous indique la route du contournement. Le passage dans la cité de la Castellane se complique et impose un détour par l’autre réalité qu’est Grand Littoral. Long couloir stérile, effluves chimiques, sol brûlant, absence de nectar, absence de partenaires, absence de repos, l’insecte que nous somme déplie ses jambes pour franchir ( et fuir ?)  les obstacles. Ici et là, en pas japonais, de petite taches vertes de pelouse (est-ce encore un habitat ?) descendent doucement vers la ville qui se fait plus « verte » .Cela nous laisse envisager des possibles. Par un trou du grillage, traversant le cimetière, nous plongeons vers le ruisseau des Aygalades où rencontrons la trame bleu, encore un chemin, celui des rivières ouvre les portes de la Méditerranée. Relier deux massifs à la Méditerranée est donc possible, mais plus facile pour certaines espèce que pour d’autres, une ligne d’équité est encore à dessiner.Le bus 30 nous ramène vers le centre-ville. Reprenant nos perceptions d’être humains, qui allait dans quelques jours, on ne s’en doutait pas, être capturé par un tout autre invisible et allait nous tenir à distance de ces couloirs du nord et de ces trajectoires entrelacées.

More Informations

Trame verte pratiquée #3 –  Samedi 14 mars 2020

Le déplacement des espèces

 

À partir d’une hypothèse cartographique, ce troisième volet nous invite à tester une possible trame verte à Marseille. Suivant les flux écologiques, les déplacements des graines, des pollens, des insectes… Nous tentons d’explorer une jonction qui relie les massifs de la Nerthe et de l’Etoile.

 

Cette promenade proposée par SAFI s’inscrit dans un programme de 5 ans du projet Nature 4 City Life (2017-2022) qui veut favoriser une meilleure intégration de la nature dans le projet urbain dans un contexte de changement climatique. En partenariat avec Yes We Camp dans le cadre du projet Foresta, parc métropolitain.

Lettre #5 – 6 mai 2020

Chercher la petite bête et trouver la meute

Après avoir tourné comme des lions en cage, frayé des chemins à travers champs comme des belettes et tenté de devenir caméléon en longeant les murs des villes, allons-nous nous comporter « comme des animaux » ? 

Il y aura des souris craintives, des singes qui sauteront partout, des carpes qui ne seront pas d’humeur à débriefer, des mouettes rieuses qui planeront trop haut, des moutons qui en suivront d’autres, des ours qui resteront en hibernation, des ratels enragés et des caniches dociles…

« Il n’y avait plus de chants, plus de discours, plus de défilés. Napoléon avait ordonné une Manifestation Spontanée hebdomadaire, avec pour objet de célébrer les luttes et les triomphes de la Ferme des Animaux. A l’heure convenue, tous quittaient le travail, et marchaient au pas cadencé autour du domaine, une-deux, une-deux, et en formation militaire. (…) Mais, à tout prendre, les animaux trouvaient plaisir à ces célébrations. Ils étaient confortés dans l’idée d’être leurs propres maîtres, après tout, et ainsi d’oeuvrer à leur propre bien. »  (La Ferme des animaux, Orwell, 1945)

Partage des réflexions et de pensées pour préparer demain dès aujourd’hui maintenant qu’on ne peut plus espérer qu’il soit comme hier…

Ce qui nous rend vivant

Nous écrivons ces lignes dans un drôle de temps. “L’arrêt du monde”, en tous cas cette mise en pause d’un certain monde depuis quelques semaines, semble petit à petit perdre de sa puissance, les pouvoirs tenus temporairement en suspens reprennent plus ou moins insidieusement.

Quelques 20 milliards pour les entreprises polluantes aux contreparties incertaines, beaucoup d’inconnu pour le monde de la culture, retour du métro-boulot-dodo, pour celles.ux qui ne sont pas rentables du lit-à-l’ordi. Les inspecteur.trices du travail dénoncent leur paralysie organisée par le ministère du travail. Et les intermittents de l’emploi, et bien tant pis… Survivra qui le peut. L’arrivée de l’application STOP-COVID annonce une société “sans contact”, les écrans deviennent un accès quasi-exclusif au monde. Les témoignages de Wuhan et de la société de pistage ne laisse rien présager de bon. L’écran depuis lequel on voit le monde rend la réalité toute plate, beaucoup trop plate. 

On nous a envoyé ce terrifiant documentaire d’ARTE qui enquête sur l’état des technologies de la surveillance des personnes aujourd’hui dans le monde, et le monde c’est parfois très proche : 

https://www.arte.tv/fr/videos/083310-000-A/tous-surveilles-7-milliards-de-suspects


Et pourtant quand on voit des personnes en vrai, dans un supermarché, pour une maraude, le soir à sa fenêtre, pour une promenade distanciée ou pour n’importe quelle bonne raison, ça fait de l’effet de se rappeler qu’elles sont tridimensionnelles. Avec de la chair, un corps, de la vitalité.

Arpenter autour de chez soi, se rappeler que le monde n’est pas qu’une carte Google maps, semble être devenu une résistance à ce qui nous est fait. Comment décrire toute la rugosité qui fait la densité poétique de nos vies ?

Dans notre intuition qu’il fallait oser approfondir notre compréhension de l’usage du COVID dans l’histoire longue du contrôle social, nous avons lu et été marqués ces dernières semaines par le philosophe Paul B. Preciado. Il nous raconte comment cette “stratégie du choc” est en train de rendre possible une transformation des modes de gouvernance et de fabrique des corps. “Bienvenue dans la télé-république de chez toi”, prison molle de nos intérieurs dont il faut apprendre à sortir !

Ici, la société est une communauté de cyber-utilisateurs et la souveraineté est avant tout définie par la transparence numérique et la gestion de big data. Mais ces techniques d’immunisation politique ne sont pas nouvelles et n’ont pas seulement été déployées auparavant pour la recherche et la capture de prétendus terroristes : depuis le début des années 2010, Taïwan a légalisé l’accès à tous les contacts des téléphones portables dans les applications de rencontre sexuelle dans le but de « prévenir » la propagation du sida et de la prostitution sur Internet. Le Covid-19 a légitimé et étendu ces pratiques étatiques de biosurveillance et de contrôles numériques en les standardisant et en les rendant « nécessaires » pour maintenir un certain sentiment d’immunité. Cependant, les mêmes États

qui mettent en œuvre des mesures de surveillance numérique extrême n’envisagent pas encore d’interdire le trafic et la consommation d’animaux sauvages, ni la production industrielle d’oiseaux et de mammifères, ni la hausse des émissions de CO2. Ce qui a augmenté, ce n’est pas l’immunité du corps social mais la tolérance des citoyens au contrôle cybernétique de l’État et des entreprises. Lire +

Marielle nous parle alors de l’inversion que met en lumière André Comte-Sponville dans un article du journal Le Temps. “Sacrifier les jeunes à la santé des vieux, c’est une aberration. Cela me donne envie de pleurer”.

Ce sont nos vitalités que nous devons apprendre à ne plus sacrifier. “Honorer ce qui rend vos pratiques plus vivantes”, nous envoyait Stengers. Les aides soignant.e.s certes en font partie, mais qui a passé son confinement sans avoir regardé des films ou des séries ? Reparcouru le travail de son/sa photographe préféré.e ? Ecouté ou fait de la musique ? Lu de belles histoires ou rêvé à de grandes aventures ? Ecouté les oiseaux chanter, sentir le vent, la pluie ou le soleil sur sa peau, observé l’arbre passé de la nudité aux feuillages vifs ? Vu un.e ami.e par un balcon ou en marche distanciée ? Participé d’une manière ou d’une autre aux solidarités qui se sont mises en place pour et souvent avec les “démunis” exclus du corps confinable à immuniser de la société ? Dansé comme une folle/un fou sur une compilation de très bon mauvais goût ? Un ami nous a dit regarder des vidéos de randonnées sur YouTube.

Elle est là aussi, et avant tout là, la vitalité : on n’est pas vivant tout seul.

Je déplore le pan-médicalisme, cette idéologie qui attribue tout le pouvoir à la médecine. Une civilisation est en train de naître, qui fait de la santé la valeur suprême. Voyez cette boutade de Voltaire: «J’ai décidé d’être heureux, parce que c’est bon pour la santé.» Auparavant, la santé était un moyen pour atteindre le bonheur. Aujourd’hui, on en fait la fin suprême, dont le bonheur ne serait qu’un moyen! Conséquemment, on délègue à la médecine la gestion non seulement de nos maladies, ce qui est normal, mais de nos vies et de nos sociétés. Dieu est mort, vive l’assurance maladie !Lire +

Corps tombeau/Corps sacré

On n’est pas vivant tout seul, c’est ce que nous rappelait Michel B. dans une très jolie lettre qu’il nous a envoyée sur la distanciation sociale, reprenant le célèbre et résonnant “Je est un autre” de Rimbaud.

Distanciation sociale ! La formule reprise en boucle par les médias résonne comme un glas qui nous rappelle que la proximité et le contact social sont devenus mortifères. Pourquoi donc “sociale” ? N’est-il pas plus juste, plus humain, de parler simplement de distanciation physique ? La distanciation sociale est une injonction à l’isolement, au repli sur sa propre coquille qui, inévitablement, va se vider et se dessécher, parce que je ne suis rien sans l’autre, sans l’alter ego qui nourrit mon intimité et ma subjectivité. “Je est un autre” ; nous disait Rimbaud dans sa lettre à Paul Demeny le 15 mai 1871… Je comprends aujourd’hui combien cette affirmation est lourde de sens. Lire +  

La lettre de Michel nous reconnectait à l’importance du toucher, du tactile.Et un autre texte est apparu, de la philosophe Donna Haraway sur le tact. Le “Je est un autre” devient chien.ne.s, histoires, évolutions, pratiques, héritages. Jeux non innocents.  

T comme tact

Qui est-ce que je touche quand je touche mon chien ? Quand la “pure race” Cayenne, le “mélangé” Roland et moi nous nous touchons, nous incarnons dans la chair les connexions possibles entre tous les chiens et tous les humains qui ont rendu notre contact possible. Quand je caresse Willem, le voluptueux montagne des Pyrénées de ma voisine Susan Caudill, je touche en même temps les loups gris canadiens et les élégants ours slovènes réhabilités, l’écologie restaurative internationale, les expositions canines ainsi que les économies pastorales multinationales. En investissant cet héritage sans feindre l’innocence, nous pourrions atteindre la grâce créative du jeu.Donna Haraway, « Manifeste des espèces compagnes »  

Et ça nous ouvrait aussi sur cette question qui nous travaille depuis la première balade virale: “comment faire sienne la viralité sans morbidité ?” en la reformulant ainsi : “comment transformer la diète de la chair en opportunité d’exploration de l’expressivité corporelle”, comme l’espère Michel en conclusion de sa lettre, sans trop savoir comment ?

C’est alors que Julie a contacté Robin Decourcy, un ami trek danseur, spécialiste des danses-contacts entre humains et paysages, pour qu’il nous aide à transformer ça :

en ça :

Transformer la corde qui nous sépare en celle qui nous retient et nous ouvre au jeu.(Pour prolonger en découvrant les Trek Danses de Robin c’est ici.)

Parlement des corps planétaires

Paul B. Préciado dans un autre article nous rappelait les travaux de Michel Foucault et l’idée que toute politique était aussi politique des corps, que les corps sont fabriqués par un pouvoir horizontal.

Le corps, notre corps individuel, comme espace de vie et comme réseau de pouvoir, comme centre de production et de consommation d’énergie, est devenu le nouveau territoire dans lequel les violentes politiques de la frontière que nous testons depuis des années sur « les autres », prennent maintenant la forme d’une guerre contre le virus. Lire + 

Et il nous rappelle à quel point ces techniques de corps ne sont pas nouvelles et font partie de ce que de nombreuses personnes vivent quotidiennement. La “leçon” du virus aura été de nous les faire ressentir, à celleux qui les vivent moins violemment, d’une manière beaucoup plus saillante.Juliette nous envoyait alors ses pensées, à partir du travail de Didier Fassin sur la création d’une mémoire incorporée de la peur organisée par les “forces de l’ordre” dans les quartiers, sur comment des populations privilégiées étaient en train d’expérimenter ce que nombre de personnes marginalisées par leur race, leur rapport au genre, leur sexualité, leur religion, leur classe sociale, etc. expérimentent depuis plus longtemps (Didier Fassin, La Force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers).  

Nous apprenons à avoir peur. Par des rappels ponctuels et répressions du corps policier, juridique et politique, nous apprenons, ce que nous incarnons – des êtres de risques, pouvant contaminer ou être contaminés et nous incorporons cette représentation de nous-mêmes comme risque. Devenir un « être de risques », nos « techniques de corps » en sont transformées ; nous apprenons les gestes barrières, la distanciation physique, que nous apprenons sous l’intitulé performatif de « social », nous apprenons à nous déplacer par nécessité, à en écrire la nature, que nous apprenons aussi à justifier, nous apprenons à enterrer nos morts de notre isolat de confinement, à faire part de notre amour par vidéo, à « faire une tape dans le dos avec ses yeux ». Au fil du confinement se fabrique une mémoire incorporée, une mémoire de nos corps et de nos affects.  

Si le corps est ce par quoi s’exerce le pouvoir, par la fabrique des mémoires incorporées suscitant une certaine subjectivité, c’en est d’autant plus le lieu de la résistance.C’est ce que Paul B. Preciado nous enseigne, héritant des communautés queer qui sont expert.e.s en la matière. Et c’est bien à reprendre nos corps en main que nous invitait Michel (Bottaro, pas Foucault…), à chercher des dispositifs pour reprendre confiance dans leur créativité expressive. 

Le parlement des corps qu’invoque Paul B. Preciado en conclusion de son texte, se dessine de corps expressifs, bruissant de possibles, de touchers transfrontaliers. Reprendre nos corps (vulnérables) dans toutes leurs matérialités divergentes et en honorer la résilience en deçà des tentatives de domptage qui leur sont appliqués. Pas de frontières, mais une nouvelle conception de la communauté : une alliance trans-éco-féministe et décoloniale, une alliance des corps planétaires : c’est la seule santé que l’on peut espérer.  Cherchant à dépasser les oppositions traditionnelles et réductrices entre mouvement ouvrier et féminisme, entre décolonisation et écologisme, des voix aussi différentes que celles des théoriciennes féministes Silvia Federici, Françoise Vergès et Donna Haraway nous invitent à imaginer la classe ouvrière contemporaine comme un vaste ensemble de corps minéralisés, végétalisés, animalisés, féminisés et racisés qui accomplissent le travail dévalorisé de la reproduction énergétique, sexuelle, affective et sociale de la techno-vie sur la planète Terre. Cette perspective trans-éco-féministe et décoloniale implique également de modifier la représentation du sujet politique et de sa souveraineté. La révolution à venir n’est pas une négociation de quotas de représentations identitaires ou un aménagement des degrés d’oppression. La révolution qui vient place l’émancipation du corps vivant vulnérable au centre du processus de production et de reproduction politique. Lire + 

Le Parlement des territoires abîmés (lire lettre #3) que nous avions commencé à rêver continue de prendre forme, entre auditions des vivants et carnaval de fous qui renversent les rois de pacotille…

À lire : Alain Damasio, Je rêve d’un carnaval des fous…

Peuplement des imaginaires : intimité sans proximité

Alain Damasio, le romancier de science fiction qui nous accompagne de lettre en lettre et de qui nous tirons l’exigence de “se muscler le vif”, nous invitait le 1er mai de l’année passée à nous penser dans une guerre des imaginaires.

La fiction, comme il le reprend à Yves Citton, “préscénarise” les comportements (voir la lettre #3). Et ce carnavalesque parlement des corps que nous tentons d’imaginer, se doit d’entrer dans cette guerre-là. Se donner du désir, pour résister au petit facho en nous qui se laisse tenter par les sociétés de contrôle et pour – comme le propose l’incroyable collectif de la Baguette magique de la Castellane – apprendre à faire peur à la peur (découvrir la Brioche Magique dans Convergence Des Intérêts).

https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/les-utopies-concretes-dalain-damasio

Une dernière petite incursion sur notre chemin : lorsque Michel Bottaro invitait à repenser les liens d’intimité avec les distances barrières, c’est Donna Haraway qui a émergé. Elle nous offrait une très belle formule, qui aujourd’hui résonne étrangement, pour célébrer le travail d’artistes-biologistes-mathématiciennes qui se sont mises à crocheter collectivement la grande barrière de corail : elles avaient inventé un dispositif “d’intimité sans proximité”.L’histoire est assez folle : une mathématicienne obsédée par la matérialisation des concepts mathématiques découvre une manière inédite de donner forme à une géométrie non-euclidienne, la géométrie hyperbolique, en appliquant des patterns au crochet. Une historienne des sciences, Margaret Wertheim, s’en empare. Le monde vivant utilise ces géométries hyperboliques, particulièrement les vivants sous-marins : elles se mettent à crocheter la grande barrière de corail. Le projet s’emballe et devient participatif, des centaines de femmes (en large majorité) se mettent à crocheter la grande barrière de corail. D’une part, elles tissent littéralement un lien intime avec ces formes de vies, sensibilisent à la destruction que la grande barrière subit et permettent d’autre part de mieux comprendre ses structures. Elles proposent ainsi une alternative à une intimité par proximité des coraux, proximité qui ne pourrait avoir lieu sans participer à leur détérioration.Et le résultat est magnifique. Les imaginaires se peuplent d’alliances entre des femmes qui font du crochet et des coraux, les coraux comme les femmes “empuissanté.e.s”.

Des jeux, des protocoles, des expériences à tester pour apprendre à respirer sous l’eau.

Reprendre ses droits : un récit, un tuto !

par Chloé Mazzani

Chloé habite en centre ville dans un petit appartement. Tous les matins elle court avec son ami. L’expérience de l’ ”amende”, l’absurdité de la confrontation et sa brutalité vont changer à la fois la manière dont Chloé va vivre son confinement mais aussi réveiller des formes de résistances joyeuses.

Alors pour Reprendre ses droits il y a : 

Un récit

Voilà. C’est fait. Je vais pouvoir dire « moi aussi ! ». Faut dire que j’ai pas été très futée sur ce coup-là, je me suis même fait prendre comme un lapereau de trois semaines. C’était pas faute d’ignorer le risque, mais on s’était dit que ça passerait. On avait trouvé un super spot pour courir alors on n’allait pas s’en priver. Déjà que s’être mis à courir ensemble, quasiment tous les matins, c’était quelque chose, on était même un peu fier et concrètement on passait de bons moments. Alors oui, c’était pas dans « la zone ». On le savait et on avait même vérifié. Mais c’est quand même beaucoup plus agréable de courir sur du plat en direction de la mer que de trottiner dans des rues pleines de poubelles et…de gens ! D’ailleurs sur le chemin (tant qu’on était dans « notre zone »), on avait croisé plus d’un attroupement. Le marché aux poissons a rusé : pour contourner l’interdiction, les pêcheurs ne vendent plus à quai mais depuis leurs bateaux. Il n’empêche que les clients eux sont loin d’appliquer les distances réglementaires. Mais, bref, rien à fiche, le nez au vent, le souffle réglé, on passe devant au petit trot, tout content de prendre un peu l’air. Aller jusqu’à l’esplanade du MUCEM c’est juste parfait car on peut varier l’itinéraire, et une fois sur place on peut s’exercer sur les bancs, les rampes d’escalier, les branches d’arbres. Il y a même une petite fontaine pour boire. A la fin on s’assoit cinq minutes pour regarder la mer et on repart en sens inverse. C’est peut-être parce qu’on avait déjà tout notre programme en tête qu’on n’a pas été plus vifs. Lire +

Un tuto

Si j’en crois les informations, le confinement aura définitivement affirmé la séparation entre les humains et les autres animaux. Qu’un bipède sorte dans la rue, le voilà taxé de monstre inconscient et renvoyé chez lui à coup de chaussures à clous. Mais qu’un canard se dandine sur une place publique, aussitôt la toile entière s’émeut. #Human Go Home.La visibilité de cerfs, dauphins et autres bestioles à plumes sur nos lieux de vie habituels semble apporter une pierre au socle de la légitimité du confinement.Bien qu’en profond désaccord avec la séparation radicale des espèces, je décide tout de même de me soumettre au jugement de mes contemporains. Puisqu’il faut encore et toujours hiérarchiser les espèces, alors autant choisir d’appartenir à celles qui ont le droit. Lire +

La balade virale #2

Il y a bientôt un mois nous avions tenté une première balade expérimentale en temps de confinement pour essayer, tout en respectant les consignes sanitaires, de « marcher comme un virus » et aussi de se laisser guider par l’idée que nous serions un fil parmi les fils du vivant, la balade devenant un exercice de tissage et de pistage de la trace. –> Retrouver la 1ère balade virale.  Il y a 15 jours nous avons poursuivi en prolongeant d’une part la balade virale, tout en ouvrant vers d’autres formes d’expériences plus corporelles pour éprouver par le jeu l’épineuse question de la « distanciation ». Juliette qui était dans le dernier groupe avec Julie nous raconte et nous propose de réfléchir à ce qu’engage la viralité pensée comme une expérience corporelle. En marchant avec cette attention au viral, nous exerçons aussi une forme de conscience critique de ce qui se joue actuellement dans cette découverte de nos corps comme “êtres de risques”. Et par la conscience de la trace, c’est la possibilité de marcher ensemble, de “faire bande” sans fondre sa trace dans le paysage, en étant attentif à sa trace.Pour Juliette cette posture est aujourd’hui importante, savoir ce qu’on laisse derrière soi, même si on se sent traqué, et se sentir un peu plus appartenir aux mondes. Cette fois ci, nous sommes parties les dernières. Cette position, dans la balade virale, est d’emblée confortable. Nous pouvons prendre le temps, nous ne sommes pas suivies, nous ne devons laisser de traces à personne. Le premier groupe guide la marche, laisse les premiers signes pour ouvrir la voie, fait apparaître le chemin proposé. Le second groupe, liminaire, augmente et épaissit les signes. Notre rôle à nous en troisième position: suivre les traces, collecter les signes. Nous commençons notre collecte en les dessinant et les photographiant. Qu’est ce qui fait signe entre nous ? Comment nous faisons signe entre nous ?Il y a les signes dont la matérialité est connue d’avance par tous, le fil de laine rouge et les dessins ou traces à la craie. Ce sont ceux que nous pistons avec le plus de certitude, qui ne nous mettent pas en doute, au contraire, ils affirment la bonne voie du chemin emprunté. Quelques minutes après avoir commencé et avoir suivi deux trois dessins à la craie sur lesquels nous ne nous attardons pas, nous arrivons sur un petit pont en fer qui enjambe le ruisseau des Aygalades/Caravelle. Sur le pont est dessinée à la craie une crevette, ce signe devient alors déclencheur d’une histoire que Julie me partage et qu’elle-même partage avec ceux qui ouvrent la balade. La crevette, appelée gammare, est pour le dire grossièrement, un indicateur vivant de la qualité de l’eau du ruisseau et de sa viabilité pour des poissons (* voir la Gazette du Ruisseau où l’histoire est détaillée). Au même moment, Julie reçoit une photo prise par d’autres complices marcheurs, d’une créature aquatique étrange et inconnue apparue dans le ruisseau.C’est là qu’émerge l’envie de se tatouer. Lire + 

Pour trouver dans la littérature et la poésie des pistes et du soin.

Rêver avec Luis et Raphaël par Raphaël et Vincent Karl

Suite à notre appel à rêves de la Lettre #4 nous avons reçu de passionnantes histoires. Nous vous conseillons grandement d’en lire l’intégralité. On commence la nuit avec le plus jeune contributeur, Raphaël, et son père Vincent qui nous invite à nous éveiller à la lecture de Luis Sepulveda, tout juste décédé.Le rêve de Raphaël, 12 avril 2020

C’est le dimanche de Pâques, je me réveille et je pars chercher des œufs. Le premier que je vois est énorme, mais il est derrière une barrière qui m’empêche de sortir de la ville. Tant pis, je me glisse dessous et je m’approche de l’œuf : on dirait un goron (créature du jeu vidéo Zelda). Il m’arrive à la taille, il a de grands yeux, du jaune qui coule de sa bouche, et sa coquille ressemble à une carapace, comme celle d’un pangolin. Il me soumet trois épreuves, je relève son défi et je remporte un œuf en or. Je me précipite pour le montrer à mes amis mais je trébuche sur le trottoir et je me réveille. Je me dis dommage, ce n’était qu’un rêve. Pourtant, l’œuf en or est toujours dans ma main. Je pars dans la ville à la recherche d’autres œufs et de mes amis, mais les rues sont désertes. Je me demande à quoi sert mon œuf en or, j’essaie de l’ouvrir mais il voltige au-dessus de ma tête puis se pose sur mon dos, qui s’est couvert d’une carapace, et je me transforme entièrement en goron !Je me roule en boule et je dévale les rues comme ça dans toute la ville, je m’amuse comme un fou mais je ne trouve toujours personne et je rentre chez moi tout triste. Je me réveille. C’est le dimanche de Pâques, je pars chercher des œufs.

Éloge de la marge, 16 avril 2020 Luis Sepúlveda : 1949 – 2020

Je viens d’apprendre la disparition du grand écrivain chilien Luis Sepúlveda. Il était hospitalisé à Oviedo depuis le mois de février et il a succombé le 16 avril à l’épidémie de ce virus de malheur, dans cette Espagne qui se révèle, parmi tant d’autres pays, impuissante à protéger les plus vieux et les plus fragiles d’entre nous. J’ai déjà dit combien ses Historias Marginales m’ont marqué, et tout cela me revient en pleine figure à l’annonce de sa mort, avec l’idée qu’il n’en écrira plus aucune. J’entends encore sa voix s’élever dans la nostalgie de l’une de ces soirées radiophoniques où l’humeur vagabonde.Il écrivait comme il vivait, dans les marges. Celles de l’Histoire qui l’a jeté dans les prisons de Pinochet avant de l’enrôler dans la guérilla sandiniste au Nicaragua. Celles de la géographie qui l’a promené clandestinement sur les routes d’Amérique du Sud avant de le mener, au grand jour cette fois, jusqu’en Europe. Celles de la terre qu’il explorait avec curiosité, depuis les forêts des peuples d’Amazonie jusqu’aux océans sur les bateaux de Greenpeace. Celles de l’exil dont il avait compris la langue, celles de la mémoire dont les méandres étaient la matière même de son oeuvre, celles de la poésie qui lui a permis de survivre. Mais pas cette fois. Ce soir, dans la solitude de mon confinement, dans cette sorte de marge forcée, je reprends un Rendez-vous d’amour dans un pays en guerre, je pleure un ami assassiné et, comme il le faisait si souvent dans ses livres et dans sa vie, je trinque à la vie, à la mort de Luis Sepúlveda Calfucura.

Lire les autres rêves

Retour d’expériences, récits de nos tentatives et de nos explorations personnelles, écrits, dessins, témoignages, tout ce qui peut participer à vivre le présent et préparer l’après.

La petite promenade (cahier d’activités d’intérieur) par le collectif SAFI

Cher CDI,Je te transmets quelques documents qui accompagnent ma mutation.Mon univers s’est considérablement réduit, mais mes sens ont en quelque sorte décuplé, on peut dire que ceci compense cela. J’explore à présent un micro-monde tellement varié et étonnant qu’il se révèle vaste et continental.Je m’exerce avec la petite promenade pour les doigts, elle réveille la pulpe sensible de mes organes et m’exerce aux changements d’échelles, de contenus, de textures… Petit à petit, pour mes sens, grands ouverts, tout fait événement. Cette acuité accrue révèle d’autres sens et m’aide à interpréter des intuitions, des fragments d’observation. Ainsi j’entends autour de moi et reconnais très distinctement le chant de la mésange charbonnière, de la fauvette à tête noire, du pinson des arbres, du pigeon bizet, de la tourterelle turque et du rouge-gorge. Ces chants s’élèvent si bien que l’autre jour, j’ai entendu la naissance de petits canards colvert dans le ruisseau du Jarret et le cancanement de leur mère, peut-être étonnée d’en avoir menés autant à terme cette année. C’était également la première fois que j’entendais un couple de bergeronnettes des ruisseaux, quelle surprise venant d’une rivière urbaine.J’ai repensé à ce serin et à ce muge que nous avions vu ensemble, je me suis demandé si tous ces changements nous permettront enfin de les percevoir entiers, reliés à leur environnement.Au fait, j’ai enfin découvert où se trouvent les dortoirs collectifs des perruches à colliers qui nichent boulevard Longchamps. Ces édifices étonnants sont à moins d’un kilomètre de chez moi et sont réalisés ici en branchettes de platane.Bientôt, je t’y emmènerai.Bien à toi,Dalila

Voir le cahier de promenade

Illustration : Tableau Zeynep, avril 2020
Illustration : Tableau Zeynep, avril 2020

Dans ma peau de poisson rouge par Stéphanie Mousserin

Stéphanie habite le quartier de Noailles. Elle regarde son poisson rouge, elle se questionne sur ses perceptions et peu à peu remonte le fil d’une pensée de l’attention telle que l’y invite le philosophe Jacques Rancière dans Le maître ignorant. 

« Les adultes ont une mémoire de poisson rouge », Oscar le 19 avril 2020 “[…] Il faut dire que dans nos aquariums nos perceptions sont parfois un peu confinées… Il est bon pourtant de marcher, d’observer et d’apprendre de notre environnement que ce soit de ces bâtisses empreintes de l’histoire des hommes qui nous ont précédés, de cette Pariétaire (Pariétaire officinalis ) ou cette Cymbalaire des murailles (Cymbaleria muralis) qui poussent dans les interstices et lieux abandonnés. De quoi s’émerveille-t-on ? Que retiendra-t-on de cette période ?Après avoir accusé chauve souris et pangolin de tous nos maux, de nombreuses vidéos ont circulé montrant un kangourou faisant du tourisme urbain, des dauphins sautant dans le port de Toulon, un orque se rapprochant des côtes et autres animaux aventuriers.L’humain a su ralentir, laisser la nature reprendre un peu d’air, se rappeler qu’il la connaît peu en définitive. Tout comme il connaît peut-être peu la société dans laquelle il vit, tellement parcellisée que notre attention sensorielle ne peut plus l’appréhender, alors oui les inégalités sont là, dans la santé, l’alimentaire pour les plus évidentes en ce moment…” Lire +

La vie à un fil par Danièle Ducellier

Danièle nous a envoyé ce texte suite à la lecture de la conversation sur la mort et la vieillesse entre Agnès et Christophe dans la lettre #3.

La mort n’a pas attendu le Covid pour venir fermer des portes dans ma vie …Pour que le monde change d’une façon irrémédiable, subitement…Car pour moi c’est ça la mort : une succession de petites morts, de portes qui se ferment, de monde qui change, jusqu’à la dernière mort, la dernière fermeture, la mienne…Rien à voir avec la vieillesse, qui se manifeste à n’importe quel âge et laisse encore la place à des possibles. Lire +

L’inachevé par Jacqueline Lepetit

La marche est un geste d’inachèvement. Jacqueline nous raconte comment elle chemine son temps, son inachevé. Le temps et moi. 

Bien avant le confinement je m’étais rendu compte que j’avais une drôle de relation au temps… Sur une feuille de papier libre j’avais écrit au mois de janvier : ‘’Le problème avec moi, c’est l’inachevé ‘’ :- les écrits inachevés,- les travaux inachevés,- les amours inachevées,- les lectures inachevées.Et aussi le zapping permanent :- le zapping permanent, en français comment cela se dit ?- le zapping des idées = les pensées idées noires et idées blanches- les activités = sauter d’une activité à l’autre- les loisirs et les hobbies = changer de loisir chaque année ou presque, les oiseaux, le jardinage, la peinture, l’écriture, le chant, la musique…- des amitiés = plein de groupes, de réseaux, peu d’amis…Il me fallait bien vivre avec ça, à l’heure de la retraite, depuis avril dernier, et dont jusqu’alors – à sauter d’une activité à l’autre – je n’avais pas pris la mesure. Lire +

Zombie or not zombie par Rio Achez et Julie de Muer

Un échange un soir sur un canapé Netflixé entre une mère et son fils.

Voilà plusieurs jours que Rio, mon fils de 17 ans (un adolescent « entre-deux », entre-trois, entre plein de mondes dont je ne sais à ce jour lequel il habitera) me signifie par remarques discrètes : « Maman, je t’entends écouter, je te vois regarder, je t’écoute discuter. Je pense que tu apprécierais cette série que j’aime beaucoup et qui s’appelle The Midnight Gospel ».J’ai entendu d’une oreille, laissé trainé, puis je me suis moi-même, confinement oblige, trouvée à tendre l’oreille pour écouter la voix d’une série qu’il regardait.J’ai posé la question: « Mais qu’est-ce que tu regardes là, ça semble passionnant… ».Je viens de regarder le premier épisode avec lui. Je suis troublée.C’est une série d’animation bien perchée, qui dans cet épisode met en scène un fumeur de joint, un président et des zombies. Et c’est ça que regarde mon ado confiné. A la fin je lui demande à chaud: « Rio, dis-moi, lance-moi des mots, pourquoi voulais-tu que je vois cette série, es-tu d’accord pour témoigner en quoi elle t’aide, te parle, maintenant ? »Il me dit :« En dehors du côté « imagé » (j’aime ces images, graphiquement, et le décalage avec le son, trop bizarre), et en ces temps de confinement, tu peux avoir là de la discussion, tu peux bizarrement alors qu’on ne voit personne avoir des gens qui se donnent des avis. Il y a une certaine simplicité, c’est une discussion ce n’est pas un débat, on ne se renvoit pas la ba-balle. Les débats me fatiguent, j’aime les discussions.Et ça me permet de m’identifier à certaines choses, là le mec en parle, j’ai l’impression d’y avoir réfléchi, de m’entendre discuter avec quelqu’un que je trouve intéressant. Et j’adore le psychadélique-psychologique!Les zombies au départ sont à combattre et finalement c’est celui qui est jugé comme l’ennemi de celui prétendument conscient qui devient désirable. Est-ce que le zombie ne serait pas une représentation de la population marginalisée? Ou alors de soi-même ?Quand dans l’épisode le président devient zombie, il se rend compte que c’est cool, il découvre une autre partie de lui-même.Ca colle avec ce qu’on vit aujourd’hui car on ne sait plus qui est zombie. Ceux qui nous menacent parce qu’ils ne peuvent pas se protéger ? Ceux qui ne sont plus tout à fait vivants ? Ou nous-mêmes dont nous redécouvrons qu’en nous acceptant comme zombie on est plus vivant? »

Je n’ai pas ce genre d’échange tous les jours avec Rio. Le confinement nous rapproche, on s’écoute dans nos conversations et sur ce coup là, ça fait mouche…(La série est sur Netflix, difficile de la partager avec tous.tes, mais le témoignage d’un jeune de cet âge me semblait important.)

Des initiatives à découvrir, des appels à participation, des réseaux d’entraide.

Les appels*Les professionnels médicauxAppel à créer un mouvement populaire. Bas les masques !*Application numérique StopCovidAppel au boycott du “contact tracing” des humains.

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Les tribunes et pétitions*Tribune : Il est temps de ne pas reprendre par l’Atelier d’Écologie Politique (Toulouse) et l’Ecopolien (Paris). *Tribune : pour l’indépendance de l’inspection du travail et la réintégration immédiate d’Anthony Smith

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Les actions locales*“Mais nous pouvons toujours êtres plus fortes que la peur, peu importe si nous sommes petits ou grands, on peut devenir super courageux et faire une grande grimace et commencer à faire PEUR A LA PEUR !” Brioche magique, édition extraordinaireLa Brioche magique est une aventure éditoriale menée par un groupe d’habitantes de la Castellane à l’origine du journal La Baguette Magique. Alors que les relais d’approvisionnement des aides et soutiens ont été particulièrement compliqués à mettre en place dans ce quartier, ces femmes ont réussi avec l’association 3.2.1 à éditer pendant le confinement une Brioche magique pour “faire peur à la peur”. Découvrir La Brioche magique*Boite à gants et bal masquéLe fanzine pédagogique des habitants de la cité des arts de la rue, pour préparer le grand bal masqué de l’après confinement avec les petits et les grands. Découvrir le fanzine*Défi photos confinés-cachés-caméléons-mobiliers par Edith Amsellem, artiste de la Bande du ZEFImaginez que votre espace de confinement est un partenaire, une cachette, une île, un appui, un complice, un soutien. Demandez à un membre de votre entourage de vous prendre en photo (privilégiez les photos en mode « paysage » / « horizontal »), et envoyez 3 photos en suivant les indications suivantes : photo 1 : Je me cache, photo 2 : Je fais le caméléon sur quelque chose, je me fond, j’essaie de disparaître, photo 3 : Je deviens la continuité d’un meuble…Pour regarder les photos déjà envoyées par les jeunes qui étaient en projet avec Edith et le Zef au moment du confinement, et pourquoi pas participer à cette jolie proposition qui s’ouvre à tous.tes ?C’est par ici

© Edith Amsellem
© Edith Amsellem

More Informations

Le CDI c’est quoi ?

Né des pratiques d’exploration du Bureau des guides du GR2013 et des habitants marcheurs de la coopérative Hôtel du Nord, le CDI est un lieu d’échange et de réflexions collectives, de textes, podcasts, musiques, films qui résonnent particulièrement avec la situation, ou qui permettent de prendre une tangente.

Il prendra pour l’instant la forme d’une newsletter contributive pour partager des initiatives, des pensées, des textes mais aussi des jeux et des protocoles pour mettre à l’épreuve notre manière d’habiter le monde et en ramener des récits, des dessins, des photos, n’importe quoi. Le CDI est une tentative de poursuivre les aventures commencées tout en réinventant le voisinage dans un monde confiné.

 

Le CDI c’est qui ?

Des habitants, des artistes, des citoyens qui aiment marcher et explorer pour mieux habiter et se relier, et toutes celles et ceux qui le veulent ou le voudront.

 

Retrouvez les autres lettres dans nos récits.

Lettre #4 – 18 avril 2020

Tisser les lignes

Noélie, une amie en Normandie, nous a partagé trois maximes qui lui sont apparues durant son confinement : 1) « Tout ne s’explique pas » 2) « Je ne suis maître de rien » 3) « Toute chose nécessite de s’entendre comme un « ça arrive ».Et peut-être qu’il nous fallait un peu de silence pour que d’autres histoires nous arrivent… 

Partage des réflexions et de pensées pour préparer demain dès aujourd’hui maintenant qu’on ne peut plus espérer qu’il soit comme hier…

Faire silence

On revient, on tourne en boucle, on fait une volte. Après la dernière lettre nous voulions directement partir vers les grands procès, ou les grands tribunaux, ou en tous cas vers une version potentielle d’une assemblée fabulée qui nous permettrait de redire ce à quoi on tient et de ne plus se laisser pouvoir dire “c’est comme ça, on n’y peut rien”. Mais nous n’y arrivions pas. Quelque chose a été déstabilisé. Comme si le chemin à prendre pour y arriver avait perdu de son évidence. On revient sur Nastassja Martin (voir Lettre #2) : La faillite du langage. Il n’y a plus rien de satisfaisant dans le stock d’interprétations disponibles pour exprimer ce que l’on vit. On ne peut plus ranger dans les cahiers habituels. Aucune histoire ne paraît satisfaisante.Nous avons relevé entre nous les expressions qui révèlent cette faillite, lorsque les yeux tombent dans le vide et qu’un peu béatement on lâche :  “Mais c’est complètement dingue…”ou “Mais qu’est-ce qui va se passer ?”ou encore “Mais qu’est-ce qu’on peut faire ?”  Ces expressions qui évidemment ne sont pas ce que l’on veut dire, ni ce que l’on pense, mais qui sont un aveu : nous ne savons pas comment dire.Noélie, une amie en Normandie, nous a partagé trois maximes qui lui sont apparues durant son confinement : 1) « Tout ne s’explique pas« , 2) « Je ne suis maître de rien » et 3) « Toute chose nécessite de s’entendre comme un « ça arrive« .Et peut-être qu’il nous fallait un peu de silence pour que d’autres histoires nous arrivent.  Vinciane Desprets nous murmure à l’oreille :Monsieur Palomar entend le sifflement des merles dans son jardin. Il écoute leur dialogue. Et il constate qu’après chaque sifflement, un silence s’installe. « Et si le sens du message se trouvait dans la pause et non dans le sifflement ? » se demande-t-il. « Si les merles se parlaient précisément par leur silence ? […] Un silence, apparemment identique à un autre silence, pourrait exprimer cent intentions différentes. »Me revient en mémoire ce que l’ornithologue Thierry Aubin avait appris, après bien des années de recherches : c’est par les temps de silence que sont convoyés des éléments essentiels de signification dans les dialogues chantés des alouettes des champs.Nous voilà donc comme Palomar, avec nos vies en retrait, à entendre à nouveau les oiseaux. Je ne voudrais pourtant pas qu’on s’imagine que nous ne les entendons uniquement que parce que nous serions plus tranquilles, moins sollicités (quoique, bien sûr, cela ne soit ni à négliger ni surtout à oublier). Mais ce serait faire comme si les oiseaux eux-mêmes n’avaient pas leur propre point de vue sur ce qui nous arrive, comme s’ils n’avaient rien à dire sur ce qui nous a rendus autrement présents à eux. Peut-être se disent-ils que notre silence signifie qu’enfin nous leur laissons un temps de parole ? +++

Laisser la parole

Et puis, c’est une défunte qui est venue, comme nous relier à nos premières lettres. Nous dire que nous avions été trop vite. Elle nous a obligés à être plus attentif.ve.s à ce que nous disent nos morts et à ce que la mort demande à la vie.  Lettre de Natacha : […] Sa mort est devenue notre mort, et chacu.n.e de nous ici, s’en est emparée et l’honore à sa façon, en l’intériorisant et en faisant une expérience qui nous rend encore plus présent et à l’écoute de ce que nous disent avec insistance nos morts. Et nos morts prennent de plus en plus de risques aujourd’hui à nous le dire : “Souvent je vous entends dire qu’enfant vous aviez l’impression que le temps était bien plus vaste, infini, ouvert. C’est maintenant, au présent, que l’épaisseur du temps se vit, se partage, et ça ne se négocie pas.” +Lire plus+  

–Laurent et Christophe avaient aussi engagé une conversation sur le sens qu’on peut donner à la mort dans notre monde où la tragédie propose non pas de choisir entre vivre ou mourir, mais de vivre à tout prix. Christophe nous en propose une lettre, Laurent un temps d’écoute… 

Mercredi 15 avril 2020Finalement, la mort réapparaît dans nos vies. Depuis si longtemps nous l’avions chassée de nos existences. Nous en étions quasiment arrivés à nous croire immortels. Avec l’aide des crèmes antirides, des pommades pour maintenir la peau douce, des vitamines et autres régimes chimiques pseudo naturel pour maintenir notre corps en forme, nous avons chassé la vieillesse, pour la sortir de nos vies. En repoussant ainsi l’image de la mort, en rangeant dans les tiroirs de l’oubli l’idée même de la mort, nous étions sur le point de l’oublier.Même notre vocabulaire s’est adapté à nos nouvelles vies démortifiées. Les vieux ont disparu, seuls le troisième âge, les seniors ou les personnes âgées sont encore là. Plus personne ne meurt, nous disparaissons, nous nous éteignons, nous nous en allons. C’en est fini du temps où nous mangions les pissenlits par la racine. Terminé le privilège d’avoir une belle mort. Seules demeurent les vies réussies. Plus besoin de partir à la retraite, les seniors ne sont pas vieux, ils sont pleins de vie. Travaillons plus longtemps ! À soixante ans, nous sommes encore dans la force de l’âge. Nous sommes détenteurs de l’expérience que les jeunes n’auront jamais.OK Boomer ! Voilà que la Mort revient dans la vie.  +Lire plus+ 

–Agnès nous l’a dit. Avec ce confinement elle a commencé à se sentir vieille. Vieille dans le sens où elle avait déjà beaucoup vécu, et comme si cette histoire n’était plus son histoire, comme si c’était le traumatisme de trop. Elle a aimé, vécu passionnément, traversé mille aventures face à ce monde, maintenant, elle voulait pouvoir se reposer, les choix qu’elle a faits, elle les a faits, ceux qu’elle n’a pas faits, elle ne les a pas faits.

Mais cette catastrophe sanitaire la cloisonne chez elle. Ce n’était pas facile de devenir vieille dans ce contexte, aussi subitement. La mort devient une option qui n’est plus si loin. Mais, peut-être, nous a-t-elle dit, que finalement c’était bien de pouvoir devenir vieille. De s’assumer porte parole d’un temps révolu, mais qui agit encore et qu’il faut garder vivant. Et elle nous a dit suite à la lecture du texte de Christophe, qu’elle avait compris un truc… Remettre la mort à sa place, c’est remettre la vieillesse aussi à sa place, c’est remettre tous les âges à leurs places. Une fois que t’as eu 8 ans, 20 ans, 30 ans, 60 ans, tu l’as pour la vie. Le seul âge qu’on a pas c’est celui qu’on a pas eu. Et ça donne un sens au temps. Ça nous permet de lutter contre l’homogénéisation du temps. Ça fait qu’il ne passe pas pour rien.

Contaminés et vivants

Nous avions aussi croisé sur notre chemin ce texte de Yves Citton, qui nous invitait à faire nôtre la viralité. Nous sommes dans un temps où les choses ont une drôle de plasticité, les institutions, nous-mêmes, nos rapports, tout semble pouvoir être remodelé un peu plus que d’habitude. Et c’est ce potentiel qui permet une autre viralité que celle mortifère du COVID-19 et son traitement étatico-médiatique. Rendre viral ce qui donne à la mort la possibilité de raconter à la vie. Ce silence que nous avons rencontré a comme laissé la place à ce que nous soyons contaminé par autre chose que le mortifère. Une contamination qui pouvait nous rendre plus vivants.Comment faire que Covid-19 ne soit pas simplement le nom d’une crise sanitaire, que les pouvoirs en place, politiques comme économiques, s’efforcent déjà de résorber en neutralisant ses effets déstabilisateurs ? Comment en faire l’occasion d’un retournement, d’une vraie catastrophe pour le néolibéralisme et l’extractivisme dominant ? Quel bout de code de virus informationnel pouvons-nous insérer dans nos circulations médiatiques pour reprogrammer nos modes de valorisation ? Qu’est-ce qui nous contraint ou nous permet de penser le virus, qui puisse réorienter drastiquement les affects communs sur lesquels repose tout pouvoir en place ? +Lire plus+  On voulait alors être viraux, nous-mêmes pratiquer une viralité de ce qui nous importe. Mais le doute est immense. Comment résister à nos sentiments d’impuissance ?  Marielle : Je ne conçois pas de changement venant du haut. Je ne vois qu’une seule manière de changer les choses : en partant de chacun, des petits groupes auxquels chacun appartient. Et si la parole, l’attention ne circule pas, est confisquée ou réservée à certaines personnes, que jouer des coudes est la seule réponse pour se faire entendre, on reproduit ce que nous critiquons à plus grande échelle. Les esprits noircissent ou s’évaporent, ça prive le groupe de cerveaux joyeux, enthousiastes, motivés et force de propositions. Quand les choses ne sont pas appliquées de manière micro, je n’arrive pas à passer au macro.Tout ça est trop important pour moi : vivre en accord à chaque instant, prendre soin.De la plus petite cellule —>au groupe —>à l’immense système. Je dois me rendre à l’évidence, je crois dur comme fer en l’effet papillon.Voilà ces quelques mots juste pour que vous sachiez où j’en suis dans ma tête. Je zoom et dézoom et comme « on est trop nombreux » ma théorie tombe à l’eau / c’est décourageant un matin sur trois (oui y’a deux matins où ça va bien parce que j’ai la mémoire courte !).

Tisser entre les lignes

Et alors Julie nous fit une grande proposition emmêlée :Comment revenir dans le monde ? Comment retrouver la marche et le fil de nos trajectoires, dans le tissu mouvant du vivant ?

Se remettre dans les fils du vivants, y tracer une trajectoire et se laisser contaminer par les autres. Il nous fallait trouver un protocole pour l’expérimenter avec nos corps. Chercher, malgré le confinement, à se laisser hybrider par les trajectoires que dessinent les vivants sur la terre. Ce fut la balade virale, puis la plongée dans les lignes… Je pensais, à la 4ème semaine de confinement, que notre marche métaphorique se serait un peu stabilisée, apaisée et nous avec.On avait pas mal produit dans les premières semaines et là on avait su ouvrir le temps pour à la fois aller donner de l’énergie dans nos quartiers en organisant l’entraide sociale, et laisser tranquillement se préciser l’imaginaire qui avait été dessiné dans la lettre #3, celui des grandes assemblées, des parlements et des grands tribunaux.Et puis ça ne s’est pas passé comme ça, puisque plus rien ne se passe comme on projette que ça pourrait se passer.Et puis j’ai eu finalement envie de vous raconter une histoire de fils et de traces, une histoire de tissage qui nous rend plus vivant.e.s.En fait au départ ce n’est pas vraiment parti de notre lettre #3, mais plutôt d’une correspondance avec un ami qui s’interroge sur les sentiers métropolitains et ce qu’ils nous proposent, à la fois comme supports d’autres histoires de nos villes et comme lignes d’existence en tant qu’habitants de ces villes.Avant le confinement, nous avions prévu d’aller beaucoup marcher pour échanger sur tout cela, sauf que cette ligne- là, celle de la marche, s’est interrompue.+Lire plus+

Julie terminait sur ce texte de Morizot, un mythe sur la trame du vivant dans lequel chaque fil portait des bouts de codes des autres fils. On voulait alors apprendre à pratiquer cette viralité entre-tissée, et comme le reste du vivant, apprendre à réajuster nos cartes des menaces.

Peut-être ainsi, seulement ainsi, contaminés par le plus de trajectoires possibles, viralisés et tissés par nos marches, nous pourrons aller vers une forme des parlements. 

Des jeux, des protocoles, des expériences à tester pour apprendre à respirer sous l’eau.

Récit-Tuto : La balade virale

À lire comme une histoire de confinement ou comme une expérience inspirante, à chacun.e d’apprécier.

Petite histoire.Le premier jour du confinement nous avons décidé d’aller marcher à côté de chez nous avec notre groupe de confinement (moi, ma voisine et nos deux enfants) dans lequel possiblement à ce moment-là pouvait encore s’intégrer Agnès et Fahtia, elles-mêmes voisines « confinantes ».Les deux groupes ne sont pas arrivés en même temps au point de rdv. Nous avons décidé de nous donner des indices (photos, légères transformations du chemin) pour se retrouver malgré tout.Ce jeu « contraint » nous a donné l’envie d’expérimenter par la suite une marche « ensemble et séparés », ce qui nous semblait possible et à propos dans le confinement naissant.Puis la réalité s’est installée, les attestations, l’éloignement, les débats avec les autres et nos intérieurs sur ce qu’il convenait de faire ou de ne pas faire, la peur aussi. Chacun est reparti de son côté, dans son cocon ou sa prison, souvent un peu des deux à la fois.

 Nous avons continué à échanger à distance, à lire, à chercher le juste chemin d’une pensée à la fois ouverte et respectueuse de cette période d’”ajustements”.Nous n’avons plus parlé de notre envie de trouver les moyens de marcher reliés. 3 semaines sont passées. Le jeudi 9 avril, nous nous sommes retrouvés pour la première fois « en vrai » à quelques un.es pour assembler les colis du réseau d’entraide tout juste structuré à la Cité des arts de la rue, pour soutenir comme on peut ceux qui vivent dans les cités du nord.Ce fut joyeux et ça faisait du bien, quand même, de sortir de l’ordinateur et des voix hachées du téléphone. Nous avions prévu de nous retrouver à un peu plus pour le vendredi, jour de distribution. Mais l’équipage alimentaire s’avéra au complet, pas besoin de nous. De nouveau une faille, un trou dans l’agenda et dans la carte. Le rdv était pris au nord, nous décidons de le maintenir, l’histoire le permet.Entre temps s’est invitée, en plus de l’imaginaire de se rassembler d’une manière ou d’une autre, l’idée que la situation actuelle invite aussi à explorer le champ de la vitalité, de la viralité.Marcher comme un virus, combiner un peu de son code à un autre code, s’agencer, avancer en fabriquant avec l’autre, se relier encore mais autrement, en se contaminant entre humains et non humains.L’idée aussi peut-être du loup tant décrit dans nos lectures de Baptiste Morizot, la trace (alors que tous les jours se rend plus présente cette autre réalité du traçage numérique, comme pour le virus, les mots déplient leur polysémie). Alors nous nous sommes dit qu’il était temps d’expérimenter cette triple consigne:- marcher distancié,- marcher ensemble,- marcher comme un virus, et parfois se poser la question du loup, ou du pisteur. Règles du jeu :Nous sommes 6 grands enfants, prêts au jeu de piste et à la chasse au trésor…Lire le Tuto-récit

Appel à contribution de rêves

Depuis le début de nos lettres, l’intuition que nous pouvons apprendre du partage de nos rêves et de nos cauchemars nous habite.Nous aimerions vous proposer d’écrire (ou d’enregistrer avec votre téléphone) vos rêves et nous les envoyer sur l’adresse CDI@gr2013.frIls nourriront notre réflexion et si vous en êtes d’accord pourront être publiés sur le site collecteur de rêves Slumber report ou enregistrés dans le cadre des “Lectures faites maison” concoctées avec Radio Grenouille.

Juliette a commencé…

Antoine m’a invité à rejoindre son isolat de confinement, chez Natacha. J’arrive en début de matinée, avec mon sac sur le dos que je dépose dans la cuisine. Je rencontre Natacha, à la sortie de son réveil, de ses rêves. Elle devait chercher un endroit où se cacher, mais tous les endroits à sa portée étaient trop exigus que pour la contenir tout entière. Tant bien que mal, elle a cherché à se cacher dans le bac du congélateur au-dessus de son frigo.Tous les matins, nous nous croisons et prenons des nouvelles au réveil de ce qu’il s’est passé durant nos nuits. Quelques jours passent, et Antoine, la tête qui dépasse au dehors de son cabanon, me raconte avoir passé la nuit avec des injonctions schizophréniques. Nous ne pouvions toujours pas sortir de chez nous, mais nous ne pouvions plus rester à l’intérieur. Il traverse la nuit avec cette incessante question, où donc aller maintenant ? Alors que nous ne pouvons ni être dehors, ni être dedans ? A cela, il décide de se cacher dans la housse de son ordinateur, endroit lui aussi trop exigu. Je pense moi aussi à ces nombreuses nuits où je rêve que je n’ai plus de place, où marcher, où m’asseoir, où vivre. Nous rassemblons nos rêves, ceux de places à prendre, à trouver, à chercher, à être. Cela devient d’autant plus important à l’écoute des femmes de Greenham Common (voir Lettre #3) qui nous racontent leurs rêves et nous rappellent ce qu’ils peuvent dessiner comme communs politiques potentiels.  

Pour trouver dans la littérature et la poésie des pistes et du soin.

Être une bande et peu importe l’espèce !

Ça parle beaucoup de traçage numérique ces derniers jours, et on se dit qu’il est important de redonner sens aux traces qui nous réveillent plutôt qu’à celles qui nous endorment. Pour poursuivre le tissage de cette lettre, on a envie de tirer encore un peu le fil de Baptiste Morizot avec un texte qui raconte ses pistages du loup, cette fois sous l’angle de la bande…

Manières d’être vivant, Episode 6, par Baptiste Morizot

Le blizzard a commencé à nous pousser, il amenait un brouillard très dense, les traces des loups nous embarquaient dans la forêt loin de notre chemin de retour.Nous avons dû les abandonner, en disant au revoir, pour peiner à skis vers le col où nous étions garés.Après quelques kilomètres, la neige a commencé à tomber, et nous sommes arrivés à la combe de la veille.A la perpendiculaire de notre tracé, nous sommes tombés sur la piste de La meute, qui avait quelques heures tout au plus : ils étaient passés le matin même, comme au trot de parade, clan souverain, d’abord sur une seule ligne, puis explosion en delta d’individus en croisant le sentier humain. À nouveau, cet effet senti d’une dynastie féodale, pourquoi ? Les traces ont une tonalité d’existence caractéristique ici : un message expansif, démonstratif, presque m’as-tu-vu, très détendu, roulant des mécaniques, ne se cachant pas un instant. Pas du tout les traces fébriles du chamois, ou vigilantes et en lisière du chevreuil, non : en plein soleil, en plein milieu, nonchalantes, curieuses, exploratrices, vectorisées par un groupe qui rassure et donne de l’assurance. Il y a quelque chose d’éthologique, au-delà de l’humain, dans l’effet de bande : quelque chose qu’on a tous ressenti, parfois du dedans, dans un bar entre amis, et souvent du dehors, quand on est dans la rue, un effet “quand on arrive en ville”. L’effet de bande est une ascendance animale partagée par plusieurs espèces, celles qui se sont aventurées dans cette forme de vie sociale originale. C’est une convergence existentielle. Du dedans : en bande on est plus fort, plus assuré, moins inhibé.Moins personnel, plus acéphale et en même temps plus fort en gueule ; du dehors : une bande fait un peu peur, elle a une membrane qui l’entoure, elle est son propre territoire. +Lire plus+

Retour d’expériences, récits de nos tentatives et de nos explorations personnelles, écrits, dessins, témoignages, tout ce qui peut participer à vivre le présent et préparer l’après.

Histoires d’arbres par Sarah Kreder

En s’imaginant arbre, Sarah traverse la nuit, dessine et fait parler les images dans le noir.

Et si on regardait autrement ? Et si, à chaque fois qu’un arbre se retrouvait seul, entouré de béton ou toute autre matière inerte, c’était un confinement ? Et si, les arbres étaient confinés ? Et si, comme nous aujourd’hui, privé de liberté, c’est ce qu’il se passe pour chaque arbre mal planté?Sans pouvoir bouger,Dans un espace restreint, où l’on ne peut plus s’étendre, ni créer de lien.Où la connaissance n’est plus transmissible, l’entraide et les besoins vitaux sont inaccessibles,la chute est irréversible.Où la peur règne, indescriptible, les maladies et tempêtes gagnent, impassibles,et la survie semble impossible.Et s’ils avaient le choix, seraient-ils si corruptibles ?Rien ni personne n’est invincible,Alors, sommes-nous si incorrigibles ?Lors d’une nuit d’insomnie je me suis amusée à écrire dans le noir, alors déjà ça m’a vraiment détendue, et puis j’ai écrit ce texte, pour m’apercevoir que beaucoup de mots n’étaient pas écrits comme je le croyais, que l’espace que je pensais prendre était tout petit, etc.Alors dans des moments d’angoisse, je fais ça pour prendre de la distance avec la fausse réalité que j’aperçois.Penser. Et si on essayait de penser le monde de demain en changeant notre perception, en essayant de voir autrement, peut-être même sans nos yeux ?C’est à cause/ou grâce à tout ce que nous voyons, à nos habitudes déjà ancrées, que l’on a du mal à imaginer autre chose.Peut-être que, si on s’amusait à essayer des petites choses jamais faites jusqu’alors, on pourrait envisager autre chose. Et peut être que ça peut commencer par observer et prendre conscience de ce que l’on croit déjà. Avec des choses très simples, que tout le monde peut faire, seul, n’importe où.Essayer d’écrire, de dessiner, de parler ou marcher, d’explorer notre quotidien en supprimant un de nos sens. La vue par exemple.Qu’est-ce qu’on aperçoit ? Qu’est-ce ce que l’on croyait savoir ? Ce qu’on croit savoir est-il bien réel ?Réexplorer notre quotidien. Faire l’expérience d’un espace que l’on côtoie tous les jours, en étant l’observateur de nous-mêmes. 

Souvenons-nous du prix de la liberté par Marion Bottaro et M.

Marion écrit à deux voix, la sienne à laquelle elle propose d’associer celle de son amie M. et qui fait récit de 4 jours de marche clandestine quelque part dans la Drôme.

C’est étrange j’ai vraiment la sensation que mon monde s’est rétréci. Je ne sais pas pour vous, mais tout mon environnement est ridiculement petit. A tel point que partir au-delà du kilomètre autorisé me paraît une mission incroyable. Je comprends ça comme un signe d’habituation à la situation. Mais non c’est terrible !Faire preuve de résilience résonne comme une acceptation, une défaite, une soumission atroce.Je me plais alors à imaginer un futur proche sorti d’une histoire de science fiction (car c’est bien ce qu’on est en train de vivre .. un roman de SF) où le monde n’aurait jamais retrouvé un train de vie « normal ». Les rassemblements seraient restés illégaux, tout divertissement extérieur aussi, le tout accompagné bien sûr d’un système de surveillance et de contrôle hyper poussé. Alors je me rassure en imaginant la manière dont je m’y prendrais pour initier la résistance et participer à l’organisation de guinguettes, de fêtes, de concerts et plus largement de tout un monde parallèle, clandestin.Jamais on ne pourra totalement nous retirer notre liberté d’agir. On aura toujours le choix de refuser et de faire autrement.. Même si c’est illégal.Oui, ça me fait du bien, .. ça me permet de me projeter, bizarrement…Ceci fait écho au récit en images d’une amie qui habite en Drôme. Elle nous raconte 4 jours de marche – clandestine justement – la semaine dernière..

« Passant, souviens toi du prix de la liberté »

Depuis un an, je rêve d’élucider ce qui se cache au-delà des collines derrière chez moi.J’ai beau l’avoir vu sur les cartes, et aperçu depuis les trajets en voiture, le paysage me restait en partie étranger, il m’en fallait faire l’expérience avec mon corps. Partir à pieds de la maison en sac à dos, avant c’était juste un gros potentiel satisfaction : mais maintenant qu’on a besoin d’attestation pour sortir de chez soi, c’est une solution d’évasion. Dans cette randonnée étrange, mes choix de marcheuse ne sont pas guidés seulement par la couleur des balises et par les promesses d’une belle vue ou d’un coin sauvage sur les lignes d’une carte, mais du début à la fin c’est ma condition de marcheuse clandestine qui conditionne mes pas. +Lire plus+

Avant-derniers instants par Laurent Petit, psychanalyste urbain

Laurent Petit joue depuis pas mal d’années à psychanalyser nos territoires et nos sociétés. Notre rapport fuyant à la mort et la possibilité d’un suicide collectif en mode Gaïa apparaît depuis longtemps dans ses conférences délirantes (qui sortent des sillons). Nous avons engagé la conversation… 

Cher CDI,Pas facile de réagir sur de l’actualité brûlante en tant que psychanalyste urbain, c’est souvent fort maladroit car on ne possède jamais le recul nécessaire lorsque le traumatisme est en train de se faire…Je vais quand même tenter d’analyser la situation en me mettant à la place des chauve-souris, j’ai quelques éléments de réflexion sous la main que je vais essayer de mettre bout à bout mais ça risque de me prendre quelque jours voire quelques années.Un des premiers signifiants que j’ai pu détecter est l’anagramme de chauve-souris qui nous fait souche à virus !En attendant, j’aurais envie de vous proposer un petit exercice philosophique d’intensité 4 sur l’échelle de Socrate.En modélisant à l’extrême, le coronavirus se retrouve face à une société occidentale qui refuse obstinément de mourir sachant que cette société est elle-même composée de gens qui refusent obstinément de mourir.Face à ça, le coronavirus n’a aucune chance de réussir dans son envie inconsciente (ou pas) de sauver la planète (et la plupart des espèces en train de disparaître) en essayant de réduire sensiblement notre population.En fait, nous n’avons pas été suffisamment préparés… Pour que la prochaine épidémie de coronavirus ait de meilleures chances de réussir, il faut tout simplement apprendre à accepter la mort voire, mieux encore, d’apprendre à mourir dans la bonne humeur.Tout l’enjeu de la philosophie consistant à accepter de mourir sans en faire une maladie, j’invite donc toute la communauté humaine à se réconcilier avec la mort par des petits exercices de sensibilisation dont voici un premier exemple sous la forme d’un petit bijou radiophonique. Le voici, il s’appelle Derniers instants.Essayez d’écouter cette émission dans la position allongée, c’est encore mieux pour méditer sur ce qu’on peut aussi considérer comme un grand moment de libération…Bon voyage ! …L’or en petit

Des initiatives à découvrir, des appels à participation, des réseaux d’entraide.

Signer*Non au plan de sauvetage des entreprises polluantes.*Pétition en soutien aux habitants délogés de le rue d’Aubagne.

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Soutenir et s’entraider*Soutien aux enseignant.e.s

Plate-forme d’entraide AOUF :Née des besoins d’entraide suite aux effondrements de la rue d’Aubagne, le collectif d’entraide AOUF met en place une plateforme numérique pour aider et être aidés.On vous signale notamment l’opération Massalia Couche System, une action solidaire de récupération de produits d’hygiène pour les femmes et les enfants (couches, tampons, serviettes, savons…), en partenariat avec Emmaüs Pointe Rouge et le collectif AOUF. *Regroupements du Nord :Ça se regroupe au Nord de Marseille, autour de la Cité des Arts de la Rue pour le 15ème, autour du McDo de St Barthélemy réquisitionné pour l’occasion, et de plusieurs collectifs d’associations sociales et de structures culturelles dans le 14ème.L’aide concerne principalement l’alimentaire (paniers frais fournis par la Métropole, coupons, colis de denrées sèches via la banque alimentaire et des dons…) mais de belles initiatives autour de la pédagogie, du bricolage et plus globalement du “Faire”, voient également le jour.Un exemple : le fanzine créé par les habitants-artistes de la Cité des Arts de la Rue.*Cartographie des infos liées à l’urgence sociale en temps de confinement*Dépister la Marseille Solidaire : une émission pour discuter du confinement, des solidarités et de l’avenir pendant et après la crise sanitaire.

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Danser

Accros ? Si les compiles Zammix apparaissent désormais indispensables à votre survie joviale, veuillez nous contacter et nous vous mettrons en contact avec le fournisseur musical afin que vous puissiez recevoir les prochaines directement dans vos courriels.

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Le CDI c’est quoi ?

Né des pratiques d’exploration du Bureau des guides du GR2013 et des habitants marcheurs de la coopérative Hôtel du Nord, le CDI est un lieu d’échange et de réflexions collectives, de textes, podcasts, musiques, films qui résonnent particulièrement avec la situation, ou qui permettent de prendre une tangente.

Il prendra pour l’instant la forme d’une newsletter contributive pour partager des initiatives, des pensées, des textes mais aussi des jeux et des protocoles pour mettre à l’épreuve notre manière d’habiter le monde et en ramener des récits, des dessins, des photos, n’importe quoi. Le CDI est une tentative de poursuivre les aventures commencées tout en réinventant le voisinage dans un monde confiné.

 

Le CDI c’est qui ?

Des habitants, des artistes, des citoyens qui aiment marcher et explorer pour mieux habiter et se relier, et toutes celles et ceux qui le veulent ou le voudront.

 

Retrouvez les autres lettres dans nos récits.

Lettre #3 – 4 avril 2020

Glisser n’est rien, tout est dans l’arrivée

Après l’annonce du confinement, déstabilisée, je ne savais pas s’il fallait apprendre l’art de la chute, pratiquer la glissade et découvrir comment remonter les pentes ou profiter des joies du hors-piste.Je me suis naturellement tournée vers les archives de la Cinémathèque de montagne (sagesse inépuisable) et ce petit film “La meilleure façon de marcher”, qui dit en substance… « Glisser n’est rien, tout est dans l’arrivée. » – Dalila

Partage des réflexions et de pensées pour préparer demain dès aujourd’hui maintenant qu’on ne peut plus espérer qu’il soit comme hier…

Programme de déconnexion

Préparer l’An 020. “Et si on ne reprenait rien ?” Ou en tous cas rien comme avant ? Pour ça on a besoin d’outils, pour devenir moins sensibles aux “captures” (ce qui capture nos puissances d’agir, d’imaginer, d’exister et de lutter)qui rendaient vaguement tolérable ce monde qui a déroulé un tapis rouge au virus. Trouvons les outils pour ne plus se faire ensorceler par des mythes qui nous laisseront accepter de reprendre comme avant, en se serrant encore un peu plus la ceinture (pour celles et ceux qui le pourront).

Se libérer des techniques d’anesthésies qui rendent plus probable la fin du monde que la fin du capitalisme. Quelles techniques pouvons-nous apprendre? On a repensé en souriant à la Belle Verte, de Coline Serreau, film qui avait été démonté par les critiques à sa sortie en salle, et qui a pourtant réussi à se frayer une place dans de nombreux imaginaires. C’est ce fameux programme cérébral de déconnexion qu’il nous faudrait. Ce programme qui s’enclenche d’un coup de tête et qui “déconnecte” la personne visée. Elle se met alors à “parler vrai”, malgré toutes les raisons qui nous poussent trop souvent à ne pas parler vrai, et surtout à soi-même. Se rendre à ce point insensible aux rapports de forces systémiques et intériorisés, se désintoxiquer, pour oser un autre rapport au monde qui nous paraît aujourd’hui finalement pas si “candide”.

Et puis deux scènes de La Belle verte, censurées lors de sa sortie…

Isabelle Stengers (on a nos chouchous) nous offre un mot, qu’elle reprend à Deleuze et Guattari pour penser cette secousse de déconnexion : l’involution.

Pas une évolution de nos savoirs et de nos pratiques vers plus de sophistication mais une espèce de déshabituation, de désintoxication. Il s’agit de défaire les réflexes, les méthodes, les intelligibilités qui nous bloquent dans des indifférences hostiles, pour que quelque chose de nouveau puisse émerger.

Pas une révolution où l’on reprendrait tout à zéro, comme si on pouvait raser le passé, mais une involution.

L’exemple que donne Stengers pour pouvoir se figurer le concept d’involution n’a rien de romantique. Involuer, c’est comme se défaire d’un garrot, ça fait très mal de faire ré-affluer du sang là où il ne passait plus que de manière limitée, et cela peut être très dangereux : tout relâchement intempestif de garrot libère les toxines accumulées dans les membres et doit être fait plus que précautionneusement.Continuons à penser avec Isabelle Stengers, avec cet entretien vidéo en prolongement de son livre La Sorcellerie capitaliste (avec Philippe Pignarre, ed La découverte).

Apprendre à se laisser hanter

Apprendre à vivre ses peurs, ses colères, les endorciser, involuer assez pour se rendre à nouveau sensible à ces peurs qu’on fait trop souvent taire. C’est apprendre à se laisser hanter, faire de l’extrospection une arme : se sensibiliser en commun, pour se rendre capable de dire “c’est intolérable”. Alors qu’on discutait autour de notre besoin d’involution, Chloé a remplacé l’introspection par l’extrospection : profiter non pas du confinement pour se regarder très fort, mais d’en profiter pour tourner le regard vers l’extériorité de nos vies.Mélo aussi proposait un mot : plutôt que d’exorciser ses peurs ou sa colère, elle proposait qu’on les endorcise. Qu’on les ramène à l’intérieur et qu’on apprenne à les vivre vraiment.C’est ce qu’ont appris à faire les femmes de Greenham commons dont nous aimerions partager ici une expérience forte. A l’époque où la potentialité d’une guerre nucléaire sifflait dans l’air, elles se sont mises à faire des cauchemars : hantées par l’énormité qui se cache derrière les mots “guerres nucléaires” dont on parlait à la radio sans trémolos, rationnellement. Les cauchemars qu’elles faisaient, dont on leur disait qu’ils n’étaient que des peurs de bonnes femmes, elles ont décidé de les rassembler. De ne pas jouer le jeu qui dit que celle ou celui qui n’a pas peur est le plus fort, mais au contraire qu’être à la hauteur du danger, demandait vraiment d’avoir peur.En rassemblant leurs peurs, en faisant à partir du personnel, une démarche politique, elles ont permis la mise en place d’une occupation, non-mixte, d’une base militaire en Angleterre où devaient être stockées des têtes de missiles nucléaires. L’occupation a duré 20 ans…Nous nous sommes dit que ces cauchemars ont été peut-être pour elles un programme de déconnexion dont ont peut s’inspirer.Voici leurs cauchemars, à lire ou à écouter avec Radio Grenouille.Et Julie se rappela alors de ce programme de re-connexion aux rêves partagés entre habitants, chercheurs et artistes, il y a quelques années dans les quartiers nord de Marseille. C’est grâce aux rêves, dit-elle qu’ils et elles se sont rendus capables de marcher la nuit.

Découvrir l’Oniroscope et les balades des rêves.

Élisa Martinez

Rassembler nos morts

« N’être mort pour personne. C’est justement le risque des morts : le néant. » »Les récits de morts sont vocatifs : ils appellent ceux qui leur survivent à créer certains modes de réponses. »V. Despret, Au bonheur des morts, citations collectées par Marielle. On l’a tous vu à un moment ou un autre sur internet, ou alors entendu dans une file de supermarché. Cette idée que si on comptait les morts des accidents de la route tous les jours comme on compte les morts du Coronavirus, on arrêterait probablement la voiture.Et c’est justement cette question de sensibilité, le programme de déconnexion, l’involution : si nous pesions réellement les pours et les contres des infrastructures routières, ou de tant d’autres réalités qui marquent notre monde contemporain, qu’est-ce qu’on garderait ?Et si au lieu d’être chaque jour un peu plus anesthésié, noyé dans des trop plein d’informations, on faisait un vrai débrief, on se rendait sensible à l’idée que chaque mort importe ?Que se passerait-il ? Qu’est-ce qu’on garderait ?Pour reprendre l’hymne tragique suite aux grands feux en Australie et dans la forêt Amazonienne, pourrait-on dormir si l’on n’était pas anesthésié par les flammes de nos lits qui brûlent ? 

Interlude australien avec Midnight Oil 

Comment avons-nous pu devenir si négligents envers nos morts ?On veut, avec le personnel soignant, compter les morts. On sait très bien pourquoi on a commencé à compter ceux du coronavirus. Ces morts sont pris en compte parce qu’ils sont potentiellement riches (Alain Damasio Lettre #2).

Mais pourquoi ne pas y ajouter les morts des accidents de la route ? Pourquoi ne pas ajouter celles des pollutions industrielles ? Pourquoi ne pas ajouter celles de la colonisation ? Pourquoi ne pas ajouter toutes les morts sur lesquelles est construit ce monde ? Ce monde qui a servi de tapis rouge pour que ce virus se répande aussi vite (discussion avec Clémentine Lettre #2) a produit plein d’autres morts.Ce sont eux que les morts du coronavirus tiennent par la main. Celles et ceux qui meurent aussi du confinement et de leur précarisation encore plus grande sous ce régime répressif.Frédéric Lordon (article Lettre#2) évoquait l’idée que les morts du capitalisme était trop disséminées, et la chaîne de responsabilité rendue trop complexe pour que l’on puisse pointer du doigt un coupable. Aujourd’hui, il invite à l’opération résiliation, à ne plus avoir peur d’appeler l’état “criminel”.Rassembler ces morts pour en faire une masse politique, les laisser hanter nos cauchemars pourrait faire partie de ce programme de déconnexion à mettre en place aujourd’hui.La première étape de l’An 020. C’est peut-être moins marrant que l’An 01, mais réapprendre à prendre soin de nos morts semble aujourd’hui criant, et l’on sait au vu des bouleversements climatiques en cours qu’il va vraiment falloir poser cette question. 

 Opération Résiliation, par Frédéric Lordon
On lit de plus en plus : « criminel ». Et c’est certainement une bonne chose en toute généralité qu’on ne s’interdise plus de qualifier ainsi des politiques publiques. Dont, pour certaines, nous savons qu’elles tuent, dont il a été déjà maintes fois dit qu’elles tuent, et dont la poursuite avec acharnement, en connaissance d’effet, peut difficilement, dans ces conditions, être qualifiée autrement que de « criminelle ».
Pendant longtemps cependant, ce sont des pays lointains, ceux de « l’ajustement structurel », qui ont été des « lieux du crime ». Puis le fléau s’est rapproché de nous. Des études épidémiologiques ont commencé à chiffrer la surmortalité du chômage et de la précarité — et les politiques économiques de chômage et de précarité ont continué : criminelles. On a laissé des sites Seveso la bride lâchée, des Lubrizol faire n’importe quoi, les pompiers intervenir dans les pires conditions, les autorités variées nier les contaminations chimiques de l’eau et de l’air, escompter que les pathologies, puis les décès, ne se déclareront que dans longtemps, et que d’ici là, on aura oublié le fait générateur : criminel. Nous pouvons anticiper avec un degré raisonnable de confiance l’accident nucléaire, par report des déclassements, étirements irresponsables des chaînes de sous-traitance, insuffisance des contrôles, disqualification de tous ceux (1) qui auront averti : criminel.

Les Grand tribunaux à venir

“Prendre soin des morts, c’est prendre soin des vivants”. Prendre soin de nos morts, est ici ne plus rendre possible que l’on meure encore comme eux. C’est porter leurs voix plus loin. Qu’elles puissent résonner et raisonner nos vivants. On rêve alors de grands procès où pourraient venir parler tous ces morts.Et avec ces morts, ce sont aussi les territoires abîmés, les espèces animales, végétales, mycétiques, dont les habitats ont été détruits, les écosystèmes qui sont en train d’être bousillés que l’on ferait venir témoigner.Et c’est avec toustes que nous voudrions apprendre à s’allier pour le grand débrief que nous pensons pour l’An 020. On voit déjà poindre les plaintes contre le gouvernement pour sa gestion catastrophique de la crise sanitaire, ajoutons-en d’autres…

Des jeux, des protocoles, des expériences à tester pour apprendre à respirer sous l’eau.

Image : Richard Long

Tuto n°1 : R = 1 [km]

Une expérience de marche contributive proposée par David

Pour l’instant j’ai tracé le périmètre d’un rayon de 1 [km] dont le centre est placé sur mon lieu de confinement.Je fais un tour par jour en veillant bien à ne pas dépasser les limites.Un tour équivaut environ à 2R + 2πR = 2 × 1[km] + 2 × 3,14 × 1[km] = 8,28 [km]En marchant d’un bon pas je suis chaque fois en retard…Lire le tuto en entier…

Tuto n°2 : Si tout peut-être arrêté, tout peut-être remis en cause

Un inventaire à faire par chacun.e proposé par Bruno Paul-Louis Latour publié dans AOC.

« Comme il est toujours bon de lier un argument à des exercices pratiques, proposons aux lecteurs d’essayer de répondre à ce petit inventaire. Il sera d’autant plus utile qu’il portera sur une expérience personnelle directement vécue. Il ne s’agit pas seulement d’exprimer une opinion qui vous viendrait à l’esprit, mais de décrire une situation et peut-être de la prolonger par une petite enquête. C’est seulement par la suite, si vous vous donnez les moyens de combiner les réponses pour composer le paysage créé par la superposition des descriptions, que vous déboucherez sur une expression politique incarnée et concrète — mais pas avant.L’inventaire à faire par chacun.e

Attention : ceci n’est pas un questionnaire, il ne s’agit pas d’un sondage. C’est une aide à l’auto-description.     

Pour trouver dans la littérature et la poésie des pistes et du soin.

Le rêve de Sapiens

Depuis le début de ce confinement nous écoutons chacun pour soi l’intimité d’une voix, celle de Wadji Mouawad. Peu à peu il est non seulement devenu avec son journal de confinement un compagnon quotidien de nos dedans (dedans la maison, dedans nos émotions, dedans notre pensée) mais aussi par petites touches un compagnon du dehors, s’invitant de plus en plus dans nos conversations, incarnant une parole humaine quand nous ne manipulons parfois plus que des réflexions numérisées, coupés que nous sommes de nos sols et de nos corps.Au jour 7 du confinement, Wajdi Mouawad a fait un rêve et réalisait que 1 milliard d’êtres humains traversaient alors la même nuit du confinement. Il nous conduit doucement à imaginer l’Humanité ensemble faisant le même rêve… 

Retrouver l’intégralité du Journal de confinement

Retour d’expériences, récits de nos tentatives et de nos explorations personnelles, écrits, dessins, témoignages, tout ce qui peut participer à vivre le présent et préparer l’après.

À la vie à la mort ! par Nathalie Jordan

Dans ce grand TP (travaux pratiques) métaphorique du confinement Nathalie nous raconte son chemin intime vers l’involution… Ce n’est pas toujours simple mais ça se vit, ça nous vit !

“En reconversion professionnelle, cela fait un an que j’explore différentes pistes, et j’avais enfin un plan précis : je devais commencer un stage d’un mois chez un horticulteur le lundi 16 mars.

Jusqu’au bout j’ai voulu y croire, je disais « tout le monde va faire une pause boulot quand moi je vais enfin aller bosser, retrouver un rythme, un cadre, apprendre des gestes professionnels », je comptais les jours…

Et puis le dimanche soir, le patron m’a appelée pour m’informer que vue la situation sanitaire mon stage serait repoussé, j’ai encore essayé de m’accrocher à l’idée que s’ils ne fermaient pas complètement je pourrai aller les aider, c’est dire si je n’arrivais pas à lâcher mon projet d’avant ; il faut dire qu’il y avait d’autres projets accrochés au premier, pour la première fois depuis un an j’avais de vraies perspectives, une planification.

Mardi 17 j’attendais encore une réponse de l’horticulteur, quand j’ai eu une discussion avec Julie et Agnès qui m’a permis de commencer à envisager que les choses pourraient peut-être se dérouler autrement, mais je résistais encore.”

Lire la suite…

Enfances confinées #1 Gaël par Christophe Modica

Gaël a 9 ans. Il est confiné, comme nous tous. Son monde est bouleversé, ses journées transformées, sa liberté entravée. Ce n’est ni triste ni joyeux, c’est un peu des deux.

Écouter Gael

Anne De Malleray

Confinée et aux aguets, L’ornithologie depuis ma fenêtre par Anne De Malleray

Sur France Inter, la philosophe Vinciane Despret racontait récemment que des gens lui écrivaient beaucoup ces derniers temps à propos de son dernier livre, Habiter en oiseau, parce qu’ils découvraient le chant des oiseaux dans les villes redevenues silencieuses. Et quelqu’un notamment, lui disait « qu’il.elle se sentait moins seul.e ». Alors que l’on est coupé de beaucoup de nos relations sociales avec les autres humains, d’autres relations semblent devenir possibles avec des non-humains.  Pour certain.e.s d’entre nous, l’un des effets du confinement est d’accorder de l’attention aux oiseaux que l’on voit par la fenêtre. Pas seulement sur le mode, « ah tiens, un oiseau ». On les regarde autrement parce que leur présence nous importe. 

Au début du confinement, on avait discuté avec Antoine de cette initiative de la LPO, « confinés mais aux aguets », en se disant que c’était une chouette manière de prêter attention aux autres vivants depuis sa fenêtre. L’idée est d’inscrire l’environnement autour de chez soi (jardin, balcon, morceau de parc public à portée de vue) sur une carte et de recenser, par tranches de cinq minutes par jour, tous les oiseaux posés que l’on parvient à reconnaître. Ces derniers jours, j’ai commencé à me familiariser avec les oiseaux du jardin, en Bretagne, qui en ce moment s’affairent, chantent, et ramassent des plumes pour construire des nids hors d’atteinte. Ça donne…

La suite

Des initiatives à découvrir, des appels à participation, des réseaux d’entraide.

Participer à une étude scientifique sur l’adaptation

Afin d’alerter et d’aider aux prises de décisions éclairées dans la gestion des risques sociaux du confinement (psychologique, psychiatrique, cognitif), et aussi de comprendre les mécanismes d’adaptation qui vont être mis en œuvre, à titre individuel, et collectif. 

Participer à l’étude.
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Écouter

Avec le confinement, de nombreux sons naturels redeviennent audibles, notamment dans les milieux urbains. Jérôme Sueur, éco-acousticien, nous raconte ici comment à partir de cette écoute sensible produire des données écologiques précieuses. 

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Écrire

Par ici, une initiative belge où l’on peut s’écrire et se lire nos expériences de confinement. 

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Danser toujours

Zammix feat. Coronax – Confinement Party 12

Zammix & Coco Ronha – Confinement Party vol 13

Zammix feat. Lil Corona – Confinement Party vol 14

Zammix & Coronamigxs – Confinement Party vol 15

Zammix, Tom Tom & Corona – Confinement Party vol 16

Zammix feat. Al-Khorona – Confinement Party vol 17

Zammix & Dorotha – Confinement Party vol 18

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Le CDI c’est quoi ?

Né des pratiques d’exploration du Bureau des guides du GR2013 et des habitants marcheurs de la coopérative Hôtel du Nord, le CDI est un lieu d’échange et de réflexions collectives, de textes, podcasts, musiques, films qui résonnent particulièrement avec la situation, ou qui permettent de prendre une tangente.

Il prendra pour l’instant la forme d’une newsletter contributive pour partager des initiatives, des pensées, des textes mais aussi des jeux et des protocoles pour mettre à l’épreuve notre manière d’habiter le monde et en ramener des récits, des dessins, des photos, n’importe quoi. Le CDI est une tentative de poursuivre les aventures commencées tout en réinventant le voisinage dans un monde confiné.

 

Le CDI c’est qui ?

Des habitants, des artistes, des citoyens qui aiment marcher et explorer pour mieux habiter et se relier, et toutes celles et ceux qui le veulent ou le voudront.

 

Retrouvez les autres lettres dans nos récits.

Lettre #2 – 28 mars 2020

Préparer l’an 020

À vrai dire, on pourrait retenir le ”con” de confinement. “Con”, “cum” c’est avec… Confins : du latin confinium – limites entre deux champs, par métonymie “voisinage” et au figuré “état intermédiaire, passage intermédiaire entre deux situations ».

Partage des réflexions et de pensées pour préparer demain dès aujourd’hui maintenant qu’on ne peut plus espérer qu’il soit comme hier…

La bonne histoire ?
Conversation entre Clémentine et le CDI

Tout est parti d’une discussion avec Clémentine à propos de l’entretien avec Serge Morand que nous avions publié dans la lettre #1 et de ce que le coronavirus nous dit de la biodiversité. Une discussion sur la capacité du vivant à s’autogérer.
On a vu les fake news pseudo-réjouissantes des éléphants ivres qui s’endorment, et pleins d’autres qui font rêver à la capacité régénératrice de la nature tout en l’infantilisant.
On a repensé à Lynn Margulis qui disait que Gaïa était une “tough bitch” (une belle salope) —> le retour de Gaïa ne sera pas romantique.La tourmente approchait, nous le savions. Mais comme la plupart d’entre nous je crois, je n’avais pas anticipé qu’en quelques jours je basculerai dans la certitude de vivre un moment historique.Le temps s’est comme subitement condensé au seuil de l’avenir de l’humanité.Alors il y a eu ces sentiments qui se sont mis à tourner comme une ronde de chats ébouriffés courant après leur queue : urgence – ralentir – espoir – colère. Ils tournaient vite sans que je puisse discerner lequel je voulais attraper. Ils tournaient, ils tournaient et…Lire la correspondance

Extrait de Résister au désastre, d’Isabelle Stengers

Empowerment et Reclaim sont les maîtres-mots des “sorcières néo païennes” pour mettre en place des processus de guérison, qui rendent capables d’imaginer et agir ensemble. Le féminisme de la deuxième vague a été, dès le départ, un mouvement écologique, au sens où les réunions de prise de conscience qui l’ont nourri dans les années 1970 modifiaient le rapport des participantes à elle-mêmes et à leur milieu. Ce que signifie « le personnel est politique », c’est une mutation : ne pas s’attribuer ce qu’on vit comme souffrance personnelle, comme inadéquation personnelle, comme honte personnelle, sentir comment cela a été suscité, comment nos milieux nous rendent malades. Ce ne sont plus des victimes qui se plaignent mais des êtres qui trouvent des mots pour dire et pour faire passer le caractère politique de ce qui leur est arrivé. Elles sortent d’une situation de dépendance pour trouver des forces dans des situations d’interdépendance. 

Les éditions Wildproject ont mis à disposition en ligne ce livre (ici) ainsi que plusieurs autres publications en écho à la situation.

Retour à l’anormal

En prolongement de l’échange avec Clémentine, le débat autour du professeur Raoult nous a semblé intéressant. Avec Marielle et Sarah, on a eu cette conversation, que beaucoup ont certainement eu aussi : veut-on un super médecin ou une supère transformation radicale de nos manières de faire société ? Mais aussi : est-ce que ce que l’on voudrait compte vraiment ?Si la chloroquine ou les cocktails imaginés par le Pr. Raoult fonctionne, bien entendu, on en serait ravi. Ce qu’on a appris du Coronavirus ne disparaîtra pas et on tentera certainement de s’en faire collectivement les porteur.se.s, mais on se surprend à avoir l’impression que c’est encore trop tôt. Qu’on a besoin de plus de temps. On a l’impression que c’est une histoire qui nous capturera trop dans cet imaginaire de la solution miracle. Et que cela nous rendra négligent encore une fois.
Le personnel soignant le dit lui-même : ils ne veulent pas être des héros, ils veulent juste pouvoir faire leur boulot dans des conditions décentes.
C’est la même réponse hâtive que sont les technofix vis-à-vis des mutations climatiques. Comme disait Marielle, c’est l’idée que tu peux faire des bêtises autant que tu veux, il y aurait toujours un génie quelque-part pour sauver la mise. C’est l’idée que l’enjeu est de sortir du problème au plus vite, et surtout de ne pas apprendre de lui. C’est ne pas s’autoriser à prendre une tangente. Et on ne veut pas s’attacher à des espoirs qui permettraient de faire taire la colère.
Sur l’image il est écrit : « Nous ne reviendrons pas à la normalité car la normalité était le problème »
Marielle : Quand je vois ça / ça me fait frémir ça me donne espoir / c’est grisant / c’est flippant. Ça me confirme qu’il y a des trucs qui tournent pas rond, que je le sens. Que “ok je veux bien que le super médecin ne gagne pas – même si j’aimerais qu’il sauve tout le monde”.

Ouvrir les yeux dans le noir

Il y a quelque chose qui a été éventré. Défiguré. On cherche les mots. On cherche les histoires. Et en voici une qui nous a permis d’accepter une chose : parfois les stocks d’interprétation du monde en réserve ne suffisent pas. Parfois ce dont on essaie de parler nous déborde. Et nous défigure.Gravement blessée par un ours alors qu’elle enquête sur son terrain du Kamtchatka, l’anthropologue Nastassja Martin en a fait l’expérience tout à fait littéralement, et son témoignage fait glisser quelque chose dans notre volonté à trouver des certitudes. 

Extraits de Vivre plus loin – à propos de Croire aux Fauves de Nastassja MartinPar Sophie Bogaert dans AOC

L’an 020, ça se prépare !

C’est alors que commence à se fabuler le besoin de prolonger ce moment de suspension, différemment que sous sa forme autoritaire actuelle, d’une immobilité propice au rebond. On se dit qu’il faut se préparer à bondir. Si le capitalisme est une entreprise d’irresponsabilisation (comme le disait Isabelle Stengers dans la vidéo de la lettre #1), il faut se rendre capable de pointer les responsables des désastres écologiques, sociaux, et psychologiques de notre époque, et se donner l’habileté (ou l’habilitation) à répondre collectivement à ce temps de bascule que dessine l’intrusion du coronavirus.Et peu importe que ce temps de suspension soit certainement dû au fait que le corona touche principalement les classes dominantes, nous avons l’opportunité de nous le réapproprier. Frédéric Lordon, Ces connards qui nous gouvernentCourrier d’Alain Damasio Nous avons choisi entre nous un nom de code, en référence à un vieux film français, fabulation politique d’une société qui décide un jour de tout arrêter pour voir ce qu’il se passe : l’An 01.Sauf qu’ici, ce n’est pas « l’An 01, et si on arrêtait tout », mais « l’An 020, et si on ne reprenait rien ». On voudrait le partager avec vous, ce film et ce nom de code.Parce que s’il y a bien quelque chose dont on est certain c’est que l’An 020, ça se prépare collectivement, avec toute l’attention dont on arrivera à se rendre capable… Se muscler la vivacité, pour se préparer à bondir toustes ensemble.

https://peertube.gegeweb.eu/videos/embed/755d0a1c-2fe8-4839-b802-912c9fd6fe83

Des jeux, des protocoles, des expériences à tester pour apprendre à respirer sous l’eau.

Tuto n°1 : souffler en commun par Natacha

Natacha : « Bonjour, nous vous invitons à partager notre petit rituel de soin : chaque jour vers 18h, on commence il fait jour on termine c’est la nuit. »
Avec Mélo, Anti et Nana, nous pratiquons, activons des respirations, en position allongée, en tailleur, ou autres. Pour apprendre à respirer sous l’eau, il est bon d’apprendre à respirer tout court, et accorder les rythmes de respiration, est une bonne manière d’entamer de la communauté. Nous nous rendons attentifs à notre souffle intérieur, en le sentant et en l’écoutant, aussi en se laissant traverser par le souffle de nos voisin.e.s.
Comment laisser habiter notre souffle, lui faire de la place, une sorte d’hospitalité avec l’invisible ? Parfois, nous relions les souffles qui se matérialisent, aux bruits et aux sons de notre environnement.
Ces propositions peuvent se pratiquer seul.e et à plusieurs.
Voilà une invitation pour expérimenter d’autres souffles, et se préparer à chanter, improviser pour pouvoir mêler nos voix à celles des autres à 20h, et respirer dans une communauté élargie ! Voici un pdf pour pratiquer des respirations seul.e.s ou à plusieurs. Si vous souhaitez d’autres exercices respiratoires, n’hésitez pas à envoyer un mel à Natacha  Muslera à chaosmose@ubaa.net

Tuto n°2 : écouter les « sans voix »

Julie et Christophe : « Tendez l’oreille, concentrez-vous, chaque son de votre quotidien a quelque chose à raconter. Le grognement du frigidaire, le buzz du vieux réveil, le chien au loin, la personne qui téléphone à la fenêtre à l’autre bout de la rue, tous ces sons dessinent votre monde. » 

Il y a tant de choses que nous entendons à chaque instant de nos vies. Mais en ce moment, il y a aussi des sons qui ont disparu, ou qui se sont raréfiés. Par exemple, je n’entends plus grincer le portail de la voisine à 7h30 quand elle part travailler, je n’entends plus les enfants dans la cour de l’école, je n’entends plus ou presque plus la circulation sur la route, le brouhaha lointain de l’autoroute, les avions dans le ciel. La plupart des sons qui créent d’ordinaire un fond sonore incessant se sont tus.Le paradoxe c’est qu’il n’y a pas moins de sons ni moins de bruits, au contraire, il y en a beaucoup plus qui arrivent jusqu’à nos oreilles. Le brouhaha urbain de nos vies contemporaines est pour nos oreilles l’équivalent de ce qu’est le brouillard pour notre perception visuelle quand aucune vision du lointain, aucune profondeur ne sont possibles, que très peu de détails sont visibles. Les flux des automobiles, des autoroutes, des avions, des trains, des camions écrasent nos espaces sonores, renvoient les sons les plus discrets dans l’oubli et nous condamnent à percevoir uniquement ce qui est proche ou très fort. C’est ainsi que la plupart des sons se retrouvent dans la catégorie des « sans voix ».En ce moment nous vivons une période exceptionnelle, pendant laquelle les « sans voix » ont la parole. Profitons-en pour les écouter. L’écoute est un acte, un choix, une intention qui nous permet de percevoir le monde autour de nous, d’en sentir la profondeur, la fragilité et la complexité, pour mieux agir. «Je voudrais avancer l’idée que la perception est en fait non seulement une action simulée, mais aussi et essentiellement une décision. Percevoir ce n’est pas seulement combiner, pondérer, c’est sélectionner. C’est choisir, dans la masse d’informations disponibles, celles qui sont pertinentes par rapport à l’action envisagée.»  Alain Berthoz dans La Fragilité de Miguel Benasayag 

Tuto écouter les sans voix

Pour trouver dans la littérature et la poésie des pistes et du soin.

« Il faut repenser le vivant qui est lui-même en train de se repenser » 

avec Nastassja Martin

En prolongement des questionnements partagés dans le Coeur des Interrogations, un bel entretien avec l’anthropologue Nastassja Martin, autrice de Croire aux Fauves. 

https://www.franceculture.fr/emissions/par-les-temps-qui-courent/nastassja-martin

“Par delà nature et culture”

avec Philippe Descola et Alessandro Pignocchi
Nastassja Martin fait partie de la jeune génération de chercheur.ses formé.es par l’anthropologue Philippe Descola. Il fut l’un des premiers en France à reconsidérer l’idée de nature, dessinant la voie d’une nouvelle relation entre les humains et le monde qu’ils habitent avec tant d’autres. Alessandro Pignocchi, anthropologue et auteur de BD, a publié plusieurs albums pour marcher avec pas mal d’humour dans les pas et les concepts de Philippe Descola. Ici son blog et des extraits sélectionnés.

Retour d’expériences, récits de nos tentatives et de nos explorations personnelles, écrits, dessins, témoignages, tout ce qui peut participer à vivre le présent et préparer l’après.

Tentative d’épuisement d’un balcon

 » Faire commun, faire ensemble?Seule dans l’appart, seule sur le balcon?Je fais ensemble avec qui, avec quoi ?Alors l’infiniment moindre, le pas grand chose, je le dessine, je l’agrandis, je plonge dedans…en apnée, sûrement.J’Imagine pour mieux sortir la tête.Je m’Interroge sur un possible retour.Je m’Irrite aussi.Et vous, c’est comment chez vous ?

F. Manson.

Une autre vérité

« Une vidéo non finie, encore ouverte. Non loin de chez moi à quelques pas pressés, la joie de pouvoir sentir l’eau qui jaillit; coule, goutte, sculpte, nous habite, nous lie. Pas de représentation précise dans ces images, il s’agirait plutôt d’y voir un acte d’ouverture et de co-participation à une continuité du monde. Ce petit film inachevé fait partie d’autres films inachevés aussi, ils ont été réalisés ces derniers jours lors de très courtes escapades rompant la fixité du confinement. »

Grégoire Edouard

Journal d’un quartier confiné

« Il paraît que les journaux de confinement sont à la mode. Bourgeois, déconnectés, romantiques, on les accuse de bien des maux. Le méritent-ils ? Peut-être, sûrement, en vérité je ne suis pas allée le vérifier de moi-même, car les histoires de vie intime ne m’intéressent pas plus que ça. D’ailleurs quel intérêt il y aurait-il à ce que je raconte mes journées ? Hier j’ai fait du sport, cuisiné un couscous et regardé Ivre de femmes et de peintures. Sympathique, mais pas de quoi remplir des lignes. Non. Ce qui m’a donné envie d’écrire ce n’est pas tant la réorganisation (modeste) de mon quotidien mais plutôt celle du quotidien de mon voisinage. Et oui, parce que maintenant que tout le monde est confiné à la maison du levé au couché et inversement, on a le temps de beaucoup mieux s’observer, se découvrir. Peut-être même se connaître. »Chloé MazzaniLire le journal

Des initiatives à découvrir, des appels à participation, des réseaux d’entraide.

Pour s’entraider…La pétition pour une protection solidaire en temps de confinement, par les collectifs, assos et syndicats du Manifeste pour une Marseille vivante et populaire.Des associations et coopératives s’organisent (dont Les oiseaux de passage, plateforme coopérative co-initiée par Hôtel du Nord) pour que les citoyens ou les professionnels de l’hébergement puissent facilement proposer un logement de courte durée aux personnels soignants et acteurs des services sanitaires et sociaux.— — — — —Pour écouterEn prolongement du tuto d’écoute et pour ceux qui aiment enregistrer un site de cartographies sonores –> c’est par ici.— — — — —Pour lireEn accès libre, Contagions, de Paolo Giordano, traduit de l’italien par Nathalie Bauer— — — — —Pour compter les oiseauxL’observatoire des oiseaux des jardins est un programme de la LPO (Ligue de Protection des oiseaux) de comptage des oiseaux à partir de vos jardins privatifs mais aussi de vos balcons. Le confinement peut être l’occasion d’y participer…— — — — —Pour se détendreNous ne pouvons plus travailler ? BRAVO ! Profitons-en pour faire tout ce que nous n’avions jamais osé faire avant !Ce n’est pas un média d’information, il n’y aura pas de conseils pour lutter contre le coronavirus. Ou peut-être, mais on ne vous conseille pas de les suivre.— — — — —

Pour danser toujoursZammix feat. Beul & Coronita – Confinement Party vol 5Zammix feat. Corojah – Confinement Party 6Zammix & the Coronas – Confinement Party vol 7Zammix feat. Cheb Corona – Confinement Party vol 8Zammix feat. Coco, Roro & Nana – Confinement Party vol 9Zammix feat. Coronax – Confinement Party vol 10Zammix y su Choronestra – Confinement Party vol 11

More Informations

Le CDI c’est quoi ?

Né des pratiques d’exploration du Bureau des guides du GR2013 et des habitants marcheurs de la coopérative Hôtel du Nord, le CDI est un lieu d’échange et de réflexions collectives, de textes, podcasts, musiques, films qui résonnent particulièrement avec la situation, ou qui permettent de prendre une tangente.

Il prendra pour l’instant la forme d’une newsletter contributive pour partager des initiatives, des pensées, des textes mais aussi des jeux et des protocoles pour mettre à l’épreuve notre manière d’habiter le monde et en ramener des récits, des dessins, des photos, n’importe quoi. Le CDI est une tentative de poursuivre les aventures commencées tout en réinventant le voisinage dans un monde confiné.

 

Le CDI c’est qui ?

Des habitants, des artistes, des citoyens qui aiment marcher et explorer pour mieux habiter et se relier, et toutes celles et ceux qui le veulent ou le voudront.

 

Retrouvez les autres lettres dans nos récits.

 

Lettre #1 – 21 mars 2020

Réinventer le voisinage dans un monde confiné

S’il convient d’être grave, c’est d’une forme de gravité qui nous fait avoir les pieds sur terre. Et les pieds sur terre c’est le début de la joie. De l’atterrissage et du refus d’un monde abstrait.

Nos modes d’explorations habituellement marchées et qui activent la conversation, le corps, la modification de la relation à ce qui nous environne et nos capacités à prendre soin semblent être des outils toujours aussi importants. Comment les activer en période de confinement ? Sans indocilité puérile, ni soumission en dépit du bon sens, comment les cultiver pour pouvoir se préparer dès à présent à l’aujourd’hui comme à l’après ?

Apprendre à respirer sous l’eau, plutôt que d’attendre que la vague passe.

Mais aussi, plus simplement pour se faire du bien et se relier, malgré tout.

Partage des réflexions et de pensées pour préparer demain dès aujourd’hui maintenant qu’on ne peut plus espérer qu’il soit comme hier…

Ce que le coronavirus raconte de la biodiversité

On commence tous à l’apprendre, le coronavirus nous offre de nombreux éclairages sur les dysfonctionnements qui l’ont rendu possible. Un monde globalisé, un monde dont les écosystèmes ont été détruits et avec eux les forces résilientes qu’ils abritent. C’est un certain monde qui donne naissance aux pandémies. Le COVID-19 est de ces modes d’existences dangereux issus de la destruction de l’intelligence écologique. Ce monde est un monde abstrait, abimé, sans relation d’interdépendance, où ce qui n’a pas besoin de tisser du lien peut proliférer.

Un entretien avec Serge Morand

La révolution des catastrophes

L’arrivée de cette situation nous met tous.tes face à un point de non-retour. Il n’y a plus de retour possible pour notre monde. Le coronavirus nous met face à nos responsabilités multiples et partagées. Il est fort à parier qu’on nous fera croire qu’il faudra reprendre le « business as usual« , en se serrant la ceinture encore un peu plus, faire comme si c’était encore jouable alors que nous n’y croyons plus.

Mais ce diagnostic que permet de poser le coronavirus, comme la Pythie lorsqu’elle porte une très mauvaise nouvelle, ne signifie pas un coup d’arrêt de tout possible. Le diagnostic de tout devoir arrêter pourrait ne pas être triste. Trouvez ici le témoignage d’une voyante à un médecin, sur la question de la remise du diagnostic et surtout sur le pouvoir hautement révolutionnaire des catastrophes.

Une lettre de Maud Kirsten

Faire commun face au désastre

Alors avec Isabelle Stengers réactivons notre sens commun en temps de débâcle…

Des jeux, des protocoles, des expériences à tester pour apprendre à respirer sous l’eau.

Tuto n°1 : La chaîne de la Nerthe japonaise, ou la conversion du regard

Agnès : Je sais désormais ce que je fais quand « je pense avec mes pieds », sacré casse-tête que j’ai traversé il y a peu.

De la marche, je fabrique un système, un mode de vie, une façon d’explorer, une façon de ressentir, d’être dehors, au soleil qui me réchauffe.

Ce que je sais depuis bien plus longtemps, c’est que je pense aussi avec mes yeux. Puisque mes yeux participent de ma marche.

Aujourd’hui j’ai de nouveau  fait une expérience dont j’ai l’habitude: changer mon échelle de regard.

Je revois Jean, notre voisin marcheur, en train de décrypter pour nous, à Cossimont, le grand espace de la Nerthe jusqu’à Marignane, avec ses voies de circulations ancestrales ou toujours vivaces.

Aujourd’hui inversement, je regarde la colline dans la colline « le petit du grand ».

Je fixe mon regard sur un tout petit espace et je change d’échelle. Il faut vraiment regarder de très près.

C’est le plus petit des jardins zens qui s’ouvre alors devant moi. Le petit caillou devient une falaise, quelques herbes, des arbres.

Jardin zen car à partir de ce décalage de regard, c’est l’esprit et toute pensée qui s’envole, loin, loin, loin. C’est le but des japonais, et ça marche !!!

Vous pouvez essayer, y compris en intérieur, vous verrez comme le monde devient grand, sans limite. Allez-y regardez loin, regardez proche !

Tuto n°2 : Racontez des histoires dans les files de supermarchés.Antoine : Au CDI, on se parle beaucoup de raconter des histoires, on se pose la question de ce que ça veut dire, et de pourquoi on aime tant le faire. Quel est leur étrange pouvoir et comment est-ce qu’elles ont la force de nous faire vibrer un peu plus avec les mondes que l’on traverse ?Je me suis retrouvé, hier, avant-hier, malgré moi à continuer à échanger des histoires. Dans les files d’attente au supermarché, ou tout autre lieu où les gens attendent, la moindre excuse pour entamer la conversation est bonne, avec toute la file si possible. En gardant bien les distances sanitaires (on peut d’autant mieux ajouter des mouvements de bras à ses histoires et c’est une bonne excuse pour parler bien fort et embarquer tout le monde).Raconter des histoires qui pourraient être des contrepoisons, qui briseraient le fatalisme d’une situation. Vers la Drogueria je hurlais à qui veut bien l’entendre l’histoire du film L’an 01, “C’est un gars un jour il veut plus prendre le train, plus aller au boulot, et puis ça s’emballe et tout le monde veut faire pareil, et expérimente la question : et si on arrêtait tout ? et si on arrêtait tout ? On réfléchit, et c’est pas triste.” Toute la file voulait que je donne les références du film à la fin de la discussion.Vers le boulevard National, un mini-embouteillage de “distance à garder” m’a donné l’occasion de raconter l’histoire de la grenouille qui saute quand on la met dans de l’eau à 100°C, mais qui reste sur place quand on fait bouillir l’eau petit à petit : “le virus nous a permis de nous rendre compte que l’eau était trop chaude”, avons-nous conclu.Ce matin en criant à un voisin perché sur son balcon, c’est une conversation à pleins poumons avec plusieurs personnes de l’immeuble qui s’amorce à propos du pouvoir hautement révolutionnaire des catastrophes. “C’est une voyante qui disait ça, elle le disait à un médecin, en lui disant, annoncer une catastrophe ce n’est jamais tracer une ligne blanche entre les damnés et les élus, parce que sur cette terre, ce qui peut être l’enfer peut devenir le paradis, et inversement”. Je vois bien qu’en même temps ça résonne et qu’en même temps tout le monde se demande pourquoi est-ce que je parle de voyante, mais on bégaye ensemble.C’est le plaisir de l’étincelle dans le regard, la façon dont les corps se transforment lorsqu’une histoire frappe juste, fait résonner la situation avec de nouveaux possibles.Mais aussi, échanger des histoires, c’est en collecter, c’est poser des questions dès que possible. À cette femme de la rue qui raconte son confinement en extérieur avec ses 14 chiens. Aux personnes qui travaillent dans des lieux d’alimentation vides, mais dont le patron exige la présence et la fatigue. Aux gars qui me disent venir du quartier pour s’assurer que tout le monde ait bien de quoi fumer même en confinement. De demander “Et toi ? Tu tiens comment ?” Trouvez, vous aussi, des histoires qui vous font du bien, qui vous font rire et penser ou qui ouvrent des imaginaires imprévisibles, et scandez-les à tous les endroits possibles !

Pour trouver dans la littérature et la poésie des pistes et du soin.

Les Territoires Fantômes, Véronique Mure
Il est des territoires dont la réalité nous échappe.

Des territoires fantômes, des paysages souterrains, environnement familier des racines, des champignons, des taupes, des vers de terre, tout comme des bactéries. Un univers à l’envers dont nous soupçonnons l’existence mais dont nous ignorons presque tout. Un monde invisible dans lequel se trament les liens, les symbioses, les compétitions au sein du règne végétal mais aussi avec le vaste règne fongique et la faune souterraine…

Retour d’expériences, récits de nos tentatives et de nos explorations personnelles, écrits, dessins, témoignages, tout ce qui peut participer à vivre le présent et préparer l’après.

Mardi la mer, par Françoise M.

« Mardi matin à la mer. Il y a quelques personnes qui errent, s’assoient un peu, jettent un caillou dans l’eau, contemplent les vagues et repartent. C’est bientôt midi. Les policiers commencent à patrouiller à cheval ou en voiture. »

Des initiatives à découvrir, des appels à participation, des réseaux d’entraide.

Pour s’entraider…Groupe FB Entraide et solidaritéCagnotte pour le Collectif St Just

Pour danser« Étrange séquence. Pesant, flippant, flottant, imprévisible, out of control, sortie de piste, chamboulement collectif, retour à la bergerie pour un confinement à durée indéterminée. Inédit. Parmi les échappatoires possibles, je vous propose des mini-boum de living room, des huit pistes pour huis clos qui tomberont régulièrement, pour transpirer un bon coup, si vous avez le cœur et les jambes pour un petit défouloir. Libre à vous de vêtir pour cela un habit de lumière, un legging fluo ou bien même à poil, tant qu’on y est. » Adrien Zammit

Zammix feat. Coronax – Confinement Party vol 1

Zammix feat. Coronax – Confinement Party vol 2

Zammix feat. Coronax – Confinement Party vol 3

Zammix feat. Corozouk – Confinement Party vol 4

Pour écouter

Nous avons tous été étonnés ces derniers jours du changement de nos perceptions sonores. D’abord le silence, puis peu à peu l’impression de réapprendre à entendre ce qui habite ce silence. Les chants d’oiseaux, les bruits du port qui se poursuivent, avant de peut-être bientôt disparaitre à leur tour, les clameurs proches ou lointaines qui émergent à 20h…

L’occasion de développer notre sens de l’écoute (bientôt des tutos pour nous y aider) mais peut-être aussi de participer à une initiative de collectage et de cartographie des ambiances sonores pendant le confinement.

Via l’appel à participation Silent City.

Pour voyager

C’est le moment de brancher votre casque et de partir en voyage, Le Bureau des guides remet en ligne chaque jour un épisode de CARAVAN…

21 étapes sur les 365 km du GR2013 pour croiser le regards, les savoirs, et reconnaitre ensemble l’état nos villes et de nos paysages, pour révéler et dessiner le territoire et le patrimoine de la métropole. C’est à la fois savant et potache, intime et collectif, une marche en conversations, une conversation en marche… Découvrir les épisodes

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Le CDI c’est quoi ?

Né des pratiques d’exploration du Bureau des guides du GR2013 et des habitants marcheurs de la coopérative Hôtel du Nord, le CDI est un lieu d’échange et de réflexions collectives, de textes, podcasts, musiques, films qui résonnent particulièrement avec la situation, ou qui permettent de prendre une tangente.

Il prendra pour l’instant la forme d’une newsletter contributive pour partager des initiatives, des pensées, des textes mais aussi des jeux et des protocoles pour mettre à l’épreuve notre manière d’habiter le monde et en ramener des récits, des dessins, des photos, n’importe quoi. Le CDI est une tentative de poursuivre les aventures commencées tout en réinventant le voisinage dans un monde confiné.

 

Le CDI c’est qui ?

Des habitants, des artistes, des citoyens qui aiment marcher et explorer pour mieux habiter et se relier, et toutes celles et ceux qui le veulent ou le voudront.

 

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